9 Juillet 2018
Prédication du 8 juillet 2018
1 Corinthiens 11,17-34
Eric : très bien, alors ça veut dire que malgré ton luthéranisme tu célèbres et prend la Cène correctement
Marion : Me voilà rassurée ! Et puis c’est une bonne manière de gérer la pénurie de médecins dans la région : prenons simplement la cène comme il faut, et tout ira bien ! Enfin, je crois qu’aujourd’hui on ne dirait plus les choses dans les mêmes termes que Paul, même si j’ai parfois l’impression que la célébration de la cène nous rende effectivement malades dans nos communautés. Il y a parfois tellement de débats sur comment faire ou ne pas faire ou sur la signification de ce repas dans notre foi que ça en devient étouffant. La cène est le lieu de tous les regards. D’abord parce que d’une paroisse à l’autre sa célébration varie, et on n’a pas toujours le mode d’emploi pour bien faire. Mais aussi parce que nos sensibilités sont différentes : que va-t-on me dire en me passant le pain ; est-ce qu’on va me regarder dans les yeux ; est-ce que les gens sourient ou regardent leurs chaussures ; et moi, qu’est-ce que je vais dire à celui qui est à côté de moi... Est-ce qu’on ne se prive pas de vivre la cène à force d’en débattre ? Est-ce qu’on ne s’en prive pas à force d’analyser ce qui se passe ?
Eric : En lisant Paul, j’ai l’impression que les débats ont commencé très tôt… Il faut dire aussi que nos débats de coupe, de gobelet, de table ou d’autel, de vin ou de jus de raisin ne sont que des peccadilles. Dans les premières communautés chrétiennes, les chrétiens d’origine juive n’avaient pas le droit de manger avec les chrétiens d’origine païenne, on trouvait des esclaves et leurs propriétaires et à table, les premiers étaient censés servir les seconds, et le rituel de repas romain était pensé pour que les riches et les élites puissent s’empiffrer pendant que la plèbe et les pauvres mangeaient leur morceau de pain… Rien d’étonnant à ce que l’un soit ivre alors que l’autre n’a rien à manger...
Marion : Les Corinthiens ont apparemment du mal à se détacher de leurs habitudes romaines au moment de partager la cène, tout comme nous n’arrivons pas toujours à laisser de côté ce qui nous perturbe dans sa célébration quand elle ne correspond pas à ce que nous aimerions. Et du coup, nous risquons de passer à côté de quelque chose. Paul interpelle les Corinthiens sur leur attitude, parce qu’elle les prive de vivre le dîner du Seigneur qui pourtant est un moment important. Il y a ceux qui se précipitent sur la nourriture sans penser aux autres, or ce repas est celui de la communion et de la fraternité et on ne peut pas le vivre ainsi si on n’a pas le souci des autres au moment de le partager. Mais il y a peut-être aussi ceux qui s’examinent tellement qu’ils finissent par ne plus se juger digne de ce repas qui leur est pourtant offert, et qui vont alors ne pas y participer du tout. Finalement ce sont deux manières d’être par lesquelles on risque de se priver de la cène.
Eric : Et ce serait dommage !!! Parce que si la Cène est souvent notre sacrement de la division, la source de querelles byzantine, de discussions théologiques complètement hors sol, ou si, à l’extrême inverse, elle suscite les pires pinaillages de vaisselles, elle est aussi ce temps d’Eglise où se passent de grandes choses.
A Evreux, j’ai vu deux fois la Cène être une véritable fête de réconciliation, et, de manière plus tranquille, nous aimons nous rassembler autour de cette table - et si c’était un autel, ça n’y changerait rien - pour partager, au delà des mots, au delà des idées, le repas du Seigneur
Marion : C’est bien pour cela que nous nous rassemblons, et c’est ce qui distingue ce repas de celui que chacun peut prendre chez soi, dans sa maison. Paul veut sans doute inviter les Corinthiens à revenir à l’essentiel, et c’est pour ça qu’il leur rappelle ce qu’il leur a transmis, et qu’il a lui-même reçu auparavant.
Eric : Oui, enfin… Certains diront que c’est typiquement du Paul : rappeler les Corinthiens à l’essentiel, c’est à dire à sa doctrine, à sa façon de faire, présentée comme celle qui, bien sûr, vient du Seigneur. Bref, on a un peu l’impression de revenir au point de départ : célébrez la Cène de la bonne manière, sinon, gare à vous !
Marion : C’est peut-être ce qu’il considère être la bonne manière, mais d’après les témoignages bibliques ce n’est pas la seule bonne manière. En effet, il y a trois autres textes qui nous rapportent comment le Seigneur a institué la cène, dans les trois Évangiles synoptiques. Et chacun a sa particularité. Paul par exemple insiste beaucoup sur le faire mémoire, mais il ne propose pas une lecture sacrificielle de la cène. Il ne mentionne pas non plus le pardon des péchés, contrairement à Matthieu. Et Luc mentionne deux coupes…
Eric : Oui, c’est vrai qu’il y a des différences. Et puis, sauf à poser Paul comme un menteur, les corinthiens le savent bien : Paul n’était pas présent au dernier repas de Jésus (pas plus qu’aucun des évangélistes) et ce qu’il a reçu du Seigneur, en fait, ce sont d’autres qui lui ont appris… Finalement peut-être que quand Paul parle de ce qu’il a reçu du Seigneur, il dit un peu plus que simplement “voici les bons mots et les bons gestes, voici le mode d’emploi…”
Toi, comment reçois-tu ce qui vient de Paul ?
Marion : Paul n’a pu recevoir ce témoignage que de la part de quelqu’un d’autre qui lui a transmis ce que lui même avait reçu dans la foi. Affirmer que cela vient du Seigneur, c’est peut-être une manière pour lui de reconnaître qu’il a reçu ce témoignage de manière authentique. Il affirme ainsi que l’on peut recevoir comme étant un signe du Seigneur lui-même ce que d’autres peuvent nous partager, nous transmettre. Alors, oui je reçois ce que Paul me donne à travers ses lettres comme venant du Seigneur. Ce ne sont pas mes mots, ce ne sont pas toujours mes préoccupations, mais je crois que Paul est fidèle à lui même et à sa relation à Dieu dans ce qu’il nous transmet.
Eric : Du coup, en rappelant cette liturgie de la Cène, Paul nous met surtout devant la question de la transmission telle qu’elle se pose dans l’Eglise. Nous sommes, tu es, je suis appelé à recevoir de Dieu, à faire mien ce que je reçois avant de le donner aux autres. Ainsi, il ne nous est pas demandé d’être des anges, des messagers mais bien des témoins, indissociables, en tout cas indissociés de ce que nous transmettons. La Bonne Nouvelle n’est pas une poésie à réciter par coeur, mais je la transmet en la laissant transformer ma vie.
Et d’une certaine manière, notre manière de célébrer la Cène donne à voir cette transmission : je reçois, j’avale (je m’approprie), je donne. (Si ça fait trop régurgitation, je change)
Marion : C’est intéressant de voir la cène comme un lieu de transmission… là où nous voyons peut-être plus facilement la transmission dans la prédication, dans l’enseignement catéchétique : dans tous les lieux où l’on témoigne surtout par les mots que l’on pose. Dans la célébration de la cène, les gestes sont au-delà des mots. Quand l’autre me donne le pain ou me passe la coupe, peu importe les mots qu’il pose sur ce geste, ou qu’il ne pose pas d’ailleurs, moi seul sait vraiment ce que je reçois à ce moment là et comment cela va faire sens pour moi. Qu’on me tende “le pain de vie”, qu’on me partage “le corps du Christ” ou qu’on me rappelle simplement que le Seigneur est avec moi, c’est en avalant ce pain que pour moi il deviendra mémoire de la mort et de la résurrection du Christ, attente de son retour, pardon de mes péchés ou nourriture sur mon chemin de foi.
Eric : Oui, ce que tu reçois n’appartient qu’à toi et ce que je reçois n’appartient qu’à moi et moi seul sais ce que j’ai reçu (ou moi seul m’interroge sur ce que j’ai reçu, d’ailleurs)
Et si on s’y arrête deux secondes, cela veut dire qu’en fait, je ne sais pas ce que je donne, puisque je ne sais pas ce que reçoit celui ou celle à qui je donne. Dieu me garde de vouloir contrôler que l’autre a bien compris ce que je lui donnais, qu’il en fait un usage correct, de vouloir rester, finalement, seul propriétaire de ce que j’ai reçu du Seigneur… Dans la transmission, à l’appropriation suit toujours le temps du lâcher prise.
Marion : Il nous faut donc être suffisamment libres pour pouvoir nous approprier ce que l’autre nous donne, pour le recevoir comme un authentique témoignage de foi tout en pouvant le partager à d’autres un peu différemment, selon la manière dont ce témoignage nous aura rejoints et transformés. Mais aussi être suffisamment humbles pour accepter que celui à qui je donne reçoive peut-être autre chose que ce que j’ai voulu lui transmettre. Ce n’est pas autre chose finalement que d’être véritablement soi, tout en acceptant que les autres le soient aussi, différemment. N’est-ce pas à cela que nous sommes appelés en Eglise ?
Eric :Le chrétien est le plus libre des humains et le plus humble de tous… Il me semble que j’ai déjà entendu quelque chose du même genre…
En fait, ce que j’ai reçu du Seigneur, c’est une invitation, une place à son repas, une place dans son Eglise et puisque j’ai reçu cette place, je peux l’occuper tout en laissant de la place aux autres.
Au milieu des conflits de Corinthes, Paul rappelle un repas, un repas qui dit le don de Jésus, un repas qui évoque ces paraboles du Royaume. Et je crois que c’est parce que le repas, c’est le lieu de la rencontre, rencontre avec l’hôte, rencontre aussi avec les convives.
Frères et soeurs
À travers la Cène comme à travers la Parole de Dieu, ce que nous recevons du Seigneur, c’est une invitation. Or, une invitation, c’est un droit et c’est un appel. Ce que nous recevons du Seigneur, c’est e droit d’être nous-même - peut-être devrais-je dire l’appel à être nous-mêmes et l’appel à rencontrer l’autre, et peut-être devrais-je dire le droit de rencontrer l’autre.
Amen
Pasteur de l'Eglise Réformée de France, amateur de jeux de société, de cinéma, de longues discussions
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