D'un seul souffle

Publié le 20 Janvier 2019

D'un seul souffle

Prédication du 20 janvier 2019

I Corinthiens 12

 

Il y a diversité de dons et chacun le sien. Voilà qui paraît simple. Mais dès qu’on s’y arrête un peu les questions fusent, nombreuses. Je vous en propose quelques exemples :

 

  • qui discerne mes dons ? moi ? La communauté ? ceux qui ont le don de discerner les dons ? Suis-je appelé à discerner les dons des autres ?
  • Nos compétences sont-elles toutes des dons ? Est-ce qu’un don réclame de l’entraînement, une pratique régulière ?
  • est-ce qu’un don est une spécialisation de chacun sur laquelle il faut se concentrer ou  bien est-ce que ça dépend de la situation ? est-ce qu’il y a des gens qui parlent toujours avec sagesse, connaissance ? (et cela signifierait que l’Esprit Saint est captif de ce qu’il a donné, des canaux qu’il a choisis.  Ou bien est-ce que dans chaque situation quelqu’un peut porter une parole de sagesse, connaissance… inspirée par l’Esprit Saint ? mais alors somme-nous des marionnettes interchangeables que par son Esprit, Dieu manipule à sa guise ?

 

J’espère que vous les avez notées pour en discuter tout à l’heure à table, par exemple… Sans doute en parlera-t-on un mardi soir lors de notre partage consacré à la lettre aux Corinthiens. On pourrait aussi organiser une consultation paroissiale, poser ces questions dans les différents lieux d’Eglise, au cours des visites, proposer aux gens de venir s’exprimer sur le sujet au Centre Huit... Bref, vous le voyez, en travaillant ce texte, j’étais quelque peu habité, troublé, peut-être hanté par l’actualité de notre pays. Et du coup, c’est un autre aspect du texte qui a retenu toute mon attention

« Or à chacun la manifestation de l'Esprit est donnée pour l'utilité commune »

 

Une utilité commune

L’utilité commune – d’autres traductions disent le bien commun - j’ai l’impression que c’est une notion qui a été bien oubliée, ces temps-ci et qu’à défaut d’idéaux, ou même d’idéologie, on ne voit plus s’affronter que des intérêts particuliers.

Mais qu’est ce qu’est l’utilité ou le bien commun, est-ce que c’est un bien prédéfini, posé par Dieu que nous aurions à atteindre ? Est-ce que c’est quelque chose que nous aurions à définir à inventer ensemble ? Quelle que soit notre réponse, la tentation est grande de revenir aux luttes d’idéologie que j’évoquais à l’instant. L’un s’élèverait en prétendant savoir ce qu’est le bien commun, un autre rétorquerait que lui sait ce qui est utile à tous et nous nous retrouverions à pousser nos arguments les uns contre les autres, à suivre l’un, à rejeter l’autre…

Et encore, là je pars du principe que les représentants de ces idéologies cherchent sincèrement le bien de tous et que leurs thèses ne sont pas juste une manière pour rassembler les foules autour de leurs intérêts particuliers…

Mais dans le texte original, le « bien commun », c’est un verbe, c’est le participe présent de sumferw,  « porter ensemble ». Ce qui signifie qu’il n’y a pas un bien, une utilité qui nous permettrait de nous rassembler mais que le fait même de nous rassembler serait le bien, l’utilité.

Mais si nous rassembler est le but et non pas le moyen, s’il n’y a même pas un but commun, comment nous rassemblerions-nous ?

 

Des dons pour servir

Eh bien revenons à cette diversité de don et observons deux choses.

La première chose : c’est que tous les dons qu’évoque Paul ont un point commun, ce sont des dons qui permettent ou qui rétablissent la relation. C’est évident pour les dons de parole, d’écoute et d’interprétation, mais on peut l’affirmer également du don de la foi : qu’est ce que la foi sinon notre relation à Dieu ? Les miracles sont des signes, donc de la communication et dans la Bible, les guérisons sont la réparation d’une relation.

Tous les dons qu’évoque Paul nécessitent quelqu’un d’autre, si je parle, il me faut quelqu’un pour m’écouter, si j’écoute, si j’interprète, il faut quelqu’un pour parler. Bref, les dons de l’Esprit ne nous permettent pas de nous suffire à nous-mêmes, ils nous rendent les autres indispensables.

Deuxième chose : tous ces dons sont assimilés à un service : diversités de dons = diversité de service. Donc le rôle d’un don, ce n’est pas d’être utile à celui ou à celle qui l’a, c’est d’être utile aux autres. Paul nous invite a revoir une question essentielle, à ne plus nous demander « quel est mon intérêt ? quel est notre intérêt ? à quoi cela me sert-il, à quoi cela nous sert-il ? » mais « qui vais-je pouvoir servir ? » « qui allons-nous pouvoir servir » ?

L’important dans la notion de service, ce n’est pas l’effort, ce n’est pas la peine que cela nous coûte. Tant mieux si servir nous paraît facile ! Tant mieux si cela nous procure de la joie ! L’important dans la notion de service c’est que ce soit l’autre qui soit au centre de ma préoccupation.

Luther l’avait bien compris, l’humain pécheur, c’est l’humain recourbé, centré sur lui-même et en Jésus Christ, Dieu nous appelle à nous déplier, à nous décentrer.

Parce qu’il est au service de l’autre, le don est en même temps une grâce, un cadeau qui m’est fait, la grâce d’être utile, de servir et un envoi, une mission qui m’est donnée.

 

Un seul souffle

Et tous ces dons n’arrivent pas de nulle part, j’allais dire ne tombent pas du ciel, mais en fait, si, précisément. Ces dons, Paul le martèle viennent d’un seul et même Esprit. En fait, Paul dit d’un seul et même souffle, le mot grec que nous traduisons par Esprit, c’est pneuma, qui a donné pneu, pneumatique…

Ce mot de souffle, m’évoque pour parler de l’Esprit Saint, une autre image, une expression de notre vocabulaire de tous les jours : le courant passe entre nous. Je n’ose pas trop parler de courant d’air, mais j’aime bien cette idée de mobilité invisible. L’Esprit qui rassemble l’Eglise, c’est ce courant qui passe entre nous, qui dépasse nos affinités, nos goûts communs, nos convictions communes.

 

Des débats au dialogue

Frères et sœurs, il y a bientôt 20 ans, notre Eglise lançait une grande initiative « 2000 débats, débats 2000 ». Aujourd’hui 2000 débats traversent notre société, le grand débat institutionnel lancé par notre président, les petits débats spontanés, désordonnés qui se vivent sur les ronds-points… Le débat d’après mon dictionnaire, consiste contradictoirement quelque chose, avec un ou plusieurs interlocuteurs. L’idée d’un débat, c’est de convaincre au bout du compte son interlocuteur ou au moins le public du débat. Il faut qu’une idée l’emporte.

J’avoue que j’aime assez ça, sans doute trop, même. De toute façon, nous en avons tous conscience, que nous aimions ou pas cela, nous allons être pris, comme participants, comme public, dans ces débats qui traversent notre société. Je veux croire que chacun y assistera, y participera comme chrétien… (C’est-à-dire en pensant comme moi… Je plaisante bien sûr) Y participera comme chrétien c’est-à-dire dans l’amour et donc le respect authentique de son interlocuteur, de son contradicteur, c’est-à-dire aussi, en n’oubliant pas que nous sommes pécheurs, que notre raison humaine est frappée de folie et que nous ne sommes donc jamais très sûrs d’avoir raison. Ou qu’il n’est jamais si certain que nous ayons tort que quand nous sommes sûr d’avoir raison. Et puisque nous savons que nous sommes mûs par un souffle, ayons l'audace de la légèreté, de l'humour.

Oui, sans doute, les uns ou les autres nous entrerons dans ces débats, et avec chacun de nous, l’Eglise y entrera. Cela veut dire qu'elle ne parlera pas d'une seule voix. Ce n'est pas grave. La seule chose que l'Eglise ait à proclamer d'une seule voix c'est que Jésus Christ est le Seigneur. 

Mais si l'Eglise entre dans ces débats, je voudrais que ces débats n’entrent pas dans l’Eglise. Pour l’Eglise, je voudrais autre chose. Je voudrais que notre Eglise soit le lieu ou circule la parole, la parole des frères et des sœurs et la Parole de Dieu. Je voudrais que notre Eglise soit le lieu où, lorsque j’écoute l’autre, ce ne soit pas pour juger la validité de son raisonnement où y trouver la faille, mais pour le plaisir de l'entendre, de le découvrir et pour entendre la Parole que Dieu m’adresse à travers lui, à travers elle.

Une parole qui circule, une parole qui passe à travers, vous savez comment ça se dit en grec ? A travers, c’est « dia » et la parole c’est logos.

Oui, Frères et sœurs qu’au cœur de ce monde en débat, l’Esprit nous pousse à être ensemble, en communion, en Eglise, le lieu du dialogue.

 

Amen

Rédigé par Eric George

Publié dans #Bible, #I Corinthiens, #Esprit, #débat, #dialogue, #don, #service

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