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Les vignerons, la violence et l'absence

Les vignerons, la violence et l'absence

Quand une parabole nous propulse dans un film de gangsters, Jésus nous parle de notre rapport à violence et à l'absence...

Matthieu 21 (33-43) (d’après Soeur Jeanne d’Arc)

 Une autre parabole ! Entendez : Il était un homme, un maître de maison. Il plante une vigne, l'entoure d'une clôture, il y fore un pressoir et bâtit une tour. Il la loue à des vignerons et part au loin.

Quand est proche le temps des fruits, il envoie ses serviteurs aux vignerons pour prendre ses fruits. Les vignerons prennent les serviteurs : l'un, ils le battent, l'autre, ils le tuent, l'autre, ils le lapident.

De nouveau il envoie d'autres serviteurs, en plus grand nombre que les premiers. Et ils leur font de même.

Après, il envoie vers eux son fils, en disant : “Ils respecteront mon fils.”

Mais les vignerons, en voyant le fils, disent en eux-mêmes : “Celui-ci, c'est l'héritier ! Allons-y ! Tuons-le ! Nous aurons son héritage !”

Ils le prennent, le jettent hors de la vigne et le tuent.

 Eh bien, quand viendra le seigneur de la vigne, que fera-t-il à ces vignerons-là ? »

 

Si vous aimez Scarface, Les affranchis, ou autres films de gangsters, si vous suivez les aventures de Vito Corleone ou de Tony Soprano, cette parabole est faite pour vous. Ce matin, nous ne parlerons pas de petits moutons, de petits oiseaux ou de petites fleurs, ce matin, la parabole nous entraîne dans le sordide : dans la violence et l’appât du gain

Jésus nous raconte une histoire de bandits et d’assassins. A tel point, que quand nous avons travaillé ce texte dans le groupe des amitiés bibliques, certains se sont demandé si le propriétaire de la vigne ne voulait pas se débarrasser de son fils, pour l’envoyer comme ça à des assassins qui a deux reprises avaient massacré ceux qu’il leur envoyait…

Et c’est vrai que son attitude est étrange, ses serviteurs se font massacrer, il n’envoie pas une troupe en arme, mais juste des serviteurs plus nombreux. Peut-être espérait-il que le nombre serait dissuasif, ben c’est raté. Que fait-il alors ? Il envoie son fils, seul… Pas besoin d’être conspirationniste pour se poser deux ou trois questions sur son attitude…

Et Jésus interroge son auditoire, nous interroge : quelle sera la fin du film, quand le maître viendra, que va-t-il faire ?

Sans le protocole sanitaire et les masques, je passerais le micro dans l’assemblée. Et nous, que pensons-nous que le maître, le Seigneur de la vigne fera ? Je vais quand même vous laisser un peu de temps pour imaginer la suite…

 

***

Voici la suite du texte

Ils lui disent : « Ces méchants, méchamment il les perdra ! La vigne, il la louera à d'autres vignerons qui lui rendront les fruits en leur temps. »

Pour l’auditoire de Jésus, et, je pense, beaucoup parmi nous, la réponse est évidente : ça va barder pour le matricule de ces assassins.

Continuons notre lecture

Jésus leur dit : « Vous n'avez jamais lu dans les Écrits : “La pierre rejetée par les bâtisseurs, celle-là est devenue tête d'angle. Du Seigneur cela vient : c'est merveille à nos yeux” ? Aussi je vous dis : À vous sera enlevé le royaume de Dieu, et il sera donné à une nation qui en fera les fruits. Quiconque tombera sur cette pierre s'y brisera, et celui sur qui elle tombera, elle l'écrasera» Quand les grands prêtres et les pharisiens entendent ses paraboles, ils connaissent qu'il parle d'eux-mêmes.

 

Les paraboles parlent de nous

          Je pense que nous sommes au moins aussi réceptifs que les grands prêtres et les pharisiens aux paraboles et que comme eux, nous entendons, nous connaissons qu’elles parlent de nous.

          Conseillers presbytéraux, paroissiens de Versailles, visiteurs, sommes-nous des vignerons assassins ?

 

La violence

          En fait, il vaudrait mieux s’interroger sur la violence, telle que ce récit en parle. Je vais partir du principe que nous ne frappons pas, ne lapidons pas et ne tuons pas les gens et qu’au moins, si nous le faisons, nous savons déjà que nous ne sommes pas en accord avec la volonté de Dieu.

          Mais, dans cette histoire, se manifestent d’autres formes de violence.

          L’humain réduit au rang de ressource.

          Le propriétaire de la vigne envoie son fils, les vignerons ne voient que l’héritier. C’est là la source de la violence, dans l’humain, ils ne voient plus que la source d’un profit. Les faits divers continuent à nous montrer que la parabole s’inscrit bien dans le réel… Mais puisque nous ne sommes pas tellement concernés par le brigandage et le banditisme, je voudrais que nous nous demandions si cette vision de l’humain comme source de profit n’existe pas aussi dans le monde du travail. Par exemple, que dit ce terme officiel de « ressources humaines » ? Et dans l’Eglise, sommes-nous tout à fait à l’abris de cette tentation ? Nous nous réjouissons de voir nos assemblées nombreuses, et c’est  bien humain. Mais rappelons-nous que Jésus parlait plus facilement de ses brebis que de son troupeau. Rappelons-nous que chaque visage, chaque nom, chaque histoire est bien plus importante que le nombre que nous sommes. Or, dans une assemblée nombreuse, il n’est que plus difficile de donner son importance, sa place à chacun.

          L’exclusion

Les vignerons s’emparent du fils et le jettent hors de la vigne. Cela pourrait sembler un moindre mal, mais c’est en fait une violence réservée au propriétaire légitime de la vigne et un premier pas vers la mis à mort. Pensez à Caïn et Abel qui sortent dans les champs… Et nous devrions nous demander qui nous excluons, qui nous chassons de cette vigne qui nous a été confiée, la Bonne Nouvelle, l’annonce du Royaume de Dieu, que ce soit par nos paroles, par nos actes ou par nos omissions, que ce soit volontairement ou non. Nous devrions même nous demander si celles et ceux que nous excluons ne sont pas les propriétaires légitimes, Jésus l’affirmait « les collecteurs d’impôts et les prostituées entreront avant vous dans le Royaume de Dieu »

L’annonce du Dieu méchant

Une autre manifestation de la violence, c’est dans la réponse de l’auditoire à la question de Jésus : « Ces méchants, méchamment il les perdra ! ». Je le soulignais déjà, ce n’est pas la réponse de Jésus, mais c’est bien souvent la nôtre. Il nous paraît logique que la violence vienne répondre à la violence, et que finalement le seigneur se montre encore plus méchant que les vignerons, bref que ceux-ci réussissent à le faire entrer dans leur logique, dans leur loi, dans leur cycle. Témoignons-nous d’un Dieu punisseur, vengeur, un Dieu effrayant, qui vient occuper la plus haute place dans la pyramide du rapport de force, ou témoignons nous du Dieu de Jésus-Christ, qui fait de la pierre rejetée par les bâtisseur, la pierre angulaire, avec un brin d’anachronisme, je dirais, la clé de voûte, un Dieu qui préfère relever la victime que punir les assassins.

 

Mais en voyant l’actualité, en pensant au Liban, à l’Arménie, je me dis qu’il est temps que celles et ceux qui tombent, qui sont rejetés soient relevés. Et nous arrivons à la deuxième thématique de la parabole, celle de l’absence.

      

L’absence

         

          Et, à propos d’absence, je vais vous parler du Conseil Presbytéral, mais pas seulement… Pendant le confinement et surtout pendant le déconfinement, le Conseil Presbytéral s’est retrouvé un peu tiraillé entre deux tendances, certains expriment leur hâte à un retour à la normale, et souhaitent que le plus possible on maintienne nos habitudes, d’autres essayent d’inventer des manières nouvelles d’être dans cette contrainte. Mais dans ces deux tendances, dans ces discussions, parfois dans ces affrontements, je vois une volonté commune, ou plutôt un refus commun, le refus de l’absence.

          Eh bien, ce refus de l’absence, nous inscrits dans la ligne du seigneur de la vigne. Jésus ne nous dit pas pourquoi le propriétaire s’est éloigné de la vigne dont il avait pris tellement soin. Et nous ne pouvons que nous interroger sur cet éloignement, sur cette absence.

          En revanche, la parabole nous dit que s’il est absent, le maître multiplie les envois, les contacts. Le but du premier contact est assez logique, il s’agit de recevoir sa part, ses fruits. Sur le deuxième envoi des serviteurs, la logique nous conduit à penser que le but est le même, mais on l’a vu, il vaut mieux se méfier un peu de notre logique humaine, surtout que l’envoi du fils est accompagné d’une réflexion « ils respecteront mon fils », le but n’est plus du tout la récolte, c’est la relation humaine, comme si le but du propriétaire était de restaurer la juste relation.

          Eh bien, pendant ce temps étrange, fatigant, les conseillers presbytéraux, mais pas seulement eux, se sont vécu comme ces serviteurs, envoyés par le maître pour maintenir, restaurer, réinventer une relation. Je ne sais pas si, alors, nous avons pensé à la parabole. Mais nous nous sommes sentis envoyés, sans savoir si nous reviendrions chargés de fruits, ni même si nous serions bien reçus.

 C’est sans doute une petite chose, comparé aux catastrophes, aux drames que j’ai cités, mais nous le savons, fidèles dans les petites choses, on nous en confie de grandes…

          C’est pourquoi, même si ce temps est compliqué, troublé et troublant, j’affirme que nous pouvons être reconnaissants, car l’Esprit de relation et de service a soufflé sur notre Eglise.

 

Conclusion

          La croix écrase notre violence

          Mais une bonne histoire de gangsters, ça se termine dans une explosion de violence, et visiblement, Jésus le savait…

Quiconque tombera sur cette pierre s'y brisera, et celui sur qui elle tombera, elle l'écrasera

          Qui est ce que cette pierre brise ? qui est ce qu’elle écrase ?

En entendant, cette parabole, tous, nous sommes stupéfaits par l’attitude de ce propriétaire qui multiplie les envois vers les meurtriers, allant jusqu’à envoyer son fils. Nous somme stupéfaits, en lisant la Bible, par ce Dieu dont le peuple se détourne sans cesse mais qui sans cesse revient vers eux. Nous sommes stupéfaits par ce Dieu qui nous rejoint dans notre humanité et se laisse conduire à la croix pour mourir dans une parole de pardon. Nous sommes stupéfaits par ce Dieu qui toujours souffle son Esprit sur son Eglise si souvent fragile, si souvent traître à sa Parole. Nous sommes stupéfaits par ce Père qui toujours nous pardonne, nous aime et nous conduit.

          Oui, frères et sœurs, l’amour de Dieu manifesté sur la croix vient écraser nos esprits de violence et de défiance, nos cœurs désespérés viennent se briser sur sa grâce.

          Le Seigneur est proche de ceux qui ont le cœur brisé, il sauve ceux dont l’esprit est écrasé.

Ps 34, 19 (cité à propos de cette parabole par A. Nouis)

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À propos
Eric George

Pasteur de l'Eglise Réformée de France, amateur de jeux de société, de cinéma, de longues discussions
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