Le Très-Haut sur toute la terre...

Publié le 6 Décembre 2024

Le Très-Haut sur toute la terre...

Méditation à deux voix sur le psaume 83 chez les diaconesses 

Eric : 

Il est parfois difficile de lier le texte biblique à l'actualité que nous vivons. Plus rarement, il est difficile voire impossible de l'en détacher et j'avoue que j'ai revérifié les premiers versets du psaume, j'ai interrogé Emmanuelle, étudiante en théologie, elle me dit que les spécialistes sont formels : ce psaume ne peut pas être attribué à Benyamin Netanyahu… 

Ce trait d'humour noir n'est que l'expression d’un profond malaise. Comment lire ce psaume sans penser à l'atroce attaque terroriste du 7 octobre, sans penser aux ruines de Gaza, à l'attaque contre le Liban et à l'espoir d'une paix qui s'éloigne toujours plus de cette partie du globe… 

Est-il possible pour nous chrétiens et chretiennes de prier pour l'éradication d'un des partis de ce conflit ? 

Pourtant, je reste convaincu que les psaumes de colère sont bienfaisants. Ils nous invitent à ne pas avoir peur de confier à Dieu même les élans les moins reluisants, les moins présentables de notre âme. Je crois qu’il vaut mieux reconnaître devant Dieu que nous sommes mus aussi par des peurs, par des colères, par des rancoeurs… Plutôt que ne nous tourner vers lui que lorsque nous nous croyons présentables, dignes de nous tourner vers lui…

Si vraiment nous ne pouvions prier Dieu que lorsque nous sommes dignes de lui, compatissant, humble, emplis d’amour et de repentir, notre vie spirituelle serait considérablement réduite. Et puis… elle serait un peu inutile : Jésus nous rappelle que c’est le malade et non le bien-portant qui a besoin d’un médecin. 

Alors, si je me détourne un peu de l’actualité géopolitique, je peux entendre ce psaume comme un des psaumes de colère et reconnaître qu’il me donne la possibilité de confier ma colère, mes haines à Dieu.

Emmanuelle :  

C’est ce que l’historienne Jacqueline Chabbi, appelle le « discours compensatoire » : un discours qui peut être violent et qui en réalité exprime une incapacité d’agir. La prière, deviendrait alors un défouloir où le principe même est d’expulser et confier à un autre - Dieu- ce qui nous pèse, ce fardeau trop lourd à porter, ce joug oppressant…Dans cet espace de recueillement et d’intimité, l’on se confie à Dieu sans vraiment attendre un exaucement à nos prières, à nos demandes.

Mais ici le psalmiste, me semble-t-il, veut bien plus. Il a une exigence avec laquelle d’ailleurs il débute sa prise de parole : Ô Dieu! ne garde pas le silence … Ne sois pas sourd…

En d’autres termes, ce qu’il souhaite, voire exige, c’est que ses paroles soient entendues pour ce qu’elles sont par son interlocuteur et qu’il y ait de la résonance: un pont entre son confident et lui, permettant que la parole fasse des aller et retours. Il refuse, soit que tous les deux continuent dans un dialogue de sourd, soit qu’ils y entrent. Cette fois, le psalmiste est dans l’attente que l’ échos de la voix de Dieu résonne, qu’une parole de Lui advienne, qu’elle retentisse par delà le chaos qu’il redoute. Notre ami Asaph, est en quête d’une parole de vie qui surplomberait les cris de morts, de misères, et d’effroi que ceux qu’il considère comme ennemis ou adversaires s’apprêtent à produire.  

Tout comme lui , que ce soit au travers de nos mots formulés dans nos prières ou même dans le silence de nos temps de recueillement méditatif, peut être que nous aussi, sommes dans l’attente de Jésus le Christ, incarnation du verbe divin. Afin que sa venue, dise, signifie une parole performative qui réduira au silence les gémissements des malades, qui étouffera les bruits de guerres, qui coupera la parole à tous les systèmes corrompus de ce monde…

Comme le psalmiste ne sommes nous pas, chacune et chacun, en ce temps de l’Avent, dans l’espérance que notre Dieu ne se tienne pas en repos, mais qu’il s’active et exauce nos soupirs même les plus inexprimables?

 

Eric : 

Bon, je pensais qu’on pouvait s’en sortir avec le pouvoir cathartique des psaumes de colère, mais tu ne veux pas… Du coup, on se retrouve de nouveau face à ce problème d’un psaume qui ne demande pas la guérison des malades ni même la fin des pressions mais bien l’éradication pure et simple des ennemis d’Israël. 

Cette demande, je n’en oublie pas la dimension humaine, nous souhaitons tous la disparition de nos ennemis, de ceux qui nous menacent.… Pas forcément en demandant leur éradication ou leur humiliation, mais au moins qu’ils arrêtent d’être nos ennemis, qu’ils ne soient plus une menace. Pourtant, cette demande, je vois deux raisons de m’y opposer.

La première, c’est que, pour nous, chrétiens, c’est en opposition complète avec le message qu’a proclamé et incarné Jésus Christ. Jésus n’a pas été le faible qui subit et accepte tout, il a dénoncé des hostilités, il a bousculé des puissances d’oppression et les a combattues. Mais jamais il n’a recherché la suppression des ennemis.

La deuxième, plus générale, c’est que de toute façon, la suppression de ennemis, ça ne marche pas. Puisque le psalmiste invoque l’histoire, fort de plusieurs millénaires d'histoire de plus que lui, je fais remarquer que jamais dans l’histoire de notre humanité la victoire militaire n’a imposé à long terme la parole de Dieu. Aujourd’hui encore, ce qu’on oppose - à juste titre ! - aux chrétiens, les motifs de refus de l’évangile, ce sont les périodes où l’Église a été triomphale, les moments où elle a écrasé ses ennemis. Et le christianisme n’est pas la seule religion à souffrir d’un passé victorieux et triomphal, à se voir reprocher une histoire de conquête brutale. Bref, si c’est pour répandre la Parole de Dieu, si c’est pour faire connaître à tous que le Seigneur est le Très Haut au-dessus de la terre, l’écrasement des ennemis n’est pas une bonne idée.

Emmanuelle :

J’entends ce que tu dis, je le partage. En même temps, cela soulève des questions concernant finalement le sens à donner au contenu de ces demandes. Et surtout quelle lecture pouvons nous faire de ce psaume aujourd’hui, des millénaires après sa rédaction. 

D’abord le psalmiste doit avoir toute confiance et ne se sent aucunement censuré, il est libre dans la présence de son Dieu. Ensuite il intime l’ordre à Dieu de ne pas être inactif , il Lui dépeint une situation comme si ce dernier n’avait aucun moyen de le savoir, puis il Lui donne l’ordre de mission. Un peu comme un commandant avec ses agents ou ses chargés de missions , comme si le Dieu d’Asaph était à son service, attendant les ordres de son maître. 

On peut bien se demander qui est le maître d’œuvre et lequel devrait être au service de l’autre ? Quel est le rôle réel de Dieu dans cette dynamique ? Est-il un simple exécutant des désirs humains, un génie à la lampe que l'on invoque à volonté ?

Cette vision du divin nous interpelle. Elle nous pousse à nous demander : Qui est réellement au contrôle? L’humain ou Dieu ? Et quel est le sens de la prière si elle se résume à une liste de demandes et d'exigences ?

Il me semble, que ce psaume pourrait nous questionner sur notre propre pratique de la prière et notre perception du Dieu auquel nous nous adressons .Quel est le Dieu de nos prières ? Sommes-nous souvent tentés de le voir comme un moyen d'obtenir ce que nous désirons ? Ou bien sommes-nous capables de nous abandonner à Sa volonté, en toute confiance ? 

Quand nous prions, est-ce que nous veillons au fait que Dieu n’est pas notre propriété, notre chasse-gardée? En priant, est ce qu’au lieu de demander à Dieu de répondre à nos désirs, ne devons-nous pas chercher à nous ouvrir à Sa volonté, Lui offrant ainsi notre confiance et notre amour, sachant qu'Il agira pour notre bien, Lui qui est maître et propriétaire de tout et tous.

D’ailleurs Jésus pouvait rappeler à ses disciples : “Vous m'appelez Maître et Seigneur, et vous avez raison, car je le suis.”.

Eric :

À propos de maître et de Seigneur, on peut d'ailleurs renvoyer le psalmiste à son affirmation finale “toi seul, dont le nom est le Seigneur (YHWH), tu es le Très-Haut sur toute la terre !

Il est aussi le Très haut sur les tentes d'Edom et les Ismaélites, Moab et les Hagarites, Guébal, Ammon, Amalec, les Philistins avec les habitants de Tyr ; et sur l'Assyrie. Il est le Très Haut sur la Palestine, l'Iran et le Liban. Il est le Très-Haut sur celles et ceux qui nous voyons comme des ennemis, dont nous aimerions la chute. 

Un midrash, ces récits juifs qui viennent commenter le texte biblique, raconte qu'alors que la Mer Rouge se referme sur l'armée de Pharaon qui poursuit les hébreux, Dieu se met à pleurer. Et quand les anges le questionnent sur ces larmes : “Pourquoi ne pas te réjouir de la mort des ennemis d'Israël ? “ Dieu répond : “Mes enfants meurent, comment pourrais-je me réjouir de la mort de mes enfants ? ”

 

Frères et sœurs, je vous invite à la prière 

 

Dieu très haut sur la terre toute entière 

Dieu très haut sur nos amis et nos ennemis

Dieu très haut sur nos colères et sur nos peurs 

Dieu très haut qui nous place dans ce monde et nous appelle à y être artisans de paix et de justice 

Témoins de ton amour et de ta grâce 

Renouvelle sur nous ton Esprit chaque jour 

Pour que nous discernions entre ta volonté et la notre 

Entre ta Parole et nos pensées 

Entre ta puissance de vie et nos pulsions de mort

Et que nous te laissions nous conduire dans nos prières, nos mots, nos actions et nos silences. 

Amen

 

 

 

 

 

 

 

Rédigé par Eric George et Emmanuelle Koré

Publié dans #Psaume 83, #Prière, #Souveraineté

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