Muettes de peur... et pourtant
Publié le 4 Avril 2021
La conclusion courte de Marc est très loin de l'annonce triomphale du Ressuscité. Et pourtant...
Prédication du 4 avril 2021. Dimanche de Pâques
Elles ne disent rien à personne, parce qu'elles ont peur. C’est sur ces mots, sur cette peur que se terminait probablement l’Evangile selon Marc, avant que les premières communautés, trouvant peut-être cette fin pas très vendeuse, pas très mobilisatrice, décident de le compléter, pour le faire terminer sur une note plus positive, plus triomphale.
Pourtant, elle est intéressante cette conclusion courte de Marc, toute centrée sur la peur des femmes, leur inquiétude en chemin, leur effroi dans le tombeau vide et cette peur qui les rend muettes.
Elles se disent entre elles : « Qui va rouler pour nous la pierre à l'entrée de la tombe ? » Le matin de Pâques commence dans une inquiétude très pratique. Et cette inquiétude, nous la mesurons bien ces temps-ci où tout devient tellement plus compliqué. Mais, justement parce que tout devient plus compliqué, il devient évident que le spirituel n’est jamais désincarné. Pour permettre la prière, l’écoute de la Parole, le chant, la communion, il y a toujours un travail à faire, des portes à ouvrir, des lieux à rendre accueillant… Et ces temps-ci, la charge de cette incarnation, l’inquiétude qu’elle implique devient plus visible. Salomé et les deux Marie devraient nous évoquer celles et ceux (très souvent celles, quand même) qui portent ce service et cette préoccupation et prendre au sérieux le poids de ce qui est accompli, prendre au sérieux aussi l’impossible qui est parfois demandé.
Inquiétude pratique en chemin, et dans le tombeau, effroi. Dans la Bible, l’effroi est une réaction normale devant l’œuvre de Dieu. Mais ici, de quelle œuvre s’agit-il ? Le tombeau est ouvert, le corps n’y est plus et un jeune homme vêtu de blanc s’y trouve. Les femmes n’assistent donc à rien de surnaturel, pas d’ange brillant de lumière roulant la pierre, pas d’apparition du Ressuscité. Une explication rationnelle serait très simple à donner. Mais Marie, Marie et Salomé sont effrayées. Plus rien n’est à sa place.
Le corps de Jésus n’est plus là, et l’homme qui les accueille est jeune et vêtu de blanc, bref, il n’a rien à faire dans un tombeau, lieu de ténèbres et de mort…
Comme ces femmes, nous pouvons donc voir que l’œuvre de Dieu dans notre vie, ce n’est pas forcément les prodiges extraordinaires, les manifestations surnaturelles, mais le surgissement de la vie, c’est le déplacement, le dérangement, l’inattendu.
C’est un amour inexplicable, un pardon inattendu. C’est toujours magnifique, mais c’est aussi un peu effrayant, parce que cela bouscule nos vies bien ordonnées, cela nous fait perdre le contrôle. Je vais vous donner un exemple pratique. Nous sommes une petite Eglise, souvent frileuse, pas experte en communication ni en témoignage, nos pasteurs sont nuls (en tout cas celui d’avant était nul, le prochain sera très bien) et pourtant des hommes et des femmes se tournent vers nous, ils viennent trouver chez nous la Parole que Dieu leur adresse. C’est réjouissant mais c’est un peu effrayant aussi. Déjà parce que c’est surprenant : que s’est-il passé ? Mais aussi parce que ça nous oblige à sortir de nos habitudes, cela brise le ronron de nos rituels, cela nous oblige à parler une autre langue que la nôtre.
Même quand elle ne fait pas trembler la terre ni pleuvoir le feu, le surgissement de Dieu dans notre vie - je pourrais dire dans nos mausolées - a de quoi nous effrayer.
Enfin, nous pouvons aussi reconnaître en nous cette peur qui conduit les femmes au silence.
Tout d’abord : comment annoncer un message que l’on a soi-même du mal à croire. Nous l’avons vu, les femmes n’ont eu aucune preuve de la résurrection de Jésus. Elles l’ont vu mourir et porter en terre. Elles ont vu qu’on avait enlevé son corps. Mais est-ce assez pour proclamer « Il est vivant, il vous attend ! » ?
Ensuite, même si elles croient ce jeune homme, comment convaincront-elles les autres ? Le message est tellement énorme, tellement incroyable. Comment dire que la vie triomphe dans un monde marqué par la mort ? Comment dire l’amour gratuit dans le monde de la loi du marché ?
Enfin, comment annoncer alors qu’elles ne sont que des femmes dans un monde ou seule la parole des hommes est valable ? Et nous, comment pourrions-nous annoncer la Bonne Nouvelle alors que nous sommes si peu capables de la vivre ? Nous sommes tellement rongés par nos divisions, par nos doutes et par nos peurs…
Les femmes ne disent rien à personne, car elles ont peur. Et pourtant, l’annonce de la résurrection de Jésus sera faite aux douze et se répandra dans le monde entier. Parce que si la peur est constante dans ce texte, Dieu répond constamment à cette peur. La pierre qui inquiétait tant les femmes a déjà été roulée, la rédaction de l’évangile selon Marc prouve que la résurrection a bien été annoncée et dans le tombeau, le messager l’a bien dit « ne vous effrayez pas ». Mais je ne vais pas m’étendre sur ces réponses de Dieu car, à part l’annonce du messager, elle sont toujours hors-champs : on ne sait pas comment la pierre a été roulée ni comment l’annonce a été faite.
En revanche, continuons à regarder vers Salomé et les deux Marie, vers ces femmes endeuillées et transies de peur. En chemin, elles s’inquiètent d’une pierre trop lourde pour elles, et pourtant, elles ne font pas demi-tour Si Dieu a roulé la pierre, elles ont bien acheté les herbes aromatiques pour l’embaumement, leur inquiétude n’a pas tué l’espoir. Elles s’effraient de la présence d’un inconnu dans le tombeau, mais elles écoutent ce qu’il a à leur dire. Leur effroi n’a pas tué l’écoute. Elles ne disent rien car elles ont peur et pourtant la résurrection est proclamée. Marc ne nous raconte pas seulement comment la mort n’a pas empêché Jésus d’être vivant, il nous raconte aussi comment la peur n’a pas empêché trois femmes de devenir des témoins de la vie.
Frères et sœurs, ce matin, je ne vous dirai pas de ne pas avoir peur, je ne parlerai même pas de vaincre nos peurs ni de les dépasser. Ces temps-ci, nous avons de bonnes raisons d’avoir peur, de nous sentir faibles et démunis. Mais en ce matin de Pâques, en proclamant le Seigneur vivant, je veux l’affirmer, nos peurs et nos fragilités n’empêcheront pas l’Evangile de passer à travers nous. La pierre est trop lourde pour nous. Pourtant, elle a été roulée.
Amen
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La vidéo du culte. Attention, le son n'est pas bon.