"Aux malheureux, le mépris !"

Publié le 5 Avril 2019

"Aux malheureux, le mépris !"

Quelle est notre attitude face aux cris de ceux qui souffrent ? Pourquoi la plainte de l'autre nous est-elle une agression ? Le livre de Job nous ouvre quelques pistes

Prédication du jeudi 4 avril 2019, diaconesses de Reuilly

Job 12, 1 à 10

 

Lorsque je prie, je suis la risée des hommes. C’est un constat que la Bible fait souvent. Mais ici, les rieurs, les moqueurs ne sont pas les impies ou les idolâtres, se sont les religieux, les gens bien.

Si nous sommes habitués, peut-être aux moqueries des impies, de incroyants, est-ce que la moquerie des gens bien, des religieux, bref des gens comme nous, est encore d’actualité ? Est-ce que cette opinion des gens satisfaits a toujours cours « Aux malheureux, le mépris ! »

 

Récemment, une formule a été pas mal répétée : La France est un paradis peuplé par des gens qui se croient en enfer.

 

C’est peut-être exact, parfaitement documenté, je n’ai pas fait de recherches particulières, mais même exact, parfaitement démontré, je trouve que face à la plainte, face à la colère, c’est un argument complètement inintelligent, absurde, et même peut-être un peu obscène.

D’abord parce qu’il est opposé à des gens qui se plaignent par des gens qui vont mieux qu’eux. Face à quelqu’un qui dit « je n’arrive pas à joindre les deux bouts, la fin du mois est difficile et elle commence tôt ! » il y a un brin d’indécence à dire « mais voyagez un peu ! »

Mais surtout, et là, j’en viens au texte : « il y a des gens qui vont plus mal que vous, qui sont plus à plaindre » ça n’a jamais consolé personne. Et heureusement, en fait. Vous imaginez : « ah oui, en effet, je suis couvert de plaies et d’ulcères mais savoir que mon voisin est encore plus accablé que moi, ça me remonte le moral ! ».

Mais, me direz-vous, il ne s’agit pas de consoler mais de relativiser. Mais justement, la souffrance ne se relativise pas. Je pense à ce sketch d’un humoriste :

Tu préfères, tu préfères avoir la grippe toute ta vie - tu ne guéris jamais- ou à vie, tu as trente canards qui te suivent partout, mais partout. Essayer de relativiser la souffrance pour répondre à la plainte, c’est demander à Job : qu’est ce qui est le pire, la perte de tes fils ou celle de tes filles ?

La souffrance ne se relativise pas, au moment où l’on souffre, on est incapable de comparer. La plainte n’est pas du domaine du rationnel.

C’est pour cela qu’elle se transforme parfois en violence, cette violence qui advient lorsque l’on ne peut plus s’exprimer rationnellement. C’est aussi pour cela que même quand elle ne se transforme pas en violence, nous vivons la plainte de l’autre comme une agression.

 

Elle nous agresse quand elle vient d’un proche parce que nous sommes mis devant nos limites, voire notre impuissance à l’aider. Elle nous agresse quand elle vient d’un inconnu parce qu’elle nous met devant l’insupportable possibilité de la souffrance. Alors, comme moyen de défense, nous déployons tout l’arsenal de notre intelligence, comme les amis de Job, nous cherchons à expliquer : « tu l’as sûrement mérité », « c’est une épreuve que tu dois surmonter » et à cet arsenal, nous avons ajouté une arme de plus : « ça pourrait être pire ». En fait, aucun de ces arguments ne vise l’apaisement de la souffrance, ni la consolation, le but de ces arguments, c’est de faire taire la plainte. Et vous voyez l’escalade, à l’agression de la plainte, nous répondons par l’agression d’un raisonnement qui vise à l’étouffer.

Et cela explique l’ironie mordante, féroce de Job contre ses amis venus au départ le consoler.

 

Mais toute plainte est-elle légitime ? Il me semble difficile de répondre puisque, précisément, avec la plainte on n’est plus dans le domaine de la raison. J’ai un peu l’intuition qu’il faudrait envisager la question sous l’angle de la durée. Lorsque je me cogne un orteil contre un meuble, sur le coup, je suis pleinement fondé à me plaindre, une heure après, à moins de m’être cassé le pied, sans doute moins et deux jours après… Mais je suis convaincu que celui qui se plaint ne peut jamais s’entendre dire que sa plainte n’est pas légitime. Il peut le réaliser par lui-même mais pas se l’entendre dire. Et puis, cela pose une question : qui suis-je pour dire à l’autre que sa souffrance n’est pas réelle ? Suis-je à sa place ? Suis-je Dieu qui sonde le cœur et la pensée de l’homme ?

 

Et puisque Dieu arrive, il est temps d’aller un peu au-delà de la condamnation du mépris dont nous faisons trop souvent preuve face à la plainte. Il nous faut aller un peu plus loin que les quelques versets que nous venons de lire.

Si Job est féroce avec ses amis, s’il demande que Dieu vienne s’expliquer avec lui, il reconnaît toutefois que seul Dieu a le droit de faire taire sa plainte. Et Dieu va répondre à Job, il va mettre Job face à ses limites, face à la petitesse de son intelligence. A ce Job qui s’affirme innocent, irréprochable, il va dire « Ne va pas si vite ! » Pour autant la conclusion du livre est sans ambiguïté : le SEIGNEUR dit à Elifaz de Témân : « Ma colère flambe contre toi et contre tes deux amis, parce que vous n’avez pas parlé de moi avec droiture comme l’a fait mon serviteur Job.

« Maintenant prenez pour vous sept taureaux et sept béliers, allez trouver mon serviteur Job, et offrez-les pour vous en holocauste tandis que mon serviteur Job intercédera pour vous. Ce n’est que par égard pour lui que je ne vous traiterai pas selon votre folie, vous qui n’avez pas parlé de moi avec droiture comme l’a fait mon serviteur Job. » Elifaz de Témân, Bildad de Shouah et Çofar de Naama s’en furent exécuter l’ordre du Seigneur, et le Seigneur eut égard à Job. (Job 42, 7-8)

Ainsi, la plainte, le cri de celui, de celle qui souffre ne se justifie pas par son bien-fondé, par la clairvoyance qui s’y exprime, elle ne se justifie pas par l’innocence, la justice ou l’impeccabilité de qui se plaint,  ce qui justifie la plainte, c’est qu’elle est reçue et donc validée par Dieu. En revanche faire taire celui qui souffre, étouffer sa plainte, ça, c’est une folie.

 

La deuxième bonne nouvelle, c’est qu’il est vain de faire appel à notre intelligence face à celui qui souffre. C’est une bonne nouvelle parce que nous nous sentons généralement désemparés, nous ne savons pas quoi dire, nous n’avons pas les mots. Et là, il nous faut remonter dans le livre de Job Les trois amis de Job apprirent tout ce malheur qui lui était advenu et ils arrivèrent chacun de son pays, Elifaz de Témân, Bildad de Shouah et Çofar de Naama. Ils convinrent d’aller le plaindre et le consoler. Levant leurs yeux de loin, ils ne le reconnurent pas. Ils pleurèrent alors à grands cris. Chacun déchira son manteau, et ils jetèrent en l’air de la poussière qui retomba sur leur tête. Ils restèrent assis à terre avec lui pendant sept jours et sept nuits. Aucun ne lui disait mot, car ils avaient vu combien grande était sa douleur. (Job 2, 11)

Elifaz, Bildad et Cofar avaient bien commencé leur accompagnement, c’est dommage qu’ils aient ouvert la bouche. Mais il est possible de nous tenir aux côtés de qui a mal, sans avoir à donner de conseil, d’explication, sans chercher par nos mots à calmer la douleur.

 

Enfin, sortons complètement du livre de Job et, avec l’apôtre Paul, voyons quelle réponse le Nouveau Testament lui a donné : Moi-même, quand je suis venu chez vous, frères, ce n’est pas avec le prestige de la parole ou de la sagesse que je suis venu vous annoncer le mystère de Dieu. Car j’ai décidé de ne rien savoir parmi vous, sinon Jésus Christ, et Jésus Christ crucifié. (I Co. 2, 1-2)

« Aux malheureux, le mépris ! » disent les gens de bien, les gens satisfaits mais nous qui bientôt célèbrerons Pâques, nous affirmons que ce sont les malheureux que Dieu rejoint quand il rejoint l’humanité, nous affirmons que l’Evangile, la Bonne Nouvelle commence dans la plainte de la Croix.

 

Amen

 

Photo by Tom Pumford on Unsplash

Rédigé par Eric George

Publié dans #Bible, #Job, #Plainte, #Mépris, #accompagnement

Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article