Entre César et Dieu
Publié le 20 Octobre 2020
Est-il permis de payer l'impôt à César ? A partir d'une question piège, Jésus nous fait réfléchir sur la laïcité, sur le discernement et sur la souveraineté de Dieu... Prédication du dimanche 18 octobre 2020 sur Matthieu 22, 15 à 22
Ce matin, même si le récit parle d’impôt, de pièce de monnaie, je ne parlerai pas d’argent… Parce que la question posée par les pharisiens et les hérodiens, c’est « est-il permis »… et c’est donc la question de l’autorité qui est posée. Quelle autorité doit prévaloir, celle de César ou celle de Dieu ?
Cette semaine, en travaillant sur le texte de ce matin, je trouvais déjà que cette question se posait de manière aussi vive à notre époque qu’à celle de Jésus. Vendredi, le meurtre de Samuel Paty, professeur d’histoire-géographie à Conflans Saint Honorine, assassiné pour avoir, dans le cadre d’un cours sur la liberté d’expression, montré des caricatures du prophète Mohamed vient confirmer de manière atroce que cette question peut même être meurtrière. Toutefois, ce matin, je ne parlerai pas de liberté d’expression ni de blasphème, le texte que nous avons entendu pose seulement la question de l’autorité, celle de César, celle de Dieu et de la tension entre les deux.
Et puisque nous avons choisi de fêter la Réformation ce matin, je voudrais pointer qu’en cette occasion l’Evangile nous parle de trois éléments importants pour notre protestantisme, il nous parle en effet de laïcité, de libre examen et de souveraineté de Dieu (dite aussi « à Dieu seul la gloire »)
Une question piège
L’évangéliste Matthieu est très clair : cette question est un piège tendu à Jésus par une alliance contre-nature entre hérodiens et pharisiens, deux courants qui ne s’entendent pas vraiment… Le piège est simple, si Jésus interdit de payer l’impôt à César, il se pose comme rebelle à l’Empire, s’il l’autorise, il se pose comme collaborateur de la puissance occupante…
Mais, même posée de bonne foi, cette question de l’autorité reste une question piège, non pas au sens où on chercherait à faire faire un faux-pas à celui qui répond mais dans le sens où elle oblige celui à qui elle est posée à s’engager.
La question des pharisiens et des hérodiens m’évoque une question-piège que l’on pose actuellement aux croyants « la loi de votre Dieu est-elle supérieure à la loi humaine ? »
En tant que croyant, comment pourrais-je répondre autrement que par oui, oui la loi de Dieu est supérieure aux lois humaines. Oui, mon devoir de chrétien est de désobéir à une loi humaine qui contreviendrait au commandement de mon Dieu. Dans une société démocratique, je crois que cette désobéissance se doit d’être une désobéissance civique, c’est-à-dire une désobéissance qui accepterait la sanction encourue, dans l’espoir de faire bouger les lignes, de faire changer la loi. Sous une dictature, il en irait tout autrement, pensons simplement à Bonhoeffer, à l’action de la Cimade durant la dictature nazie…
Même s’il n’y a pas de romains dans ce récit, seulement les représentants de trois courants du judaïsme de cette époque qui discutent entre eux du rapport à l’autorité de César, je voudrais soulever que cette question est aussi un piège pour un état laïc. Comment un état laïc qui ne reconnaît aucun culte, qui prône la séparation des Eglises et de l’état pourrait-il se mêler de faire le tri entre bonnes religions (dont la loi est compatible avec celle de l’Etat) et mauvaises (dont la loi est incompatible avec celle de l’état).
Plus encore, puisqu’au sein d’une religion, nous ne comprenons pas tous la loi de Dieu de la même manière. Comment un état laïc pourrait-il faire le tri entre bon membre d’une religion et mauvais ?
Un état laïc ne se soucie pas de la place de la loi de Dieu, son rôle est de poser et de faire respecter une loi humaine.
Et, protestants, notre histoire nous dit combien il est dans notre intérêt de vivre dans un état laïc, un état qui garantit la liberté de culte dans le cadre d’une loi non religieuse.
Le discernement et le libre examen
Mais si Jésus dénonce une question piège, il accepte néanmoins d’y répondre. Tout d’abord en appelant ses interlocuteurs à examiner les choses par eux-mêmes : qu’y a-t-il sur cette pièce de monnaie ? Quand, en tant que chrétiens, nous discutons sur un évènement politique, sur une loi, nous devrions d’abord observer les faits, c’est cela, nous demander ce qui est gravé sur la pièce de monnaie.
Mais la pièce de monnaie, Jésus ne la tire pas de sa poche ! Il demande à ses interlocuteurs de la lui montrer. Et ce faisant, il les conduit à s’examiner eux-mêmes : s’ils portent sur eux la pièce destinée à payer l’impôt à César, c’est qu’ils ont déjà répondu à la question.
Et nous sommes appelés à nous examiner nous-mêmes… Cette loi de Dieu que je prétends imposer aux autres, est-ce que je la laisse conduire ma vie ? Ce Cesar que je prétends rejeter, à quel point est-ce que j’accepte son système lorsque ça m’arrange ?
En se faisant montrer cette pièce de monnaie, Jésus nous invite à examiner les faits et nous-mêmes…
Qu’est ce qui est à Dieu ? Qu’est ce qui est à César
Enfin, il y a cette célèbre parole que l’on cite souvent à moitié. Rendez à César ce qui est à César et à Dieu, ce qui est à Dieu. Parole qui suscite une question, qu’est ce qui est à César ? Qu’est ce qui est à Dieu ? Jésus ne répond pas, il nous laisse le soin de discerner.
Et je pourrais, peut-être le devrais-je, m’arrêter là, laissant à chacun ce discernement. Mais sans vous priver de cette liberté, sans vous dédouaner de cette responsabilité de l’examen personnel, je voudrais risquer une réflexion.
La pièce de monnaie est frappée à l’effigie de César mais à quelle effigie, César est-il frappé ?
« Dieu créa l’être humain à son image » nous dit le premier récit de la création, César est donc à l’image de Dieu, et donc il appartient à Dieu. C’est d’ailleurs ce que l’apôtre Paul écrit aux romains
1Que chacun soit soumis aux autorités établies ; car il n'y a pas d'autorité qui ne vienne de Dieu, et celles qui existent ont été instituées par Dieu. 2C'est pourquoi celui qui résiste à l'autorité s'oppose à l'ordre de Dieu ; ceux qui s'opposent attireront un jugement sur eux-mêmes. 3Les chefs, en effet, ne sont pas à craindre quand on fait le bien, mais quand on fait le mal. Veux-tu ne pas craindre l'autorité ? Fais le bien, et tu auras son approbation, 4car elle est au service de Dieu pour ton bien. Mais si tu fais le mal, crains, car ce n'est pas pour rien qu'elle porte l'épée : elle est en effet au service de Dieu pour faire justice, pour la colère, contre celui qui pratique le mal. (Romains 13, 1 à 4)
Ce qui appartient à César, aux autorités, c’est de dire le permis et l’interdit. En disciple de Jésus Christ, nous devrions arrêter d’exprimer notre foi en termes d’interdiction et de permission. Nous devrions entendre que ce qui appartient à Dieu, ce qui devrait nous préoccuper, c’est quelque chose de plus grand : c’est le cœur de l’homme, au sens biblique du terme, c’est-à-dire comme ce qui caractérise l’individu, ce qui fait de lui un être humain. C’est ce cœur qui appartient à Dieu qui veut le transformer, le rendre vivant et aimant. Et voilà ce que Paul écrit aux galates.
Quant au fruit de l'Esprit, c'est : amour, joie, paix, patience, bonté, bienveillance, foi, douceur, maîtrise de soi ; aucune loi n'est contre de telles choses. ( Galates 5, 22-23).
Alors Paul n’est pas idiot ni aveugle, il sait très bien que bien des lois humaines vont contre de telles choses, je rappelle que l’autorité à son époque s’incarnait dans un certain empereur Néron, pas spécialement un sympathisant de la cause chrétienne… Mais ce que Paul nous dit, c’est que quand une loi s’oppose à l’amour, joie, paix, patience, bonté, bienveillance, foi, douceur, maîtrise de soi, elle cesse d’être une loi.
Frères et sœurs, il paraît que le protestant est un anarchiste qui traverse dans les clous… Peut-être est-ce comme cela que se traduit aux yeux du monde, le fait de rendre à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu : respecter les lois humaines, tout en sachant qu’une loi est plus grande.
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