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Histoires de puits

Histoires de puits

Savez-vous que les puits communiquent entre eux ? Non, pas comme les vases, je veux dire qu'ils communiquent vraiment, qu'ils se parlent entre eux. Ça vous étonné ce que je dis ? Pourtant, le réseau hydrographique est bien plus ancien que le réseau Internet...Alors il suffit de tendre l'oreille, même pas la peine de vous pencher... Écoutez simplement ce que racontent les flux qui irriguent la terre…

Peut-être parce que c’était la Saint Valentin, ces quatre puits là se racontaient des histoires de femmes...

Le premier puit qui parlait était un très vieux puit, ça s’entendait à sa voix. Il avait l’accent du point d’eau qui affleure à peine. Ici en Normandie, on dirait que c’est une grosse flaque ou une petite mare, mais dans son pays, il était un point essentiel, un lieu de vie dans le désert… Dans sa voix, on entendait les chameaux qui venaient boire, les tribus du désert qui s’assemblaient ; Et vous voulez savoir ce qu’il racontait ? Je vais vous le dire, il parlait d’un homme

«C’était la première fois que je le voyais, celui-là… Il avait dû faire un long voyage avec sa riche caravane. Pourtant, il parlait la langue d’ici et quand il est arrivé, il ne s’est pas précipité su mes eaux pour boire et pour faire boire ses chameaux. Non, il a attendu. Il a prié. Il cherchait une femme et il disait à son dieu « Celle à qui je demanderai à boire et qui non seulement me donnera à boire mais proposera de faire boire aussi mes chameaux, celle-là sera celle à qui je demanderai de partir avec moi pour épouser le fils de mon maître »
Et moi, je me disais : « tu peux attendre, mon bonhomme. Ici, on ne se met pas comme ça au service d’un étranger... Il y a des règles et des priorités… »
Et voilà que Rebecca est arrivée, la fille de Bethuel, la sœur de Laban. Dans d’autres pays, on dirait que c’est une princesse. Eh bien, à peine le vieil étranger lui a-t-il donné à boire qu’elle lui a donné de l’eau et que de sa propre main, elle a aussi fait boire ses chameaux.
Je n’ai plus revu Rebecca, par le réseau des eaux souterraines, j’ai appris qu’elle avait épousé Isaac, le fils du maître de l’étranger. Ailleurs, on dirait que c’est un prince. Mais ce qui compte, c’est qu’elle est partie avec celui qui avait su voir sa bonté.

Alors, le deuxième puit a pris la parole. Sa voix était un peu plus jeune que celle du premier. Pas beaucoup plus jeune mais un peu et on le devinait plus sophistiqué. Dans sa voix, on entendait le travail humain. Il avait l’écho des troupeaux de chèvres et de mouton, l’intonation des appels des bergers. Et voilà l’histoire qu’il a racontée

Ce matin-là, quand Rachel est arrivée, j’ai tout de suite senti sa surprise. Il faut dire qu’à côté de moi, en train de parler aux bergers de son père, Laban, il y avait un homme qu’elle n’avait jamais vu…
Et lui, dès qu’il a vu Rachel arriver avec ses troupeaux, il a pris les choses en mains, sans attendre qu’on lui demande quoi que ce soit, il a roulé la pierre qui me recouvrait pour que les bêtes puisse boire. Eh bien, je vous assure que le soleil qui était déjà haut dans le ciel brillait moins que le regard de ces deux-là quand ils se sont rencontrés.
Rachel a fini par épouser cet homme et , longtemps après, je ne l’ai plus vue. Elle était partie avec son mari, ce Jacob qui avait su se mettre à son service et lui donner le travail de ses bras.

Le troisième puit avait un fort accent étranger, sa voix bondissait comme un torrent sauvage et brutal, comme si ses eaux rêvaient de liberté. Et même son histoire commençait dans la violence…

La dispute avait éclaté entre les filles de Jethro, le prêtre et des bergers. Comme souvent, c’était une question de priorité, de qui boirait le premier. Il faut dire que je suis le seul point d’eau par ici… La dispute est devenue de plus en plus dure et les filles de Jethro ont bien senti que les choses allaient mal tourner. Prudemment, l’ainée, Sephora, a fait signe à ses sœurs de battre en retraite, de céder la place. Vu le ton des bergers, c’était peut-être déjà trop tard pour éviter que ça dégénère.
Mais à ce moment, un homme est arrivé de nulle part, il s’est interposé entre les bergers et Sephora et ses sœurs et il a ordonné aux bergers de laisser les femmes puiser de l’eau. Son vêtement était celui d’un étranger. Sa voix était celle d’un homme habitué à donner des ordres. Sa carrure et sa posture montraient qu’il n’avait pas peur de se battre et les bergers ont reculé…
Quelque temps après, je n’ai plus vu Sephora. Vous devinez pourquoi ? Eh oui, elle avait épousé ce Moïse, elle était partie avec l’homme qui l’avait défendue…

La voix du quatrième puits était plus familière. C’était un puits de village. Peut-être pas exactement comme ceux que l’on voit par ici. Mais dans son accent, on entendait les bavardages des femmes qui venaient chercher de l’eau, les rires et les jeux des enfants qui couraient autour. Et voilà l’histoire qu’il a raconté.

Ce jour-là, un groupe d’hommes était arrivé de la région voisine. Ils avaient fait une brêve halte et puis ils s’étaient séparés : tous étaient partis sauf un, qui s’était assis pour se reposer…
C’est alors qu’elle est arrivée. Elle, je n’ai jamais su son nom, c’était une femme du village. Elle venait souvent mais toujours seule, jamais avec les autres. Oh je devinais bien pourquoi. Elle devait sûrement avoir très mauvaise réputation, mener le genre de vie que les autres condamne.
Quand elle est arrivée, le voyageur lui a demandé à boire ; elle était toute surprise. Et il a ajouté « mais tu sais, c’est toi qui devrait me demander à boire ». Alors un dialogue insensé a commencé, un de ces dialogues dont les humains ont le secret : où personne ne parle de la même chose. Mais le plus fou, c’est que ce dialogue a abouti a une rencontre. Et finalement, elle est partie en courant.
Et devinez quoi ?
Eh bien non, elle n’a pas épousé le voyageur. Non, elle n’est pas partie avec lui. En fait, je l’ai revue souvent. Elle a continué à venir puise de l’eau du puits. Mais elle avait changé, elle n’avait plus peur. Elle n’avait plus honte. Quelqu’un avait posé sur elle un regard sans jugement.
Elle, je ne sais toujours pas son nom. Mais par le réseau, j’ai appris le nom de cet homme qui avait su voir sa soif d’exister aux yeux des autres, sa soif de ne plus être jugée. Cet homme, il s’appelait Jésus.
Et finalement, ce Jésus, c’est peut-être un des nôtres, une sorte de puits : une source de vie, un lieu de rencontre.
Amen

D'après Genèse 24, Genèse 28, Exode 2 et Jean 4

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À propos
Eric George

Pasteur de l'Eglise Réformée de France, amateur de jeux de société, de cinéma, de longues discussions
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