La lèpre de l'exclusion

Publié le 14 Février 2024

La lèpre de l'exclusion

Prédication du 11 février 2024 sur Marc 1, 40 à 45

Jésus combat-il la lèpre ou l'exclusion ?

De quelle lèpre suis-je atteint ? De quelle lèpre souffres-tu mon frère, ma sœur ?

Ce matin, en parlant de lèpre, je ne parlerai pas de médecine. Que celles et ceux qui représentent ici le corps médical me pardonnent mes approximations. « Tu peux me purifier ! » Non pas « Tu peux me guérir ». La lèpre dont il est question ici est avant tout une maladie sociale. Celles et ceux qui sont considérés comme lépreux ou soupçonnés de l’être sont chassés des villes, exclus du Temple, privés de relation que ce soit avec Dieu ou avec les humains…

 

Aujourd’hui, quand on est mis à l’écart, ostracisé, que ce soit à cause d’une couleur de peau, de la misère, de notre genre, de certaines maladies et en particulier de maladies psychiques, on dit plutôt « je me sens comme un pestiféré ». Autre lieu, autre maladie…

Mais je trouve que l’image de la lèpre correspond mieux finalement, en tout cas dans la représentation que l’on s’en fait … En effet, la lèpre est moins foudroyante que la peste mais…N’y a-t-il pas des morceaux de moi dans cette classe où j’ai été humilié, dans cette cour de récré où j’ai été moqué, dans cette réunion où j’ai été ignoré, de cette rue où j’ai été insulté ? Nous sommes alarmés par le suicide de ces jeunes victimes de harcèlement, n’oublions pas la souffrance de celles et ceux qui, grâce à Dieu, ne vont pas jusque-là… Chacune, chacun d’entre nous n’est-il pas marqué des mots durs et des jugements qui ont été posés sur lui ou sur elle ? des rejets ? des condamnations ?

Et quand nous sommes ainsi marqués, ainsi morcelés, émiettés, crions-nous vers Jésus : « Si tu le veux, tu peux me purifier ? »

 

Un homme l’a fait. Observons la réaction de Jésus. On pourrait la décomposer entre quatre temps : Jésus est ému, Jésus touche l’homme, Jésus purifie l’homme par sa parole, Jésus donne à l’homme une directive. Je préfère y voir trois temps.

Tout d’abord, « bouleversé, Jésus étendit la main, le toucha… », si nous associons la lèpre à l’exclusion, l’émotion et le geste doivent être liés. En effet, je sais que c’est dur à entendre, que ça peut paraître injuste mais face à une situation de harcèlement ou d’exclusion, rester neutre, ne rien faire, c’est, aux yeux de la victime, faire partie des harceleurs ou de celles et ceux qui excluent… Pour celui, pour celle qui est rejetée, humiliée, mise de côté, si elle n’est pas manifestée, notre émotion ne sert à rien, un soutien silencieux a peu de chance d’être entendu.

La chronologie est elle-même importante : Jésus touche le lépreux avant de le purifier, il remédie ainsi à la conséquence (l’exclusion) avant de remédier à la cause (la lèpre). Nous ne pouvons pas toujours remédier aux causes de l’exclusion mais il me semble que souvent nous pouvons lutter contre l'exclusion elle-même.

Jésus étendit la main et le toucha, dans ce étendit la main, je vois une sorte de sollicitation respectueuse : Jésus étend la main, il prend le temps de venir à la rencontre, au contact, il n’y va pas comme un bourrin. Même dans la meilleure intention du monde, un espace est laissé à l’autre, à son consentement…

        Enfin, Jésus le renvoya immédiatement en lui parlant avec sévérité. Et là si vous suivez, vous êtes en train de vous dire que soit vous avez raté un épisode, soit c’est moi. Pas d’inquiétude, je reviendrai sur la parole de purification prononcée par Jésus. Jésus donc parle avec sévérité au lépreux, certaines traductions disent qu’il s’emporte contre lui. Jésus passe donc de la compassion à la colère, ou au moins à l’agacement… Je ne sais pas pourquoi.  Ca me paraît très peu logique, ça me paraît surtout très humain. Il nous arrive, en tout cas, il m’arrive souvent que ma compassion, bien réelle, soit mêlée d’impatience, d’agacement voire d’une pointe de colère. Parce que l’autre vient me déranger dans mon confort ou dans mes propres soucis, parce qu’il me déplace, parce qu’il me bouscule, parce qu’il me remet face à ma propre souffrance, parce qu’il me met face à mes limites, face à mon impuissance, parce que…, parce que… parce que… Parce qu’en fait, il est un corps étranger qui vient troubler la pureté de mon monde personnel… La pureté c’est aussi être sans mélange… Alors Jésus a-t-il perdu sa pureté ?

Dans son emportement, dans sa sévérité, sa volonté de purifier le lépreux reste pure : « Va te montrer au grand prêtre ». On reste dans le domaine de la purification. Qu’elle s’exprime dans la compassion ou dans l’emportement, la volonté de Jésus est une, elle est pure : « je le veux, sois purifié »

 

Il nous faut vraiment entendre cette phrase. La formule du lépreux est-elle une formule de politesse ou une expression de foi ? Peu importe, la réponse de Jésus est très claire : Jésus ne dit pas « bon ok, puisque tu le demandes gentiment, sois purifié», il dit « je le veux, sois purifié ».

En règle générale, je me méfie comme de la peste, comme de la lèpre si vous préférez de l’expression « quand on veut on peut », elle est très souvent fausse, très souvent porteuse de condamnation pour celui, pour celle qui ne peut pas… Non, la maladie, la misère, l’impuissance, la faiblesse ne sont pas un signe de manque de volonté !

En revanche, je pense qu’ici, la demande du lépreux « si tu veux, tu peux me purifier » et la réponse de Jésus : « je le veux, sois purifié » nous disent quelque chose d’essentiel sur Dieu.

Dieu veut que nous ayons le cœur pur. Habituellement, nous l’entendons comme « Holala ! mon cœur n’est pas assez pur, il faut que je me mette en règle, il faut que je me purifie ! ». Ce récit nous permet de l’entendre autrement : si, avec le lépreux, je crois que s’il le veut, le Seigneur peut me rendre pur, alors quand j’entends « Dieu veut j’aie le cœur pur », je peux entendre « Dieu purifie mon cœur », Dieu ne me considère pas comme indigne de lui, Dieu rétablit la relation entre lui et moi.

Le lépreux l’a entendu et cela l’a totalement libéré, cela l’a même libéré des injonctions suivantes de Jésus. Comme si la liberté accordée par Jésus dépassait même Jésus…

Et voilà qu’en libérant le lépreux de sa lèpre, en lui permettant d’entrer à nouveau dans les villes, Jésus se retrouve exclu des villes… Tout à l’heure, je faisais un parallèle entre la lèpre et le harcèlement, je le retrouve ici : beaucoup d’acteurs ou simplement de ces spectateurs passifs qui deviennent ainsi complices du harcèlement agissent ainsi par peur d’être à leur tour victimes… C’est bien ce qui arrive à Jésus. Si le dis de manière plus théologique : en rejoignant le lépreux, Jésus s’est mis dans sa situation, en nous rejoignant dans notre misère, Jésus l’a prise sur lui et il a pris notre place.

 

Mais alors, il nous faut bien entendre la conclusion de Marc : « il restait en dehors, dans des endroits inhabités. Mais de partout on venait à lui. » Celui qui a dépassé sa peur de la lèpre, qui a combattu l’exclusion est frappé de mort sociale, mais la résurrection est bien là. Celle du lépreux et celle de son guérisseur.

Frères et sœurs, Dieu veut que notre cœur soit purifié. Que nous entendions cette volonté comme une guérison. Et que cette purification nous rétablisse dans notre relation à lui et aux autres.

 

Amen

Rédigé par Eric George

Publié dans #Bible, #Marc 1, #lèpre, #lépreux, #exclusion, #volonté, #purification, #harcèlement

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