Changement de régime
Publié le 31 Mars 2019
A partir de la parabole dite du fils prodigue interrogeons nous sur notre faim de la Parole de Dieu, notre chemin vers Dieu et notre exil
Prédication du 31 mars 2019 sur Luc 15 1-3 et 11-32
Un père avait deux fils et cette histoire ouvre -tellement de lectures… Ce matin, je voudrais que nous la laissions nous poser trois questions : quelle est notre faim ? quel est notre voyage ? quel est notre exil ?
En lisant le passage du livre de Josué, je me suis demandé pourquoi il avait été ainsi accolé à la parabole du père prodigue. Le seul point que j’ai trouvé, c’est le changement d’alimentation.
Alors, je ne suis pas convaincu qu’il faille recevoir la parabole comme un plaidoyer pour passer des caroubes au veau gras. Je voudrais que nous réfléchissions à ce qui nous fait changer de régime, à ce qui nous fait accepter de laisser entrer la Parole de Dieu dans notre alimentation
J’y vois trois grands types de raisons, une obligation (médicale par exemple, ou financière), une prise de conscience (de la question écologique, de la souffrance animale ou tout simplement de la souffrance de notre corps) ou bien un voyage.
Toutes ses raisons se retrouvent pour le fils prodigue : sa vie est en danger, il entre en lui-même et mesure la conséquence de son départ, et il part en voyage.
Et nous ? Qu’est-ce qui nous pousse à changer de régime ? Qu’est ce qui nous pousse vers ce complément alimentaire, ce nouvel assaisonnement, ce met inconnu : la Parole de Dieu ?
Est-ce le fruit d’une prise de conscience ? Nous avons vu que ce que nous mangeons - c’est-à-dire ce dont nous vivons, ce que nous faisons entrer en nous, ce dont on nous gave aussi parfois - ne nous nourrit pas, ne comble pas nos besoins. Nous avons vu peut-être que le pain que nous donne ce monde nous pousse à faire du mal à l’autre, à le rabaisser, à voir en lui une menace ou un obstacle.
Est-ce une obligation ? Est-ce que cette Parole s’est imposée à nous – depuis notre enfance ou bien plus tard- et, aujourd’hui, nous ne voyons pas comment nous pourrions nous en passer ? Est-ce que les autres nourritures de ce monde nous laissent affamé ? Ou carrément est ce que ce dont les autres semblent se nourrir nous empoisonne et nous tue ? Bref, est-ce que vivre de la Parole de Dieu est pour moi une nécessité, une question de vie ou de mort ?
Ou bien tout simplement, avons-nous eu besoin d’ailleurs, envie d’autre chose. Est-ce un appel au voyage qui nous a poussé à recevoir cette Parole comme un nouveau continent à explorer, comme un nouvel éclairage porté sur le monde ?
Quelle que soit la raison qui nous ait poussé à ce changement de régime, nous pouvons nous reconnaître dans ce fils dit prodigue. Et, en regardant vers le frère aîné, nous pourrions bien aussi découvrir que ce changement de régime pourrait venir d’un père, ou d’une mère mendiant d’amour, nous suppliant de prendre part à son repas, de nous joindre à sa joie.
Mais je voudrais m’arrêter un instant sur le voyage. C’est aussi un thème important de la parabole, on y entend beaucoup de mouvement, d’entrée et de sortie.
On peut répartir les voyages en deux grandes catégories : il y a les voyages aller et les voyages retours. (En fait, il y a aussi l’itinérance mais elle ne me semble pas présente dans la parabole.)
Le voyage du second fils vers la maison de son père est évidemment un retour. Il rentre à la maison. Mais on pourrait lire aussi son voyage comme un voyage aller. Il était fils avec ses droits, ses prérogatives, la part d’héritage qui lui revenait et dont il a fait ce qu’il a voulu et, dans son projet, il part, il se met en route vers la vie d’un employé livré totalement au bon vouloir du maître.
Et nous ? Comment comprenons-nous notre chemin vers Dieu ? Est-ce que nous l’envisageons comme un départ, nous sortons de chez nous pour aller vers un horizon nouveau, vers un Royaume nouveau.
Ou bien, est-ce que nous le comprenons comme un voyage de retour. Nous sommes étrangers dans un monde où notre place n’est pas évidente, dont les règles nous empêchent d’être pleinement ce que nous sommes. Et nous aspirons à rentrer chez nous, dans un lieu, dans un environnement où nous nous sentirons totalement à notre place.
Ces deux visions du chemin vers Dieu se trouvent dans la Bible, pas seulement dans la parabole du père prodigue mais dans toute la Bible, le voyage des hébreux peut se lire comme un aller vers une terre promise et comme un retour d’exil.
Arrêtons-nous encore un peu sur la question de l’exil. En effet, je pense que dans la parabole, les deux fils sont exilés.
Le plus jeune a choisi de s’exiler, il a voulu être autonome, se donner sa propre loi, marcher sur ses propres voies, jusqu’à découvrir que cela le conduisait à la mort. Mais l’aîné ne vit-il pas aussi une forme d’exil ? Ne se voit-il pas finalement comme un employé de son père ? Entendons ce dialogue
Tu ne m’as même pas donné un chevreau !
Mais tout ce qui est à moi est à toi !
Finalement les deux frères se ressemblent beaucoup, la seule différence c’est que l’un a demandé sa part et l’autre n’a jamais osé la demander, aucun n’a jamais compris que tout était à eux (c’est pour cela que je parle de père prodigue), que la maison du père n’était pas leur prison mais leur maison.
Et nous, quel est notre exil ?
Comme Paul, est-ce que nous faisons ce terrible constat « le bien que je veux, je ne le fais pas et le mal que je rejette, je le fais ! Qui me délivrera ? ». Nous sentons-nous prisonnier, captifs de nous-mêmes, loin du chemin de vie que Dieu veut pour nous ?
Ou bien vivons-nous sous la surveillance sévère d’un maître exigeant, dont nous ne nous sentons jamais capable de contenter les attentes, que nous implorons toujours d’être indulgent ?
Frères et sœurs, quelle est notre faim ? quel est notre voyage ? quel est notre exil ?
Les réponses à ces questions sont propres à chacun d’entre nous.
Que dans notre faim, la parabole nous dise la bonne nouvelle d’un père qui nourrit ses enfants, celui qui a plongé dans la misère, celui dont l’estomac est retourné de colère.
Que dans notre voyage, la parabole nous dise la bonne nouvelle d’un père qui sort vers chacun de ses enfants.
Que dans notre exil, la parabole nous dise la bonne nouvelle d’un père à qui nous manquons, un père qui guette inlassablement notre retour, un Dieu qui nous voit comme ses enfants et non comme ses serviteurs, un Dieu qui nous dit : "bienvenue à la maison !"
Amen
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