21 Octobre 2018
Le juste vivra par la foi, trois interprétations possibles de cette citation de Paul :
Un seul mot m’arrêtait "La justice de Dieu se révèle en l’Évangile". Je haïssais ce mot, la justice de Dieu, parce que selon l’usage des docteurs, j’avais appris à l’entendre de la justice active par laquelle Dieu est juste et punit les injustes et les pécheurs. Moi qui menais la vie d’un moine irrépréhensible, et qui pourtant sentais en moi la conscience inquiète du pécheur, sans parvenir à me rassurer sur la satisfaction que je pouvais faire à Dieu, je n’aimais point, non, il faut le dire, je haïssais ce Dieu juste, vengeur du péché. Je m’indignais contre lui. C’était en moi un grand murmure, si ce n’était blasphème. Je disais : n’est-ce pas assez que les malheureux pécheurs, déjà perdus éternellement par le péché originel, aient été accablés de tant de calamité par la loi du décalogue, il faut encore que Dieu ajoute la douleur à la douleur par son Évangile, et que dans l’Évangile même il nous menace de sa justice et de sa colère ? … Je m’emportais ainsi dans le trouble de ma conscience, et je revenais toujours frapper au même endroit de Saint Paul, brûlant de pénétrer ce qu’il voulait dire.
Martin Luther
En ce dimanche anticipé de la Réformation, je me propose, comme Luther, de revenir frapper au même endroit de la lettre aux Romains, à ce qui me gêne, au verset que je n’aime pas, que je ne comprends pas. Avec Luther, nous avons découvert que la justice de Dieu révélée par l’Évangile, ce n’est pas le jugement mais la justification… Mais que veut dire le juste vivra par la foi ?
Mais avant, arrêtons-nous un peu sur cette première affirmation de Paul :
« Je n’ai pas honte de l’Évangile » proclame Paul. Ben encore heureux ! Si Paul avait honte de l’Évangile, son histoire se serait rapidement arrêtée. Alors, il nous faut sans doute comprendre un peu plus que cela. Paul écrit à la communauté chrétienne de Rome, une Eglise qu’il n’a pas plantée, sur laquelle il n’a aucune forme d’autorité. Et sans doute que ce que nous devons entendre, c’est « je n’ai pas de vergogne, pas de pudeur, pas de timidité dans l’annonce de l’Évangile.
Et cela nous conduit à interroger nos propres timidités, j’en vois de deux sortes. La première c’est que nous sommes parfois un peu attachés à notre confortable quant-à-soi, à notre intimité. Et là, il nous faut sans doute entendre l’apôtre : « Je suis débiteur envers les Grecs comme envers les barbares » et c’est notre cas, nous nous devons aux versaillais comme aux barbares… Et, au regard de l’histoire de l’Eglise, je m’empresse d’ajouter que nous nous devons à tous comme serviteurs, pas comme supérieurs…
La deuxième timidité, plus fondée, je crois, est due à nos hontes, à notre réel sentiment d’indignité. Nous savons que notre manière de vivre n’est pas conforme à l’Évangile, et si nous venions à l’oublier, l’actualité s’occupe régulièrement de nous rappeler que pour donner des leçons, il vaut mieux être irréprochable… Alors, conscients de nos faiblesses, de nos imperfections, de nos scandales, nous baissons la tête. Mais là, il y a un malentendu ! L’Évangile n’est pas une règle laquelle nous devrions obéir, une doctrine à laquelle nous devrions nous conformer…L'Évangile, dit Paul, est puissance de Dieu pour le salut de quiconque croit. S’il y a pour nous une puissance de salut, c’est que nous avons besoin d’être sauvé. S’il y a pour nous une puissance de libération, c’est que nous sommes captifs, s’il y a pour nous une puissance de guérison, c’est que nous sommes malades ou blessés, s’il y a pour nous une puissance de pardon, c’est que nous avons besoin, bien besoin, d’être pardonné. L’Eglise n’est pas un rassemblement des saints et des parfaits, elle est une assemblée de pécheurs pardonnés. Ne nous laissons pas convaincre que nos défauts, nos blessures, nos faiblesses, nos hontes pèsent lourd face à la puissance de Dieu.
D’ailleurs, si nous attendons d’être parfaits pour annoncer l’Evangile, soit il sera trop tard, le Royaume sera advenu et ce ne sera plus la peine d’annoncer, soit ce n’est pas l’Evangile que nous annoncerons.
« Le juste vivra par la foi »
Cette affirmation de Paul - qui est une citation d’Habacuc, en fait, une citation qui a tellement marqué Paul qu’on la retrouve aussi au début de la lettre aux Galates - n’a pas fini de faire couler de l’encre. Et je voudrais ce matin clairement en réfuter une : « Pour être juste, il suffit d’adhérer au bon catéchisme, de dire amen aux bonnes formules ». Je ne m’étendrai pas, le problème ce n’est pas que ce soit trop facile ou démobilisateur, le problème c’est que ce n’est pas ce que Paul a voulu dire et que ce n’est pas non plus ce que Luther a compris. Non la foi ne consiste pas à adopter la bonne doctrine, fusse-t-elle luthérienne, calviniste, voire zwinglienne.
Ceci étant posé, je voudrais vous proposer trois interprétations, elles ne sont pas contradictoires entre elles, et il y en a certainement bien d’autre mais j’ai promis qu’on aurait fini avant 13h.
Vivre de la fidélité de Dieu :
Le juste vivra par la foi, Paul cite ici le prophète Habaquq, sauf qu’il prend une liberté dans sa citation : il supprime le possessif, le juste vivra par la foi. Si bien qu’on pourrait comprendre ici que le juste vivra par la foi de Dieu. La foi de Dieu est une expression dont nous n’avons pas l’habitude car quand le mot grec « pistis » se rapporte à Dieu, les traducteurs préfèrent souvent le rendre par fidélité. Mais Paul parle bien de la foi / la pistis de Dieu deux chapitres plus tard « Si certains furent infidèles, leur infidélité va-t-elle annuler la fidélité de Dieu ? » (Romains 3, 3, TOB) ) et il serait donc permis de rendre ce verset par « Le juste vivra de la fidélité de Dieu », c’est-à-dire, ce ne sont pas nos œuvres, notre respect de la Loi qui nous rendent justes, c’est la fidélité de Dieu qui nous justifie.
Cette compréhension a l’avantage de nous décentrer, de nous pousser à arrêter de nous regarder le nombril, pour Luther, l’homme pécheur s’est l’humain recourbé sur lui-même, l’humain qui se regarde et j’ai l’impression qu’en 5 siècles, la tendance à l’introspection, au narcissisme a plutôt progressé. Eh bien là, ce qui me fait vivre, ce n’est pas ce qui vient de moi, ma source de vie ne m’est pas intérieure, personnelle, elle me vient de Dieu.
Avoir un regard juste sur soi-même et vivre dans la confiance
Une autre interprétation laisserait la foi au juste, mais s’interrogerait sur ce que juste signifie. Quand en Eglise nous parlons de juste, nous avons tendance à l’associer à l’idée de justice. Mais dans le vocabulaire biblique, peut-être devrions nous plutôt associer le juste à l’idée de justesse, comme un vêtement tombe juste, comme une réponse est juste, comme un train est juste à l’heure (si si ça arrive). Celui qui a un regard juste sur lui-même vivra par la foi. Et là, on retrouve le message d’Habaquq, celui qui est à l’inverse du juste, c’est celui qui ne peut pas garder sa place, qui a besoin de tout posséder, de s’étendre, d’écraser les autres, pour satisfaire son avidité mais peut-être tout simplement pour se sentir meilleur qu’eux. On retrouve ça souvent dans nos jugements, juger les autres, parler de leurs défauts, cela me fait me sentir plus grand qu’eux, supérieurs à eux. A l’inverse, si plutôt que d’examiner la paille dans l’œil de l’autre, je regarde honnêtement ce que je suis, si je vois la somme de mes chaînes, de mes limites, de mes incapacités, mon inertie, mon désordre, je vois bien que pour vivre, je ne peux plus que faire confiance à Dieu.
Et c’est une bonne nouvelle ! D’abord parce que Paul qui dit bien que « tous ont péché », ne dit pas que « celui qui a un regard juste sur lui-même mourra écrasé par la culpabilité », mais bien, il vivra par la foi, par la confiance en Dieu. Trop facile, invitation à se tourner les pouces, bien sûr que non, puisque vivre, c’est être en mouvement. Il nous faut réentendre les premiers versets, la Bonne Nouvelle est puissance de salut, puissance de libération, elle nous sort de notre inertie…
Jésus vit par la foi
Une troisième interprétation possible porterait sur l’identité du juste. Dans le Nouveau Testament, celui qu’on appelle le Juste, c’est Jésus. Par la foi, je découvre que Jésus est vivant et, en découvrant que Jésus est vivant, j’entre dans la foi. C’est bien ce que dit une des premières et plus simples confessions de foi chrétienne : « Jésus est le Seigneur », « Jésus est vivant ».
Ainsi la foi n’est pas une œuvre dont je pourrais me prévaloir, une vertu que je pourrais revendiquer devant Dieu, la foi, c’est ce cadeau qui m’est accord et qui me permet de dire avec Job, « mon rédempteur est vivant » ; la foi, c’est ce don qui me permet de reconnaître qu’au-delà de la croix, au-delà de tout ce qui me crucifie, au-delà de toutes es malédictions, de toutes les fatalités qui me terrassent, Jésus est vivant pour moi, en moi. Il est vivant, celui qui me donne toute ma valeur. Il est vivant celui qui m’aime et me relève, celui qui me délivre et me guérit. Il est vivant celui qui me témoigne de la fidélité de Dieu. Il est vivant et cette Bonne Nouvelle, cet Évangile vient transformer ma vie.
Frères et sœurs, cette Bonne Nouvelle nous délivre de nos hontes et de nos illusions de justice, elle nous donne un regard juste sur nous-même, un regard juste sur les autres. Cette Bonne Nouvelle est puissance qui nous guérit, nous délivre et nous fait vivre.
Amen
Photo by Samuel Zeller on Unsplash
Pasteur de l'Eglise Réformée de France, amateur de jeux de société, de cinéma, de longues discussions
Voir le profil de Eric George sur le portail Overblog