Guetteurs sur un champ de ruines
Publié le 25 Décembre 2021
Sur les ruines de Jérusalem, les guetteurs voient se lever une espérance nouvelle. Un conte de Noël, façon Esaïe, une description de la mission de l'Eglise.
Prédication du 25 décembre 2021 sur Esaïe 52, 7 à 10
L'Eglise a-t-elle encore quelque chose à dire à Noel ? Avons nous quelque chose de neuf à apporter ? Ou bien participons-nous seulement à ce temps de pause à la fin de l'année. Faisons-nous simplement partie, avec nos chants, avec nos récits, du décor de ce temps sucré, de ce temps d'enfance, de ce temps de retrouvailles ?
Ce n'est d'ailleurs pas mal de faire encore partie du décor. En effet, en ces jours où, au cœur même de notre confort, il faut "sauver Noël", nous mesurons combien nous avons besoin de ce temps…
Mais la naissance de Jésus, l'avènement du Messie, Dieu qui nous rejoint dans notre humanité, est ce que ça ne mérite pas un peu plus que simplement faire partie du décor de nos fêtes ?
Du reste, sommes nous réellement disponible pour les bonnes nouvelles. Nous aimons en recevoir, bien sûr, mais nous marquent-elles ? Nous paraissent-elles aussi significatives que les mauvaises nouvelles ? N'estimons-nous pas qu'elles font partie du cours normal des choses ?
Alors, frères et sœurs, pardonnez-moi, mais ce matin, pas d'anges et pas de bergers, pas d'Hérode ni de mages venus d'orient. Ce matin, c'est Ésaïe qui nous raconte Noël en faisant de nous des guetteurs dans une cité en ruine…
Ne laissons pas nos sapins, nos guirlandes, nos réveillons et nos cadeaux nous cacher les ruines de notre cité.
En ce matin de Noël, osons regarder la situation pandémique, notre lassitude et notre inquiétude, nos projets tombés à l'eau, les sourires masqués, les retrouvailles et embrassades interdites, la crise économique qui pointe.
En ce matin de Noël, osons regarder les inégalités qui s'accentuent, source de haines, de peurs et de violences, de clivages toujours plus profond.
En ce matin de Noël, osons faire face à la catastrophe climatique annoncée, à notre incapacité à réagir, à sortir de notre inertie, à dévier de notre trajectoire de surconsommation.
Sommes-nous si éloignés que ça des ruines de Jérusalem ?
Au milieu de ces ruines, quelle est la place de l'Église ? Chrétiens, qu'avons-nous à apporter en ce temps de Noël ? Sommes nous appelés à participer au travail d'oubli et d'illusions ou bien serons nous des guetteurs sur ce champs de ruines ?
Des guetteurs sur un champ de ruines ? Mais pourquoi faire ?
Pour donner l'alarme au cas où l'ennemi ou d'autres pillards viendraient pour achever les survivants raser le peu qui reste ? Conscients de leur impuissance, ces guetteurs-là sont condamnés à l'effroi et au désespoir. Ils tremblent au moindre bruit. Un changement de mode les terrifie. L'apparition d'un nouveau pronom est pour eux signal de l'effondrement d'une civilisation. Une variation de couleur de peau, et ils se voient disparaître. Ils voudraient sauver ce qui reste mais ils participent à la ruine, à la haine et à la violence qui submerge tout.
Mais il est d'autres guetteurs. Ceux-là savent que le salut de la cité ne dépend pas d'eux. Ce qu'ils guettent, ce n'est pas le retour de l'ennemi, c'est la venue de leur Sauveur, c'est un signe d'espérance.
Et, au loin, venant des montagnes, les guetteurs d’espérance entendent un bruit de pas. C’est un bruit ténu, fragile… Un peu comme des voix de femmes annonçant un tombeau vide, un peu comme un marchand de voiles clamant un messie crucifié.
Pas sur les montagnes, voix dans le désert, pages d’un livre vieux de milliers d’années…
Et nos guetteurs d’espérance sentent leur cœur battre au rythme de ses pas qui s’approchent. Leurs yeux s’illuminent, leurs lèvres s’ouvrent et, au cœur des ruines, au milieu des lamentations monte un murmure joyeux. Et le murmure de quelques uns devient clameur de tous et ce qui était un champ de ruine éclate en cri de joie, un cri qui retentit jusqu’aux extrémités de la terre !
Frères et sœurs, guetteurs d’espérance sur un champ de ruines : j’aime cette image de l’Eglise.
Nous croyons que Dieu a rejoint notre humanité, que cette foi aiguise nos regards et nos oreilles pour percevoir tous les signes de sa présence, les regards d’amour et de pardon, les paroles d’accueil et de consolation, les gestes du soin et de l’attention. Nous qui vivons cette joie simple de nous retrouver ce matin pour chanter et célébrer Noël ensemble, peut-être avant des festivités plus familiales, peut être comme bouclier contre la tristesse et l’isolement, cette joie qu’elle nous fortifie, qu’elle éclaire notre vie, qu’elle envahisse nos pensées, qu’elle illumine nos visages, qu’elle transforme nos attitudes, qu’elle conduise nos actes et qu’ainsi elle devienne une clameur de joie grandissant jusqu’aux extrémités de la terre.
Alors, c’est de nous qu’on dira : « Qu'ils sont beaux, sur les montagnes, les pas de celles et ceux qui portent la bonne nouvelle »