Séismé.e.s de crainte et de joie
Publié le 19 Avril 2022
Une prédication à deux voix sur le chapitre 28 de l'Evangile selon Matthieu, lors de l'aube pascale chez les diaconesses de Versailles
MARION
Même si le réveil était un peu matinal, je me réjouis beaucoup de vivre ce temps d’aube pascale ici. Pour moi ça fait pleinement partie de la fête de Pâques, c’est une célébration particulière qui accompagne une journée particulière et qui contribue à lui donner son sens. C’est un peu, je crois, comme ces femmes qui au matin du premier jour de la semaine ont besoin de se rendre sur la tombe de celui qu’elles ont perdu quelques jours avant, s’inscrivant ainsi dans l’habitude de ce qu’on faisait alors pour rendre hommage à un défunt. Il n’y avait sans doute rien d’extraordinaire à leur visite au tombeau, mais c’est un rituel qui fait sens pour elles, tout comme ce temps vécu ensemble ce matin fait sens pour moi.
Avoir pris conscience de cela m’interroge : finalement, qu’est-ce que nous faisons quand nous célébrons Pâques ? Est-ce que ce n’est qu’un temps de notre année liturgique qu’année après année nous revivons toujours un peu de la même manière, nous réjouissant de célébrer à nouveau le vide du tombeau disant le plein de vie ?
ERIC
Oui, c’est un temps marqué de l’année, un rituel, mais est-ce un problème ? C’est étrange que notre Église ait autant de complexes vis à vis du rituel…. Le rituel autant que la nouveauté fait partie de la vie, pour qu’il y ait de l’extraordinaire, il faut bien de l’ordinaire… Et d’ailleurs, c’est précisément parce que les femmes viennent accomplir un rituel qu’elles assistent à un événement extraordinaire, et d’ailleurs l’ange ne leur reproche pas de chercher le vivant parmi les morts… Il les accueille dans leur rituel mais il leur dit ce qu’elles cherchent vraiment.
Si j’ai proposé que nous prenions ce récit dans Matthieu, c’est parce que ce matin, dans nos rituels de Pâque, j’avais envie, besoin de la plus percutante des annonces pascales. Les autres récits nous font découvrir qu’il s’est passé quelque chose et nous plongent dans l’intime d’une rencontre. Dans Matthieu, l’annonce pascale est vraiment martiale, le monde est séismé, comme le dit soeur Jeanne d’Arc [dans sa traduction]
MARION
Pourtant, notre monde ne manque pas de séismes ces temps-ci… Entre l’urgence climatique que ne cessent de nous rappeler les scientifiques et notre incapacité à changer vraiment de modèle, la pandémie qui a bousculé nos habitudes et continue à nous placer devant la fragilité de nos vies mais aussi de nos systèmes de santé, la guerre en Ukraine qui s’ajoute à tous les autres lieux de conflits mais nous secoue peut-être plus de par sa proximité… et oserais-je ajouter à cela les élections que nous vivons en ce moment et le flot de discours de haine, de rejet, d’accusations réciproques qu’elles nous amènent, il y a de quoi être séismés nous aussi.
ERIC
Justement, c’est à cause de tous ces séismes dont je finis par me demander parfois s’ils ne sont pas la marche normale du monde que j’avais envie d’entendre un récit triomphal de Pâques, un séisme qui s’oppose frontalement, manifestement à ces séismes. Un séisme que Matthieu nous raconte en trois temps :
- un ange descend, le messager de Dieu vient à nous
- il roule la pierre : il ouvre nos enfermement et nos murailles de haine et de peur
- il renverse les gardes, il neutralise les forces de mort et d’oppression mais sans les tuer, sans entrer dans la spirale de la guerre et de la mort
Et puis, vu la description de l’ange, c’est un séisme de lumière dans nos ténèbres
MARION
Ainsi il y a les séismes qui provoquent la crainte, parce qu’ils sont signes de dangers et de menaces ; et les séismes auxquels nous aspirons, parce qu’ils viennent renverser ce qui nous semble devoir l’être, parce qu’ils changent profondément les choses… en bien. Et pourtant, même les séismes que nous espérons, je crois qu’ils provoquent une forme de crainte. Ce n’est jamais simple de se laisser chambouler, d’être bousculé dans nos habitudes, de perdre les repères que nous connaissons. Il y a toujours une part de crainte quand on est confronté à l’inconnu. Je trouve d’ailleurs que la réaction des femmes à l’annonce de l’ange dit cela : c’est avec crainte et joie qu’elles courent annoncer la nouvelle aux disciples - les deux. Le texte ne nie pas que le bouleversement qu’elles vivent provoque chez elles, comme chez les gardes, un sentiment de crainte. Seulement là où la crainte des gardes les met à terre, le fait qu’elle soit pour les femmes accompagnée d’une grande joie les met en route.
ERIC
Il nous faut peut-être une parole extérieure pour mêler cette crainte de joie, et pour nous mettre en route. Comme les femmes reçoivent de l’ange cette parole qui les distingue des gardes : “Quant à vous, n’ayez pas peur”. Puis une parole qui les envoie, je dirai presque qui les “dé-fige” par rapport aux gardes, “allez vite” et elles se mettent en route vers les disciples.
Mais c’est en chemin qu’elles vont rencontrer celui que -d’après l’ange- elles étaient allées chercher au tombeau. Et cette rencontre contraste complètement avec l’apparition de l’ange. Jésus les rencontre et leur dit “bonjour”. Le tombeau était le lieu du spectaculaire, de la victoire de l’ange sur les forces de mort avec force son et lumière et la rencontre avec Jésus vivant se vit dans la simplicité et même la banalité d’une salutation au coin d’une rue…
Ce récit pascal se joue donc entre deux lieux : le lieu de nos peurs les plus profondes, de nos angoisses, de nos manques mais aussi de nos aspirations les plus folles, nos abîmes et nos sommets et l’ange de Dieu y vient et le lieu du quotidien, de la simplicité et Jésus nous y rencontre comme il rencontre les femmes simplement sur leur chemin.
MARION
Et dans l’intime de cette rencontre, c’est la consolation qui leur est donnée. Elles retrouvent ici celui qu’elles avaient perdu, celui dont elles étaient venu se souvenir et honorer dans leur visite au tombeau. D’ailleurs, elles espéraient peut-être trouver là, dans sa proximité, une forme de consolation. Mais c’est ailleurs qu’elle leur est donnée : c’est quand elle reprennent le chemin, quand elles sont missionnées pour être à leur tour actrices de quelque chose, quand elles sont envoyées pour porter une bonne nouvelle d’abord par l’ange, puis par Jésus lui-même, qu’elles sont en réalité consolées. Il ne s’agit donc pas de revenir à la situation d’avant, de retourner au confort de ce qu’on a toujours connu, mais bien de se tourner vers autre chose et de se mettre en mouvement pour participer à cet autre chose. En ce jour, cet autre chose n’est rien de moins que la victoire de la vie sur la mort, la possibilité qui nous est donnée de toujours nous relever, l’espérance d’un monde profondément chamboulé non pas par les œuvres humaines mais par celui qui nous veut et qui lui veut du bien.
ERIC C'est ta manière de dire la résurrection, ça ?
MARION
Oui en effet. C’est probablement dans ses mots là que je pourrais dire ce que la résurrection signifie pour moi… même si ce ne sont pas les mots qui nous ont été donnés pour la dire !
ERIC
L'ange a dit aux femmes : allez dire à ses disciples :
“Il s'est réveillé d'entre les morts.
Voici, il vous précède dans la Galilée :
là vous le verrez.”
Il leur a dicté ce qu'elles devaient dire. Jésus les charge du même contenu mais il ne leur dicte pas les mots… Maintenant qu'elles sont consolées, qu'elles sont devenues témoins, elles ont un message à porter dans leurs mots.
Les rituels dont nous parlions au début permettent peut-être cette transition. On reçoit une bonne nouvelle et des mots précis que l'on peut déjà partager, des mots, des gestes qui ne sont pas les nôtres - ce qui est souvent rassurant parce que ce n’est pas facile à dire, un séisme... Et puis, plus on s'approprie le message, la Bonne Nouvelle, plus elle nous rencontre et vit en nous, plus nous trouvons nos propres moyens pour la partager…
Alors ce matin, (frères ?) et soeurs, quels mots mettrons-nous sur notre consolation, sur ce séisme ? Comment partagerons-nous l’Evangile de Pâques avec celles et ceux qui nous entourent ? Comment leur dirons-nous : Il est vivant, il nous précède !