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De l'amour, une nécessaire digression

De l'amour, une nécessaire digression

Prédication du dimanche 31 janvier 2016

Jérémie 1, 4-19

Luc 4, 21 à 30

I corinthiens 12 31 à 13, 13

Qui a déjà entendu ce texte ? Qui l’a entendu lors d’un mariage…

L’hymne à l’amour de Paul est un des textes bibliques les plus connus. C’est peut-être aussi l’un des plus mal compris, l’un des plus souvent cités à mauvais escient. Et parmi ces mauvais escients, justement le fait d’en avoir fait un texte de mariage….

Bien sûr qu’entre des mariés, il faut espérer qu’il y ait de cet amour dont parle Paul et que le grec appelle agape. Mais l’amour qui unit des mariés doit aussi être exclusif ce que l’agape, précisément ne doit pas être… bref, réserver l’agape à celui, à celle que nous aimons, c’est un peu trop se faciliter la tâche…

La tâche… et voilà que je trébuche sur le deuxième écueil. On a souvent tendance à recevoir cet hymne à l’amour comme une définition, un mode d’emploi de l’amour. J’ai même entendu : si vous n’aimez pas comme cela, vous n’aimez pas vraiment…

Et en associant cela au mariage, on tient peut-être la raison de la montée du taux de divorce : dire aux mariés que si leur vie de couple n’est pas conforme à l’hymne à l’amour, c’est qu’ils ne s’aiment pas vraiment…

Alors qu’est-ce que c’est que cet hymne à l’amour ? Tout d’abord, c’est une digression. Paul s’adresse à une communauté qui est traversée par des tensions et des divisions de différents ordres. Et parmi les causes de ces tensions : les dons spirituels…

Alors, on est souvent un peu frileux dans les Eglises protestantes traditionnelles pour parler des dons de l’Esprit. Nous préférons insister sur les formations, (sans doute pensons-nous, comme Brassens, que sans technique un don n’est rien qu’une sale manie). Mais nous n’oublions pas que sans le don de l’Esprit, la technique, la formation n’est que lettre morte…

Quoiqu’il en soit, dans toute Eglise, dans toute communauté chrétienne, les dons de l’Esprit mélangés à notre pâte humaine, sont source de tensions, voire de division… En effet, nous voulons hiérarchiser entre celles et ceux qui sont plus ou moins doués voire entre les dons eux-mêmes.

C’est dans toutes les Eglises et c’est bien pour cela que la leçon de Paul aux Corinthiens, l’image de la diversité des membres d’un même corps, fait partie des textes que nous connaissons, parce qu’elle nous atteint tous.

Paul rappelle aux corinthiens que celles et ceux qui confessent la seigneurie de Jésus Christ sont tous animés par le même Esprit Saint, il leur rappelle qu’ils sont comme les membres divers d’un seul et même corps dont la tête est Jésus, le Christ. Il leur explique que chaque membre, y a sa place et sa fonction… Mais il va ensuite établir sa propre hiérarchie entre les dons de l’Esprit, une hiérarchie qu’il va argumenter.

Et c’est au milieu de cette argumentation que s’ouvre la parenthèse de l’hymne à l’amour. Vous avez peut-être été surpris par ma traduction de son introduction « Jalousez les dons les meilleurs. Et pendant ce temps je vous montre le chemin par excellence » Elle est tout à fait discutable. Les traductions classiques sont tout à fait juste qui préfèrent employer des termes plus positifs « ayez pour ambition », « désirez ardemment » et ma préférée « aspirez » (en effet, aspirer aux dons du souffle, fait tout à fait sens). Mais je voulais insister sur le fait que le même verbe zhlow se retrouve lorsque Paul nous dit que l’amour « ne jalouse pas » ou « n’envie pas ». Je voulais aussi insister sur le fait que l’amour n’est pas à proprement parler un don spirituel. Il nous est donné certes, mais il ne tient pas la même place que la guérison, le parler en langue, la prédication ou la prophétie. L’amour, c’est le chemin que Dieu offre à nos pas.

Voici donc, comment je comprends le mouvement du texte : en bon pasteur, Paul a rappelé aux corinthiens que les dons venaient tous du même Esprit, qu’ils étaient tous important pour le corps et voilà, qu’il se surprend ( à rentrer dans le débat de « qu’est ce qui est le plus important » à foncer dans la discussion même qu’il voulait apaiser. Alors il se reprend, peut-être avec un peu d’humour : (oui, j’ai assez de sympathie pour Paul pour le croire capable d’un brin d’ironie autocritique, peut-être aussi que je m’identifie un peu à lui). Bref, je me demande si Paul ne nous dit pas « bon, on rivalise pour les dons les meilleurs mais n’oublions pas le chemin extraordinaire qui s’ouvre à nous » « si je n’ai pas l’amour, je ne suis que cymbale qui résonne ». Et c’est l’hymne à l’amour qui commence… Mais, le plus fort c’est que Paul va ensuite reprendre son argumentation sur la hiérarchie des dons. Je trouve cela intéressant pour nous parce que dans nos discussions d’Eglise, nous avons parfois tendance soit à oublier l’amour pendant nos débats soit à l’évoquer pour refuser le débat. C’est plus facile que de laisser l’amour conduire nos débats, que d’écouter, par amour, ce que l’autre a à dire, que de lui dire, par amour, ce que nous avons, nous, à lui dire. Oui, dire à l’autre qu’on n’est pas d’accord, c’est aussi une marque d’amour et de confiance...

Eh bien, tout en rappelant l’importance de l’amour, sa nécessité absolue, Paul ne renonce pas à dire ce qu’il a à dire aux corinthiens, il ne renonce pas à la réflexion, au raisonnement, à l’argumentation. Seulement, il reconnait que si, dans son argumentaire, dans sa science, il perd l’amour, il n’est plus rien et que son raisonnement ne vaut plus rien, même si ses arguments sont justes, même s’il a raison…

En quoi l’amour est-il plus grand ?

L’explication de Paul concerne d’abord la fin des temps : lorsque le Règne de Dieu sera pleinement manifeste, il n’y aura plus d’espérance (puisque ce que l’on espère sera accompli), plus de foi (puisque la foi est la ferme assurance des choses que l’on ne voit pas et que, justement nous verrons), on n’aura plus besoin de prophétie, d’hommes et de femmes qui parlent de la part de Dieu puisque notre relation à Dieu sera directe. En revanche, l’amour restera, il n’y aura même plus que ça.

Mais je crois qu’il y a une autre réponse sous entendue par Paul. Nous n’avons pas tous reçu les mêmes dons et nous les avons pas tous reçus de la même manière. Or dans nos dons, nous sommes toujours centré sur nous-même : c’est « moi (ou nous) » qui prêche, c’est moi qui prie, c’est moi qui enseigne, c’est moi qui sert, c’est moi ou plutôt c’est par moi que Dieu guérit ou délivre. C’est bien ce que dit Paul : sans l’amour, tout est partiel, incomplet, sans l’amour je vois comme à travers un miroir, c’est-à-dire que c’est bien moi que je vois d’abord. Mais avec l’amour, je vois, face à face. Dans l’amour, le centre devient l’autre, le centre, c’est celui ou celle que j’aime.. Ainsi, l’amour est plus grand puisqu’il parvient à me libérer de moi-même, ce que les autres dons spirituels ne parviennent pas à faire.

L’amour nous libère, l’amour nous décentre, l’amour est le plus grand, mais aimons-nous vraiment ? Est-ce que dans nos relations avec nos conjoints, nos enfants, nos amis, nos frères et sœurs en Christ, nous supportons tout, croyons tout, excusons tout, bannissons tout orgueil et toute bassesse ?

Non, bien sûr. Mais cela ne signifie pas que nous n’aimons pas… Cela veut juste dire que dans nos relations avec ceux que nous aimons, nous ne sommes pas toujours conduits par amour. Mais l’amour est bien là, semé en nous par l’Esprit de Dieu. Nous en voyons, et même nous en vivons, la trace à chaque fois que dans nos relations aux autres, nous supportons, nous excusons, nous croyons. Et, si nous y regardons bien, si nous ouvrons les yeux sur ce chemin sur lequel il nous est donné d’avancer, nous voyons bien que ces marques de la puissance de l’amour dans nos vies et en nous-mêmes sont plus nombreuses que nous le croyons.

Alors, frères et sœurs, que dire ? Peut-être tout simplement reprendre l’exhortation de Paul : Recherchez l’amour, recherchez cette puissance que l’Esprit de Dieu sème en vos cœurs, recherchez ce chemin de vie que Dieu ouvre sous nos pas. Recherchez l’amour et dans cet amour, exercez vos dons.

Amen

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À propos
Eric George

Pasteur de l'Eglise Réformée de France, amateur de jeux de société, de cinéma, de longues discussions
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