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Vignerons assassins, bâtisseurs aveugles

Prédication du dimanche 5 octobre

Esaïe V, 1 à 7

Romains XI, 25 à 32

Matthieu XXI, 33 à 46

 

« Ils respecteront mon fils », « Il fera mourir misérablement ces misérables » et « la pierre qu’ont rejeté les bâtisseurs est devenue pierre angulaire ». C’est avec ces trois versets que nous entrerons dans la parabole des vignerons assassins

 

« Ils respecteront mon fils ». Tout au long de cette parabole d’une violence inouïe, marquée par une surenchère de meurtres et de tueries, s’écrit une histoire d’amour. D’abord, pour planter le décors, Jésus cite une autre parabole, qu’il emprunte à Esaïe : la parabole du bien aimé et de la vigne (Esaïe V, 1 à 7). Et comme Esaïe, il dit de quels soins, le propriétaire a entouré sa vigne, de quel amour il l’a plantée et cultivée. Esaïe et Jésus s’accordent pour dire que jamais jardinier ne s’occupât plus méticuleusement, plus amoureusement de son jardin.

A cet amour pour la vigne, Jésus ajoute une incroyable patience, et même plus, du maître pour ses vignerons. Un premier refus, puis un deuxième, puis un troisième, puis d’innombrable. Et le maître continue à demander son bien, sans se lasser, sans faire appel à la force pour faire valoir son droit. Jamais créancier ne se montrât plus patient pour recouvrer une dette ; Et, à la patience de ce propriétaire, les vignerons ne répondent que par une surenchère de violence. La bonté qui leur est témoignée semble exciter leur méchanceté. Et, au moment où toute patience humaine serait épuisé, où n’importe qui aurait cessé d’espérer une résolution à l’amiable de ce conflit, le propriétaire a cette phrase incroyable : « Ils respecteront mon fils ».

« Ils respecteront mon fils… » Les vignerons n’ont-ils pas déjà prouvé leur résolution à la révolte et au refus ? N’ont-ils pas assez démontré leur hostilité envers leur maître ? Le propriétaire se sent-il à ce point intouchable ? S’il était ici  question du sentiment de supériorité d’un grand seigneur, le fils en question viendrait à la tête d’une armée pour réclamer son dû ! Mais le fils vient seul et j’y vois surtout la marque d’une incroyable confiance. Le propriétaire garde sa confiance à des vignerons qui ont prouvé 20 fois qu’ils n’en étaient pas dignes !

Là où le viticulteur d’Esaïe désespérait de sa vigne qui ne donnait qu’un fruit infect, celui de Jésus maintient sa confiance dans des vignerons dont il ne récolte que révolte et meurtre. Une confiance au-delà de toute raison, une confiance que notre intelligence humaine qualifierait de stupidité « Si tu me trompes une fois, honte sur toi. Si tu me trompes deux fois, honte sur moi » dit l’adage. Et 20 fois ? Et 100 fois ? ….

Et le propriétaire envoie son fils, c'est-à-dire qu’il vient lui-même. Il est en effet inutile de préciser que cette parabole renvoie à la venue de Jésus et à sa mort toute proche…

A ce sujet ouvrons une parenthèse : par cette parabole, Jésus rend possible une lecture de la croix comme un évènement inattendu, imprévisible pour le propriétaire lui-même. « Ils respecteront mon fils ». Dans cette optique, Jésus (l’Emmanuel, Dieu avec nous), ne vient pas pour être crucifié mais précisément parce qu’il est celui qui sera épargné, parce que si l’homme peut récuser les prophètes et les témoins de Dieu, il ne peut pas refuser Dieu lui-même… Hélas ! L’opposition de l’homme à Dieu dépasse les frontières du possible ! Toutefois, je ne suis pas certain que l’on puisse légitimement construire toute une lecture de la croix sur cette parabole : ce serait oublier les annonces de la mort de Jésus « Il faut que le Fils de l‘homme soit livré aux pécheurs, qu’il soit crucifié et qu’il se relève le troisième jour. » (Luc XXIV, 7). En revanche, l’histoire des vignerons meurtriers vient ouvrir une brèche dans notre compréhension de la croix comme un événement planifié à l’avance. Ce serait falsifié les textes que d’essayer de faire coïncider ces deux lectures de la croix entre elles. Mais elles sont toutes les deux bien présente et j’y vois un rappel : la croix doit rester un scandale, une folie et toute tentative pour l’enfermer dans un discours trop cadré reviendrait à amoindrir ce scandale, à atténuer cette folie. Fin de la parenthèse.

 

Le fils est mis à mort par les vignerons, Dieu est crucifié par la soif de l’homme à être seul maître à bord. Que va faire alors le propriétaire ?

« Il fera périr misérablement ces misérables » Et nous franchissons une étape de plus dans cette spirale de mort, la surenchère de la violence monte d’un cran. De modèle de confiance et de patience, le patron devient justicier sanguinaire…

Mais ce n’est pas Jésus qui donne cette fin à la parabole, ce n’est pas lui qui répond ainsi à la question. L’auditoire de Jésus donne cette réponse parce que c’est comme ça que l’homme fonctionne : la violence appelle la violence. Il faut que les méchants soient punis. Il faut que les ennemis périssent. Ainsi le veut notre logique humaine. Et cette logique est bien sûr très présente dans les textes bibliques qui restent bien des témoignages humains. Mais à côté de cette logique de rétribution et de violence, on trouve aussi, à travers toute l’Ecriture, une autre logique : celle de l’espérance « Il y a un reste en Israël » : tous n’ont pas trahis le Seigneur, celle de la conversion « je changerai leur cœur de pierre en cœur de chair », celle du pardon « ton péché, je ne m’en souviens plus ».

Eh bien, si les chrétiens ont, hélas, essayé d’appliquer la logique humaine, s’ils ont à plusieurs reprises prétendu venger Dieu, l’Histoire nous montre que Dieu a choisi une autre voie, qu’il ne s’est pas détourné d’Israël. Si notre pratique humaine nous a fait plonger dans la spirale de la violence et de la mort, Dieu a emprunté une autre voie, annoncée par Paul : « Tout Israël sera sauvé » (Romains XI, 26)

 

Mais pouvons-nous en rester là ? « La pierre qu’ont rejeté les bâtisseurs, c’est elle qui est devenue pierre angulaire.» Pouvons-nous réellement nous contenter de voir dans ces bâtisseurs, les scribes et pharisiens de l’époque de Jésus ? Si nous agissons ainsi, alors nous sommes encore plus aveugles qu’eux !

Pour s’adresser aux scribes et aux pharisiens, Jésus ancre solidement sa parabole dans l’Ecriture : elle commence par une citation d’Esaïe et se termine avec le psaume 118. Ainsi leur montre-t-il que cette Ecriture dont ils se réclament, s’adresse à eux et ils finissent bien par se reconnaître dans les vignerons assassins que dépeint Jésus…

Et nous ? Comment recevons-nous l’Ecriture ? Allons-nous brandir la Bible comme si elle nous justifiait ? Allons nous crier « Que l’on fasse mourir misérablement ces misérables » en pointant du doigt les pharisiens d’aujourd’hui qui sont, forcément, ceux qui ne pensent pas comme nous ? Ou bien allons-nous nous laisser interpeller par l’Ecriture ?

Car après tout, comment passe-t-on des vignerons aux bâtisseurs ? C’est simple, ce sont ceux qui travaillent. En travaillant à la vigne, les vignerons ont fini par s’en croire propriétaires. En comptant sur leur propre habileté, sur leur capacité de discernement, les bâtisseurs ont rejeté la pierre même qui tiendrait tout l’édifice… Vignerons et bâtisseurs, c’est bien ce que nous proclamons être, nous qui portons le poids du monde, qui mettons sans cesse en avant notre travail, notre action, nos avancées, nos progrès, en tant qu’individus ou en tant qu’humanité… Ainsi, nous en remettons-nous à chaque fois à nos propres forces pour construire le Royaume de Dieu, notre salut, notre vie. Et, à chaque fois, nous nous approprions ce qui ne nous appartient pas. A chaque fois, nous rejetons Dieu pour ne compter que sur nous même. Et bien sûr, à chaque fois, nous échouons, nous nous brisons sur cette pierre que nous avions dédaignée ou bien elle nous écrase : en effet, à chaque fois, que nous prétendons faire par nous-même, Jésus Christ nous rappelle que nous ne pouvons pas aller jusqu’où il a été.

 

Frères et sœurs, l’Ecriture n’est pas là pour nous conforter contre les autres, bien au contraire, c’est chacun de nous qu’elle met à nu, c’est notre propre refus de Dieu qu’elle dévoile. Mais, ce n’est pas pour nous anéantir ou nous condamner qu’elle le fait. Si l’Ecriture nous conduit à désespérer de nous-même qui sommes faibles, c’est pour nous conduire à espérer en Dieu qui est fort et infiniment patient.

Quelle merveille ! Alors que, piètres bâtisseurs, nous avions rejeté la pierre qui, seule, pouvait soutenir tout l’édifice, elle est devenue pierre d’angle, temple vivant que nos mains n’ont pas construit mais qui est pour nous présence de Dieu. Quelle merveille ! Alors que sans cesse, nous le rejetons, voici que Christ nous accueille ! Quelle merveille, alors que tous nous étions enfermés dans la désobéissance, Dieu nous fait miséricorde !

 

Amen

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À propos
Eric George

Pasteur de l'Eglise Réformée de France, amateur de jeux de société, de cinéma, de longues discussions
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T
...c'est vrai que les deux lectures de la croix, pourtant apparemment tout aussi valable, semblent incompatibles : que le Fils de Dieu, Dieu Lui-même, vient plein de confiance pour l'Homme, vient comme celui-qui-ne-peut-pas-être-refusé, et est finalement tué quand-même, et qu'en même temps Jésus sait quel sort l'attend et sait qu'il sera mis à mort......c'est intéressant parce que cela nous renvoie, finalement, là aussi, au fait que Dieu dépasse notre entendement. C'est toute la question d'un Dieu dépassant le temps et l'espace, et agissant dans le temps et dans l'espace.(...accepter les deux lectures malgré qu'elles nous semblent contradictoires, en les estimant toutes deux "vraies" et "présentes", c'est exactement comme la question de la grâce de Dieu et de la liberté de l'Homme. Aussi.)...et cela, en effet, est bien tout le fond de la mystique chrétienne : la Croix reste un scandale, une horreur, inacceptable,et pourtant on se dit "bienheureuse croix par laquelle le Christ nous sauve",...et en même temps "horrible croix sur laquelle meurt notre Seigneur"...et en même temps "merveille de Dieu qui sait ce qui l'attend et vient tout de même nous sauver"......mais aussi "horreur de l'innocent qui vient par amour et est tué par les Hommes"......D'un point de vue extérieur, effectivement, cela doit sembler un peu étrange au premier abord.
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