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Un geste qui fait grandir

Un geste qui fait grandir

A partir du lavement des pieds, une réflexion sur l'accueil et l'amour...

Prédication du dimanche 28 août

Baptême d'Adel

Jean 13, 1 à 17

Que cela ne donne pas d’idée à Adel, mais le lavement des pieds, m’évoque d’abord une désobéissance. En effet, Jean nous raconte un ordre que Jésus donne ses disciples et qu’à ma connaissance, aucune Eglise n’a jamais mis en pratique. Vous me direz que certaines Eglises pratiquent le lavement des pieds. En effet, mais à ma connaissance, aucune (et en tout cas ni l’EPUdF ni l’UEPAL, ni l’Eglise Catholique Romaine) n’accomplit ce geste d’amour et d’accueil commandé par Jésus (j’y reviendrai)

La raison de cette désobéissance n’est pas une raison pratique : « Jésus aime les siens jusqu’au bout ». Jean fait de ce geste un geste d’amour, or, obéir aux commandements d’amour, c’est pas trop notre truc, en fait. Dommage que ce soit les seuls commandements que Dieu nous donne…

En lavant les pieds de ses disciples, Jésus reprend un geste d'accueil connu à son époque, tant dans le monde juif que dans l’Empire Romain. En fait, ce geste d'accueil reproduisait lui-même un geste de soin que l’on faisait chez soi : quand on rentrait chez soi, après une journée de travail, on se lavait les pieds. Laver les pieds de son hôte, ou de façon plus courante, l'inviter à le faire, c'était une manière de lui dire "Tu es ici chez toi". Plutôt que de plaider pour une pratique rituelle du lavement des pieds, ce matin, puisque nous avons accueilli Adel dans l'Eglise, j'aimerais que nous réfléchissions à ce qu'accueillir veut dire, dans l'Eglise sans doute, mais aussi dans notre vie.

Et puisque l’évangéliste nous dit que ce geste de Jésus est un geste d’amour, demandons-nous comment faire de nos gestes d’accueil non pas des gestes conventionnels, des gestes de politesse mais bien des gestes d’amour

 

Tout à l'heure, je demandais quels sont ces gestes qui fait grandir ? Le lavement des pieds en est assurément un. Au moins de façon pratique, puisque pour laver les pieds de quelqu’un, il faut que je m'abaisse, ainsi la personne dont je lave les pieds devient plus grande.

Rendre quelqu'un plus grand, ce n'est pas une question de taille, ni de hiérarchie mais reconnaitre que l'autre est plus que ce que j'en vois, plus que ce que J'en connais, plus que le lien que j'ai avec lui avec elle, plus que la place qu'elle occupe chez moi. En reconnaissant l'autre comme plus grand que moi, je reconnais que je ne peux pas l'absorber, le contenir.

 

Laver les pieds de quelqu’un, c'est aussi tenir compte de son chemin, de son parcours, c'est voir sa fatigue, peut-être ses blessures." C'est important car nous sommes tentés d’accueillir l'autre pour sa richesse, pour ce qu'il nous apporte. C’est d'ailleurs avec ces arguments que nous plaidons pour l'accueil : "ils ont tant à nous apporter, à nous apprendre". Et c'est sans doute vrai.  Mais un geste comme le lavement des pieds nous met devant la poussière, la terre, la sueur et les blessures de celui, de celle que nous accueillons. Et c'est important dans l'accueil, dans l'amour, de voir aussi les faiblesses, les fragilités, les souffrances. C'est aussi reconnaitre l'autre dans ce qu'il est...

 

Et puis laver les pieds de quelqu'un, cela prend du temps. C'est peut-être pour cela que les Eglises n'en ont pas fait un rite, vous imaginez ce culte, si a plus du baptême d’Adel, de la Cène, nous avions eu un rituel de lavement des pieds... D'ailleurs, dans la culture de cette époque pour dire que quelque chose était fait à la hâte, avec désinvolture on disait "Pieds non lavés" Eh oui, accueillir, cela demande plus de temps qu'un numéro de téléphone pris à la sortie du culte, qu'une feuille de chou paroissiale donnée.

 

Enfin, et c'est l'attitude de Pierre et l’échange qui s’ensuit, qui nous le montrent, à moins d'user de violence ou de surprise, mais là on n'est plus dans l'accueil, mais bien dans l'agression, vous ne pouvez pas laver les pieds de quelqu'un sans son consentement. 

L'autre a le droit de ne pas vouloir être accueilli et il nous faut lui laisser clairement, explicitement, cette liberté, ce qui n'est pas toujours si facile. Pensons aux situations où nous nous sommes demandé si nous avions le droit, la possibilité de refuser de participer à tel ou tel rite, coutume… et demandons-nous quand nous mettons les autres dans ces situations en les invitant, en les accueillant…

D'ailleurs face au consentement enthousiaste de Pierre "Pas seulement des pieds, mais aussi mes mains et ma tête", Jésus pose une limite : les pieds, cela suffit. Accueillir l’autre, c'est aussi, c'est de toute façon, lui laisser sa zone intime, son espace privé.

 

J’ouvre une petite parenthèse liturgique

Si le lavement des pieds devenait un geste liturgique, il devrait se distinguer clairement du baptême. Le baptême nous dit l'amour de Dieu et je crois profondément que Dieu nous aime (et même nous sauve) malgré nous. C’est pour cela que nous baptisons des enfants avant qu’ils soient en âge de consentir. Le lavement des pieds lui serait de l'ordre de l'accueil dans l'Eglise et cela ne peut se passer de consentement.

 

Et puisque nous sommes dans la liturgie, je reprends ce que je disais au départ, je sais que le lavement des pieds se pratique dans certaines Eglises, je sais que le pape lui-même lave les pieds le Jeudi Saint. Pourtant, je n'en démords pas : à ma connaissance aucune Eglise n'obéit à l'ordre donnée par Jésus. Là où j'ai vu pratiquer le lavement des pieds, le pape, le prêtre, la/le pasteur, lave les pieds de fidèles. Il y a d'un côté celles et ceux qui lavent et de l'autre celles et ceux qui sont lavés. Et généralement, celles et ceux qui lavent sont les représentants d’une autorité Or, la consigne de Jésus, c'est « lavez-vous les pieds les uns aux autres ». Ce n'est pas un geste vertical fût-il descendant qui nous est demandé, c'est un geste horizontal. Et je crois que ça change tout...

Cela change tout, parce que plutôt qu’inverser la verticalité, on la supprime (l’occasion de se demander où sont les verticalités dans nos Eglises, dans nos relations)

Mais cela change tout de manière bien plus intime, bien plus profonde

Je peux considérer l'autre comme plus grand que moi, suis-je prêt à ce que l'autre me considère comme plus grand que lui ou qu'elle ?

Je peux prendre soin des blessures et des fatigues de l'autre. Suis-je prêt à le laisser, à la laisser découvrir et prendre soin des miennes ?

 

Je vous l'ai dit, je ne suis pas sûr qu'il nous faille faire du lavement les pieds un nouveau rituel d'Eglise mais plutôt laisser ce geste nous interroger sur la manière dont nous accueillons, dont nous aimons. Je crains que cette réflexion ait tendance à nous faire baisser les yeux, que nos constats n’aient rien de très glorieux. Mais nous pouvons regarder et nous inspirer des gestes de Jésus.

Pour laver les pieds de ses disciples, Jésus se déshabille -Et nous pourrions peut-être commencer par-là : perdre un peu de notre superbe, tomber un peu les masques, reconnaître que nous ne sommes pas très doués pour aimer, pour accueillir...

Pour laver les pieds de ses disciples, Jésus prend une bassine, un récipient, un objet creux qu'il remplit... Ce matin, dans ce vide que Jésus remplit d'eau vive, j'ai envie de me reconnaitre, de me rappeler que si je suis incapable d'aimer et de bien accueillir, lui m'a accueilli et aimé et que ça change la donne.

Pour laver les pieds de ses disciples, Jésus prend un linge… Ce linge, je le laisse à votre réflexion, à votre interprétation

Frères et sœurs, pasteur sollicité par des collègues, j’ai médité ce texte habité par nos échanges, notre rêve d’une Eglise aimante et accueillante.

Mais il me semble et j'espère qu’au-delà de l’Eglise, de nos ministères, le lavement des pieds nous dit sur l'amour et l'accueil peut éclairer beaucoup de nos rencontres.

Et parce que nous avons baptisé Adel ce matin, j'ajouterai que nos enfants nous apprennent beaucoup sur ces gestes d'amour et d'accueil qui nous font grandir…

 

Amen

Salle du chapitre, abbaye de Hambye

Salle du chapitre, abbaye de Hambye

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À propos
Eric George

Pasteur de l'Eglise Réformée de France, amateur de jeux de société, de cinéma, de longues discussions
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S
Il y a quelques années à Bois Colombes nous avons, lors d'une célébration œcuménique dans une église catholique pratiqué le lavement mutuel des pieds, pasteurs, prêtres et laïcs hommes et femmes en lieu et place de la Cène. Cela avait fait une très grosse impression.
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