Une Eglise du système D et du recyclage

Publié le 12 Février 2019

Une Eglise du système D et du recyclage

Luc 5, 1 à 11

On intitule souvent ce texte la pêche miraculeuse ou l’appel des premiers disciples… En fait on pourrait aussi l’appeler « Le grand recyclage » ou « Le grand système D » : après une partie de pêche ratée, une barque y est transformée en chaire d’enseignement, un échec y devient miracle,  des pêcheurs bredouilles y sont transformés en pêcheur d’hommes et un homme pécheur est transformé en apôtre.

Parmi tous ces recyclages, je voudrais m’arrêter sur le jeté de filet et sur celui des deux barques.

Du geste quotidien au geste de foi, de l’espérance à la confiance

Oui, le jeté de filet est un des recyclages du texte, Simon-Pierre, lui-même, le dit : « on y a déjà trimé toute la nuit, on s’est déjà donné du mal, et c’était pour rien. » C’est donc bien un recyclage, un recommencement et une transformation puisque cette fois, le geste va porter du fruit.

Et qu’est ce qui permet de recommencer ce geste et de le transformer, là encore, c’est Simon-Pierre qui répond « sur ta parole ». Alors, de quelle parole s’agit-il ? Est-ce de l’ordre que Jésus donne « avance vers les eaux profondes et jetez les filets » ? Ou bien, le pêcheur parle-t-il de l’enseignement que Jésus a donné avant – je précise tout de suite que même si Luc n’en dit rien, il me paraît assez peu probable que l’enseignement de Jésus ait consisté en des conseils de pèche ?

Sans doute les deux… Mais est-ce que c’est l’enseignement que Jésus a donné qui fait penser à Pierre qu’il y a quelque chose qui se dégage de ce type qu’il a pris dans sa barque et que, peut-être, ça vaut le coup de faire ce qui dit ? Peut-être…Mais ce pourrait-être aussi l’inverse, ce pourrait être cette irruption de son quotidien, de son travail dans la parole de Jésus qui vient valider pour Simon tout le reste de son enseignement. Après tout, combien de prêcheurs, de penseurs, de théoriciens osent à ce point entrer dans le domaine du concret…

Luc ne nous fait pas entrer dans la tête de Pierre, nous devons donc nous en tenir à sa parole, le geste du quotidien est devenu un acte de foi. Mais vous connaissez peut-être cette définition de la folie : la folie consiste a refaire toujours la même chose en escomptant un résultat différent. Or, le geste de Simon-Pierre et de ses compagnons ressemble beaucoup à cela. Mais Paul l’avait constaté bien avant nous : au regard de la sagesse humaine, la foi et la folie se ressemblent souvent beaucoup.

Or ce geste quotidien qui devient un acte de foi, nous le voyons régulièrement dans notre Eglise, je pense aux lettres envoyés par les membres et sympathisants de l’ACAT ; je pense à celles et ceux qui s’engagent dans l’entraide, une petite coque de noix sur un océan de pauvreté ; je pense à celles et ceux qui se lancent dans l’accueil des migrants ; et à l’intérieur même de l’Eglise, je pense aux moniteurs et monitrices de caté, je pense aux conseillers presbytéraux, aux pasteurs et sans doute encore tant d’engagement. Tous, nous témoignons plutôt des moments de joie, de la fois où on a remonté une sardine assez grosse pour boucher le port de Marseille, ou en tout cas, on a fait bonne pêche., on a fait de belles rencontres, on a reçu un beau témoignage de reconnaissance, ces moments où l’on s’est senti utile.

Mais comme Simon-Pierre, nous pouvons bien avouer, reconnaître qu’il y a des moments où c’est difficile, des moments où ça ne marche pas, des moments de fatigue, de peine et d’usure. Je crois que c’est important de vivre et de dire aussi ces moments là, car ils nous rappelle qu’à la source de notre action, de notre engagement, il n’y a pas tant l’espoir d’un résultat que la confiance en une parole. Simon-Pierre sait bien qu’aujourd’hui, ce n’est pas le bon jour, que le poisson est rare, que jeter le filet ne servira à rien. Il sait bien tout cela, mais il croit.

Les deux barques : lever un malentendu sur l’élection

L’autre recyclage, c’est celui de la barque : une barque devient chaire d’enseignement. Finalement, c’est assez fréquent dans la Bible, les enfants sont partis entendre l’histoire d’un berger devenu roi, nous avons vu un pêcheur devenir apôtre et pierre de base d’une Eglise, la stérile Sarah est devenue mère d’un peuple, le bègue est devenu prophète et un prince d’Egypte est devenu libérateur des hébreux… Et les objets n’y échappent pas, des bâtons deviennent des serpents, des serpents deviennent des remèdes, une mangeoire devient un berceau et la croix, instrument de torture et de mort devient le salut de l’humanité toute entière. Bref, Dieu est un adepte du système D.

C’est un peu plus qu’un plaisanterie ou une "punchline". Cela veut dire que nous ne sommes enfermés par aucun déterminisme, ni ceux de notre histoire personnel, ni ceux de notre profession, ni même ceux de nos qualités ou de nos défauts.

Je voudrais que nous nous attardions un peu sur l’autre barque, celle dans laquelle Jésus n’a pas choisi de monter. Avec cette deuxième barque, nous sommes devant un autre classique de la Bible : la question de l’élection. Bon, quand je fais remarquer que Jésus a choisi une des deux barques, on me répond « Ben oui ! Tu aurais voulu qu’il mette un pied dans chaque » Bon, je me demande un peu comment les peintres auraient représenté la scène mais là n’est pas la question. Après tout, Luc aurait pu passer cette autre barque sous silence. Mais on comprend pourquoi il ne l’a pas fait, en effet, elle va revenir dans le récit cette deuxième barque : parce que la barque choisie par Jésus, la barque élue ne suffira pas à remonter la pêche miraculeuse.

J’y vois un enseignement sur l’élection : nous sommes parfois gênés par ces nombreux récits où Dieu choisit entre deux sans qu’on comprenne les critères de ce choix (nous avons même parfois tendance à inventer nous-même ces critères histoire de défendre Dieu en chargeant au maximum la personne non choisie). Mais le récit des deux barques me paraît proposer une issue plus conforme aux récits bibliques. En effet, une seule des barques a été choisie pour une mission particulière, celle d’être la chaire, le pupitre de Jésus. Mais cela ne signifie pas que l’autre barque soit rejetée ni qu’elle n’ait aucun rôle à jouer. Et si on lit attentivement les récits d’élections dans la Bible, on voit qu’il en est souvent de même, celui ou celle qui n’a pas été choisi n’est pas exclu pour autant, certes il n’a pas la mission de l’élu mais on lui découvre bien souvent un autre rôle à jouer.

En nous racontant l’appel de Pierre et la pêche miraculeuse, Luc nous raconte la naissance de l’Eglise. Et ce récit est programmatique, l’Eglise de Jésus Christ sera donc une Eglise du système D et du recyclage. Une Eglise du système D puisque, comme une barque peut devenir une chaire, chacun peut se voir appeler à une mission autre que ce à quoi le discernement humain l’avait dit destiné. Une Eglise du recyclage puisque ce qui a été cassé, abîmé ou tout simplement usé peut se découvrir une nouvelle jeunesse, une nouvelle utilité. Une Eglise du système D et du recyclage, c’est-à-dire une Eglise qui permet de dire les fragilités, les échecs dans la confiance que cela peut se transformer en autre chose. Une Eglise du système D et du recyclage, c’est-à-dire une Egise qui confesse que de la mort peut surgir la vie. Une Eglise du système D et du recyclage, c’est-à-dire une Eglise de la résurrection.

Frères et sœurs, je voudrai maintenant vous laisser avec une question, qu’advient-il de la pêche miraculeuse ? Que ferons-nous de cette abondance laissée sur nos rivages ?

Je vous invite à la prière

Devant toi, Seigneur, nous pouvons reconnaître nos échecs, nos lassitudes

Devant toi, nous pouvons reconnaître nos fautes et notre péché

Parce que, toi, tu vois plus loin que nos limites

Parce que, par ta Parole, tu transformes nos coeurs

Parce que, par ta Parole,tu rends féconds nos gestes quotidiens

Maintenant, par toi

Nous pouvons voir cette pêche abondante laissée sur nos rivages

Nous pouvons voir cette moisson à laquelle tu nous invites

Donne-nous de transformer ce monde qui nous entoure

Par nos regards, par nos paroles, par nos gestes.

Amen

Rédigé par Eric George

Publié dans #Bible, #Luc 5, #Appel, #Recyclage, #élection, #déterminisme, #Simon-Pierre, #pêche

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C
Très bel article, très intéressant et bien écrit. Je reviendrai me poser chez vous. A bientôt.
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