Pendant que tu es jeune
Publié le 2 Juin 2024
Prédication sur Qoeleth (Ecclesiaste) 12, 1 à 8
Quand la Bible nous parle de la vieillesse...
Mourir, cela n'est rien ! Mourir la belle affaire !
Mais vieillir... Oh vieillir...
Qui est jeune, parmi nous ?
Ceux qui ont levé la main, vous restez, les autres peuvent partir. Je plaisante bien sûr mais c’est pour attirer votre attention : ce texte s’adresse à un jeune. Pendant que tu es jeune, souviens toi de ton créateur, ça sert à rien de dire ça à un ancien…
Un portrait du vieillissement
Le paysage qui nous est dépeint par Qoeleth, c’est notre corps qui vieillit. Les gardiens tremblants, ce sont nos bras qui perdent leur force, les hommes vigoureux qui se courbent, nos jambes, les meunières, trop peu nombreuses pour moudre, nos dents, les fenêtres qui s’assombrissent et la porte qui se ferme, nos yeux qui n’y voient plus clair, les chansons s’évanouissent pour nos oreilles qui n’entendent plus et les levers se font de plus en plus matinaux. Les pentes deviennent difficiles à monter et la peur nous envahit. La nouvelle traduction en français courant nous signale que l’aubépine en fleur, ce sont nos cheveux, la sauterelle privée de son agilité renvoie à notre attitude générale et la câpre était considérée comme un aphrodisiaque. Je ne donne pas ici un détail grivois, Qoeleth pointe l’usure du corps dans tous ses aspects…
Pas une menace
Ce texte n’est pas une menace. Qoeleth ne dit pas « Souviens toi de celui qui t’a créé sinon tu vas vieillir ». Même en étant parfaitement pieux, même en suivant à la lettre les prescriptions de l’Eternel, tu vas vieillir, tu vas voir ton corps se dégrader.
Il ne dit pas non plus Souviens toi de celui qui t’as créé parce que tu n’es pas éternel et qu’un jour tu comparaîtra devant lui. Le souffle de vie qui retourne à celui qui l’a donné, ce n’est pas l’âme qui part en jugement, le souffle de vie, dans la Bible, ce n’est pas notre psyche avec nos souvenirs, c’est le principe qui fait que le tas d’organes de notre corps est vivant.
Alors, pourquoi se souvenir de celui qui m’a créé pendant que je suis jeune ? Ben, parce qu’après, c’est plus difficile. Parce que quand je vois la date de péremption de mon corps et que je me souviens que j’ai un créateur, plutôt que de le louer, j’ai envie de lui demander « C’est quoi ce boulot ? C’est de l’obsolescence programmée ? »
Non, ce texte n’est pas une menace, peut-être une version poétique de la mise en garde un peu amère que les anciens ont parfois envie d’adresser aux jeunes (sans toujours se retenir, d’ailleurs) « Profites-en, ça ne durera pas ». (D’ailleurs, croire que la jeunesse est une période merveilleuse, c’est un truc de vieux)
Mais dans cette description très amère de la vieillesse, je reçois aussi plusieurs bonnes nouvelles.
Trois bonnes nouvelles
La première de ces bonnes nouvelles c’est qu’on a le droit d’être vieux. Encore heureux ! me direz vous. Oui, mais c’est peut être pas toujours aussi évident que ça quand je vois à quel point on cache ce vieillissement… Et je l’étends volontiers : on a le droit d’être malade, on a le droit porteur d’un handicap, on a le droit d’être en dehors des diktats de force, d’utilité ou d’esthétique des sociétés dans lesquelles nous vivons.
En travaillant ce texte en atelier co’lectio nous avons bien repéré à quel point Qoeleth utilise des images de la nature mais aussi de la société humaine pour évoquer la vieillesse. J’y vois l’affirmation que le déclin de l’être humain, dans son corps, dans son esprit, ça fait partie de la nature et ça fait partie de la société humaine. C’est pas marrant de vieillir, c’est pas marrant d’être malade, n’y ajoutons pas de la honte ou de la gêne… Être vieux, être malade, être handicapé, c’est encore être avant que le fil d’argent se détache, avant la mort.
Le deuxième bonne nouvelle, elle est dans la définition que Qoeleth donne de la vieillesse. Dans sa définition, l’usure du corps ne suffit pas à caractériser la vieillesse, il faut un autre élément : avant que viennent les jours du déclin et le moment où tu diras : « Je n'ai pas de plaisir à vivre. ». La vieillesse, c’est donc l’association de ces deux temps : le temps du déclin du corps et le temps où je perds le plaisir. On n’est pas obligé d’associer les deux !!! Et puis, c’est aussi une bonne nouvelle parce que Qoeleth nous rappelle, ou nous enseigne, que le plaisir, ce n’est pas le mal. Et même finalement qu’on a été créé pour ça. C’est aussi quelque chose qui revient souvent dans la Bible même si on s’attend à entendre prêcher le contraire. Malgré l’usure de ton corps, le ralentissement de ta vie, tu trouves encore des plaisirs à vivre, eh bien tu n’es pas le vieillard dont parle Qoeleth ! Il est encore temps de te souvenir de ton créateur.
La dernière bonne nouvelle se trouve paradoxalement dans la description de la mort : le fil d’argent se détache, le vase d’or se brise, elle est précieuse, la vie, et elle le reste jusqu’au bout… Et puis, le corps de l'homme s'en retourne à la terre d'où il a été tiré et le souffle de vie s'en retourne à Dieu qui l'a donné. C’est un renvoi direct au récit de la création d’Adam, au chapitre 2 de la Genèse. Jusqu’à la mort, nous restons créature de Dieu. Qu’est ce que cela veut dire « créature de Dieu » ? Qoeleth applique le récit de la création de l’homme à chacun. C’est le corps de chacun, de chacune de nous qui retourne à la terre pendant que le souffle de vie retourne à Dieu qui l’a donné. Eh bien si je dis à ma maman que mon corps a été tiré de la terre et que Dieu a donné à ce bonhomme d’argile et de poussière son souffle de vie, elle va me dire : « Tu es bien gentil, mais j’y étais et ce n’est pas du tout comme ça que ça s’est passé ! ». Être créature de Dieu, ce n’est pas une notion biologique, être créature de Dieu c’est une notion spirituelle, c’est l’affirmation de notre relation à Dieu ou plutôt de la relation de Dieu à nous. Je suis créature de Dieu, cela veut dire que Dieu m’a voulu et malgré la vieillesse, malgré la maladie, je reste créature de Dieu, c’est-à-dire voulu, aimé par Dieu. Attention, je ne dis pas que Dieu veut mes souffrances ou mon déclin, je dis que mes souffrances et mon déclin n’empêchent pas que je suis voulu, aimé par Dieu.
Et cette valeur-là, nous, chrétiens, en savons quelque chose que dans sa sagesse, Qoeleth ne pouvait pas imaginer : la folie de la croix de Jésus Christ. La croix, c’est l’affirmation que ma vie est tellement précieuse pour Dieu qu’il a voulu me rejoindre au plus profond du trou, là où ma vie n’a plus aucune valeur ni aux yeux du monde, ni aux yeux des autres ni a mes propres yeux.
Et bien sûr, cette valeur que Dieu donne à ta vie, cette bonne nouvelle s’applique aussi à toi qui vit une vieillesse comblée de plaisirs, à toi qui vit dans l’énergie de tes vingt ans…
Alors, mon frère, ma sœur pendant ta jeunesse, pendant ta vieillesse, aux jours de grande santé comme aux jours de maladie, souviens toi de ton créateur, souviens toi qu’il veut ta vie et devant cet amour, au Qoeleth et à la face du monde, tu pourras dire que le poids des ans, l’usure du corps et de l’esprit, tout ce qui nous fait si peur n’est que fumée et part en fumée…