Les pierres crieront
Publié le 30 Mars 2021
Au milieu de la joie de la foule, une peur se fait entendre, un conseil de prudence. A cette peur, Jésus répond "S'ils se taisent, les pierres crieront !" : une menace, un constat, une promesse ?
Prédication du 28 mars 2021 au Centre Huit à Versailles
Luc 19, 28 à 40
Faut-il fêter les Rameaux ? Non ce n’est pas une question de protocole sanitaire (même si nous en avons discuté). C’est une vraie question : Faut-il se réjouir avec une foule qui, une semaine plus tard, criera : “A mort ! crucifie-le !” ? C’est une question qui est posée dans ce texte, une question à laquelle Jésus prend le temps de répondre.
“Si ceux-ci se taisent, les pierres crieront.” qu’est-ce que cela peut vouloir dire ? C’est a priori une image, comme lorsque les psaumes nous disent que les arbres des champs battent des mains ou que les montagnes sautent de joie… Mais que signifie cette image ? que crieraient les pierres ?
Et nous sommes face à deux possibilités. Si la foule se tait, les pierres crieront de joie à sa place. Ou bien les cris de joie de la foule seront remplacés par le cri de colère des pierres. Alors quel est ce cri des pierres ?
En faveur du cri de colère, on trouve une citation comparable chez le prophète Habacuc : Même les pierres des murs crieront pour vous accuser, et les poutres des charpentes leur feront écho (Habacuc 2, 11). De plus, le cri des pierres peut évoquer une image plus concrète, celle de la violence. Nous sommes dans un pays où la lapidation est le mode de mise à mort, dans un pays occupé où les émeutes ne sont pas rares, alors le cri des pierres. Et de tous temps, les dirigeants savent qu’il faut parfois laisser un peu de soupape. C’est l’histoire des carnavals et des fêtes des fou au moyen-âge. Et ça continue aujourd’hui. D’ailleurs, les parents le savent aussi avec leurs enfants, il est bon de donner un peu de mou à la bride, parfois…Enfin, ce qui suit directement le texte, c’est l’annonce de la ruine de Jérusalem et ce dialogue entre Jésus et les pharisiens pourrait être une transition entre la fête des Rameaux et la tension beaucoup plus forte de ce qui va se passer à Jérusalem et conduire à l’arrestation et à la mise à mort de Jésus.
En faveur du cri de joie, eh bien, d’abord ce qui va contre le cri de colère. D’abord, je ne sais pas vous, mais moi, faire la fête, crier de joie sous la menace, je ne trouve pas ça terrible. L’image d’un Jésus qui, comme un dictateur, ordonnerait qu’on le célèbre sous peine de ruine et de mort, me gêne un peu… Ensuite, je suis toujours un peu gêné quand on réduit le message de Jésus à une sagesse politique, à des questions de stratégie. Je crois que l’Evangile est tellement plus qu’un guide de stratégie politique… Enfin, l’annonce de la ruine de Jérusalem que j’ai déjà mentionné comme un argument en faveur du cri de colère. En effet, la foules a crié de joie, a célébré l’entrée de son roi mais quand Luc écrit ces lignes, Jérusalem est détruite, les pierres ont crié. Alors si non seulement Jésus menace pour qu’on le célèbre mais qu’en plus sa menace s’accomplit même si on a fait ce qu’il disait..
Et puis en faveur du cri de joie des pierres, un argument venant du texte : ce ne serait pas la première fois que l’Evangile affirme que les pierres peuvent prendre la place des humains quand ceux-ci ne jouent pas leur rôle : “de ces pierres, Dieu peut susciter une descendance à Abraham” disait Jean à ceux qui se croyaient que tout leur était dû car ils descendaient d’Abraham (Luc 3, 8)
Alors, cri de colère ? cri de joie ? Si ce matin, je penche vers le cri de joie, vous voyez que le texte résiste et je ne prétendrai pas ce matin résoudre la question. D’ailleurs faut-il trancher entre les deux possibilités ? Pas sûr. Que les pierres crient de colère ou de joie, l’important, c’est qu’elles crient et que ce cri réponde à la remarque des pharisiens.
Les pharisiens, ah ! Alors, au bout de quelques années de caté, vous avez sans doute bien acquis le réflexe : les pharisiens, ce sont les méchants de l’histoire ou du moins, ce sont ceux qui s’opposent à Jésus. Eh bien là, ce n’est pas si sûr. Luc nous précise que ce sont quelques pharisiens qui viennent trouver Jésus. Des pharisiens qui se trouvaient parmi la foule en joie… Des pharisiens qui appellent “maître”. Bref, on peut supposer que ces pharisiens font partie de ceux qui suivent Jésus. Après tout, les pharisiens, c’est un courant du judaïsme qui affirme que l’obéissance à la loi de Dieu dans son coeur, dans la vie quotidienne est plus importante que les rituels et la pratique religieuse. Cela n’est pas étranger ni opposé au message de Jésus. Rien de surprenant à ce que certains pharisiens aient suivi Jésus, aient écouté son enseignement.
Et ces pharisiens qui suivent Jésus ne viennent pas pour museler ni pour censurer, ils ne réprimandent pas celles et ceux qui crient leur joie. Ils viennent trouver Jésus avec un conseil de bon sens. Fais taire tes disciples. En effet, en pleine occupation romaine, sous un Ponce Pilate connu pour ne faire aucun cadeau aux rebelles à Rome, se faire acclamer comme un roi en entrant dans Jérusalem, ce n’est pas forcément la meilleure idée du monde. Et puis, on peut aller plus loin, si les pharisiens suivaient Jésus, ils ont entendu Jésus annoncer qu’il montait à Jérusalem pour y mourir. Comment dès lors peut-on faire de cette entrée une fête ? Ce sont des gens intelligents, ils savent bien que la situation politique n’est pas bonne, que les foules sont versatiles et que Jésus a lui-même annoncé sa mort. Du coup, faut-il fêter les Rameaux ? Les pharisiens qui suivent Jésus ne sont pas forcément contre, on peut fêter les Rameaux, marquer l’entrée de Jésus dans Jérusalem, mais… discrètement.
Et cette petite voix des pharisiens qui suivent Jésus, nous la connaissons tous, c’est celle du bon sens, c’est la petite voix qui murmure dans notre cœur que le message de Jésus est très beau, mais qu’il faut y aller raisonnablement. Aime ton prochain comme toi-même, mais de loin. Aimez vos ennemis, mais à condition qu’ils fassent le premier pas. Pardonne ceux qui t’ont offensé, enfin, il y a quand même des choses impardonnables. Nourris ceux qui ont faim, bien sûr, dans la mesure de mes moyens et de mon envie… Oui, on peut fêter les Rameaux, mais discrètement ! Oui, on peut vivre l’Evangile, mais discrètement.
Il y a tant de peur, tant d’égoïsme qui viennent me calcifier. Quand Dieu m’appelle, comme la femme de Loth, je m’accroche du regard à tout ce que j’ai et qu’il me faut laisser derrière moi et je me transforme en statue de sel. Quand Dieu m’appelle, je vois le monde se dresse devant moi comme la gorgone Méduse et si j’ose y plonger mon regard, je me pétrifie de peur. Mon cœur s’enferme dans une gangue de pierre.
Et Jésus me dit : Les pierres crieront. Et j’entends le prophète Ezechiel : Je vous donnerai un coeur nouveau, et je mettrai en vous un esprit nouveau; j'ôterai de votre corps le coeur de pierre, et je vous donnerai un coeur de chair. (Ez 36, 26)
Frères et sœurs, l’impossible a déjà eu lieu et il se reproduira, notre Dieu nous décalcifie, il nous dépétrifie, il nous rend vivant. La promesse de Pâques s’accomplit déjà aux Rameaux. Notre cœur de chair reprend vie et éclate dans notre poitrine !