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Mais le navire...

Photo by Tim Marshall on Unsplash

Prédication du dimanche 10 septembre 2017

Journée de rentrée

Romains 12 1-2, 9-18

Actes 27

 

Dans la Bible, les voyages en bateau se passent généralement mal. De Noé à Paul, en passant par Jonas et Jésus, tout est fait pour nous dire que finalement, pour franchir la mer, la traversée à pieds secs, c’est encore ce qui se fait de plus sûr.

On peut y voir la méfiance des hébreux, ce peuple non-marin, vis-à-vis de la mer, symbole du chaos, de la menace et de la mort…

Et, sans doute plus simplement, un voyage en mer qui se passe bien, cela ne vaut pas le coup d’en parler. C’est lorsqu’il y a des difficultés que cela devient intéressant, nous connaissons tous la vieille malédiction chinoise : « Je vous souhaite de vivre des temps intéressants »

 

         Et puis, l’avantage c’est qu’à travers les récits de ces traversées périlleuses, on peut parler de bien d’autres situations que de voyages nautiques. Un bateau, surtout à l’époque de Paul, c’est un lieu où nous sommes confrontés directement aux forces extérieures qui nous entourent, où nous sommes avec d’autres, où nous n’avons pas seul le contrôle de la situation mais où nous avons parfois à mettre la main à la pâte. D’ailleurs l’image de l’embarcation, du voyage en mer reste tout à fait utilisée de nos jours.

 

         Ce matin, donc ce chapitre 27 des Actes ne nous parlera pas du voyage de Paul mais de nos voyages, des coups de grains auxquels nous sommes confrontés, dans nos familles, dans notre paroisse, dans notre société… Il nous racontera les tentations auxquelles nous sommes confrontés dans ces temps de tempêtes, nous y trouverons des conseils et nous y entendrons une promesse un peu menaçante.

 

Et c’est justement par cette promesse que je voudrais commencer. « Personne n’y laissera sa vie mais le navire sera perdu » Personne n’y laissera sa vie, j’y entends l’Evangile, la promesse du Dieu de Jésus Christ, quoiqu’il arrive personne ne perdra l’amour de Dieu. Sur ce point, nous n’avons pas de soucis à nous faire. Dieu ne reviendra pas sur cet amour gratuit, immérité qu’il nous donne, il ne renoncera pas à nous.

Et c’est l’essentiel. 

En revanche, parce que nous sommes aussi des êtres d’accessoire, nous devons entendre la deuxième partie de l’annonce, le navire et sa cargaison seront perdus.

Et ce navire, ça peut être notre société  - là, mon petit côté anar me souffle que ce ne sera pas forcément une grosse perte  - ; ça peut-être notre famille –eh oui, nous le savons bien, il existe des familles qui explosent, cela ne signifie pas que les individus soient perdus, ni qu’il ne soit plus possible de reconstruire mais nous n’avons pas le droit d’oublier les souffrances qui en découlent ; ça peut -être notre paroisse – et c’est vrai que la prédication de ce matin est aussi guidée par des questionnements sur l’avenir de notre paroisse et sur quelques mauvaises nouvelles dont nous aurons à parler aujourd’hui.

 

Pour autant, je n’ai pas reçu de révélation que la paroisse d’Evreux serait perdue et donc, puisque notre salut à chacun est assuré, puisqu’il ne dépend pas de nous, nous pouvons nous concentrer sur ce qui dépend de nous et entendre quelques pistes que ce texte nous donne.

Dans un film catastrophe hollywoodien, nous aurons tous les archétypes humains, le lâche, le cynique, le fou, le héros, etc. Cela permettrait de dénoncer, d’accuser tel ou tel… Cela n’intéresse pas Luc, il préfère montrer les tentations auxquelles sont confrontées l’équipage et les passagers de ce navire. Voyons un peu ces tentations en 3 D, déni, désespoir et division.

La première tentation, c’est celle du déni ou de la vision à court terme. Paul prévient qu’il a été averti des risques encourus mais le centurion Julius préfère écouter l’avis des professionnels, du capitaine et du timonier plutôt que de se fier aux songes de son prisonnier. C’est d’ailleurs de bon sens. Sauf que ce que Julius ne mesure pas c’est qu’il est dans l’intérêt du capitaine et du timonier que le voyage puisse se faire. Tout comme lui, ils sont pressés d’arriver à bon port et quand les intérêts se rejoignent, eh bien on a envie de croire que « ça va le faire », « ça va passer » et la moindre embellie devient promesse de mieux durable.

 

Et ici, comment ne pas penser à Irma ? Comment ne pas penser à ces tempêtes qui n’ont rien d’image, à ces vies réellement brisées ? Comment ne pas voir les impacts de ce réchauffement climatique que nous voudrions continuer à voir comme une vue de l’esprit ? Comment ne pas nous interroger sur nos propres dénis, sur nos refus de changer nos manières de vivre et de consommer ?

La deuxième tentation, c’est celle du désespoir. A un moment, on laisse le bateau dériver. La tempête est trop forte. On est trop fatigués, trop vieux, plus assez nombreux pour que ça vaille le coup de lutter. Et là, le bateau va à un naufrage certain.

La troisième tentation, c’est celle de la division. Sur le bateau, il y a plusieurs groupes : les marins, les soldats, les prisonniers et sans doute les autres passagers. Tous ces groupes ont des intérêts et des capacités diverses. Les marins se disent qu’après tout, ils pourraient s’en tirer seuls sur un canot de sauvetage. Les soldats craignent de voir leurs prisonniers s’échapper.

 

Ces groupes d’intérêts, de cultures, de sensibilités différentes, on les retrouve sur toutes nos embarcations, dans notre société, au sein même de nos famille et aussi dans nos Eglises. Il ne sert à rien d’en nier l’existence ni la légitimité, mais dans la tempête, la question que chacun doit se poser, c’est « suis-je en train de lutter pour les intérêts de mon groupe ou pour le navire tout entier ? »

 

Mais le texte ne nous parle pas de tentation, il nous donne aussi des « trucs », des pistes pour s’en sortir. Et par là, je n’entends pas les techniques de navigations, mais des éléments bien plus généraux, qui me semble-t-il, doivent trouver un écho dans notre vie d’Eglise.

Tout d’abord, on entend dans ce texte un passage constant du « nous » au « ils », à tel point qu’on ne sait plus très bien si le narrateur était ou non sur le navire. Il me semble que cela peut s’expliquer de manière assez simple, la lutte contre la tempête est l’affaire de tous, mais tout le monde ne peut pas tout faire, chacun peut avoir sa place, son rôle à jouer. Chacun doit être à son poste, il y a ce que l’équipage a à faire, ce que les soldats ont à faire, ce que les passagers peuvent et doivent faire. Si tout le monde veut tout faire et se mêler de tout, on se gêne mutuellement et personne n’est efficace. Cet été, j’entendais ma tante s’exclamer « il y a trop de jambes et pas assez de bras, dans cette cuisine ! » Il arrive que ce soit pareil sur un navire ou dans une Eglise. Nous avons tous et toutes un rôle à jouer mais aucun de nous, aucun groupe ne peut jouer tous les rôles.

Ensuite, à un moment il faut manger, il faut recouvrer des forces et là, je ne parle pas de nourriture spirituelle, nous avons besoin de repas, nous avons besoin de temps de convivialité, nous avons besoin de temps de réconfort partagés, de soutien mutuel. Puisque dans un bateau à la dérive, l’apôtre n’oublie pas ce besoin humain, pourquoi l’oublierions nous dans les temps « intéressants » qui nous attendent.

Un troisième point que nous pouvons entendre dans ce récit, c’est qu’au cœur du naufrage, Paul ne renonce pas à l’annonce « le Dieu que nous adorons » explique-t-il à l’équipage, aux autres passagers et je ne peux m’empêcher de faire le lien avec ce Aristarque rencontré au début du voyage. En voyage, on fait de nouvelles rencontres et même quand notre Eglise traverse un grain, nous y voyons de nouveaux visages. Nous ne devrions donc jamais renoncer à l’annonce. L’annonce de l’Evangile, ce n’est pas un luxe que nous pouvons nous permettre quand tout va bien, l’annonce de l’Evangile, ce n’est même pas notre raison d’être, notre but premier, l’annonce de l’Evangile, c’est la source de notre existence en tant qu’Eglise. Si nous y renonçons, ce n’est même plus la peine d’essayer de sauver le navire, c’est que nous avons déjà sombré.

 

Enfin, avant le repas partagé, Paul rend grâce. La prière est discrète dans ce récit, pourtant, comment pourrions-nous imaginer que Paul et ses compagnons n’aient pas prié ? La prière ne prend pas beaucoup de place, mais elle est bien présente et manifestée.

 

Frères et sœurs, quand le ciel s’assombrit, quand le vent se lève, rappelons nous de cette promesse de Dieu que Jésus rend manifeste : notre vie ne sera pas perdue, nous ne serons pas séparés de l’amour de Dieu.

Quant aux navires, et en particulier à notre petite chaloupe paroissiale… Eh bien, que Dieu nous donne la force de refuser le désespoir, le déni et la division, et que dans la convivialité, la prière et l’annonce, nous prenions, chacun, notre poste…

 

Amen

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À propos
Eric George

Pasteur de l'Eglise Réformée de France, amateur de jeux de société, de cinéma, de longues discussions
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