Le Carême : un temps pour se perdre

Publié le 2 Mars 2023

Le Carême : un temps pour se perdre

Je lis ça et là, y compris sur les réseaux sociaux de mon Eglise, des injonctions à profiter du Carême pour me rapprocher de Dieu, ou chercher à le faire. Cela m'est étranger : car je ne crois pas pouvoir m'approcher de Dieu, et je ne crois même pas que cela soit nécessaire puisque Dieu s'est approché de moi. 

Tout au plus ai-je à être disponible à sa présence. Mais même cela, je ne suis pas sûr que cela dépende de moi. Dieu ne m'appelle pas à me rapprocher de lui, il se manifeste en m'appelant à le suivre. 

De plus, le Carême ne me semble pas le temps le mieux choisi pour parler de cette proximité de Dieu. En effet , les épisodes bibliques auxquels renvoient ces quarante jours de Carême n’évoquent pas vraiment la proximité de Dieu : les 40 ans d'errance du peuple hébreux avant d'entrer en Terre promise sont lus comme une condamnation, quant à Jésus , selon l'évangile de Matthieu, c'est pour y être tenté qu'il est emmené au désert. Bref, pas sûr que le désert du Carême soit le lieu rêvé pour vivre la proximité de Dieu ou s'approcher de lui…

Alors, comme beaucoup de protestants, devrais-je simplement ne pas tenir compte du Carême ? Il se trouve que j'aime l'année liturgique, j'aime l'idée de temps marqués, j'aime l'idée que la foi rythme ma vie, ou plutôt m'invite à marquer un rythme différent de celui du monde...

Lors de randonnée dans le désert, il est recommandé au touriste de se munir d'un sifflet quand il s'éloigne du groupe : le désert est le lieu où l'on se perd. C'est précisément ce que fait le peuple hébreux pendant quarante ans : il se perd. Le Carême pourrait être ce temps où je me perds, où je perds ce que je prends pour des repères, où je me décentre.

Et les différentes pratiques de Carême me semblent tout à fait pouvoir aller dans ce sens. 

  • Prier pour me détourner de moi-même, prier pour entendre une voix ou un silence qui ne viendrait pas de moi, prier pour laisser place à des paroles qui dépassent ma pensée, mon analyse…
  • Méditer pour réfléchir à ma course ou à mon train-train, méditer pour élargir mon champ de vision, mes conceptions
  • et pourquoi pas, vivre un temps de jeûne, un temps durant lequel la privation ne serait  pas de l’ordre du sacrifice offert à Dieu, ni de la mortification ou comme une ascèse pour une meilleure hygiène de vie… Mais une manière d'éprouver, au sens de ressentir mes dépendances, de soupeser mes chaînes, de mesurer à quel point j'en suis captif. Et de perdre ainsi un peu de ma superbe, de mon illusion d'être libre.

Bien sûr, tout cela n'a rien de méritoire, ni même de nécessaire. Mon Dieu me sauve même quand je ne sais pas ce que je fais. Je crois même que je ne prends jamais tant conscience de mes prisons que quand Dieu me délivre. 

Mais précisément, suivant le Carnaval, le Carême pourrait être ce temps où je laisse un peu tomber pour mes propres yeux le masque de la liberté et du contrôle, le temps de découvrir le désert, l’esclavage et la mort dont Dieu vient me sauver.

 

Rédigé par Eric George

Publié dans #carême, #Petite théologie pas très sérieuse, #désert

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