Des blessures à la synodalité

Publié le 3 Février 2025

Des blessures à la synodalité

Une petite réflexion sur trois phénomènes qui me semblent être des obstacles à la marche de notre Eglise. L'absence de dialogue, le goût du secret et un réflexe de citadelle assiégée.

Notre Église s'est dotée d'une structure presbytérienne et synodale. Et la synodalité, la marche ensemble de l'Eglise ne devrait pas se vivre que pendant les sessions synodales. Qu'est ce qui empêche notre Église d'être synodale ? Qu'est ce qui entrave la marche commune de ses différentes composantes : Églises locales, instances régionales et nationales... Les facteurs sont nombreux, divers et largement répartis dans toutes les composantes.

Dans ce billet de réflexion, je m'arrête sur trois phénomènes qui me semblent atteindre particulièrement nos instances régionales et nationales (celles qui sont particulièrement garantes de veiller à la synodalité) : l'absence de dialogue, le goût du secret et un réflexe de citadelle assiégée.

Ils se nourrissent les uns les autres dans un cercle vicieux : l'absence de dialogue et le goût du secret entraînent une incompréhension et un sentiment de déconnexion qui poussent à un refus de la règle commune et à une hostilité qui conduit les instances et celles et ceux qui se composent à se retrancher, comme dans une citadelle, dans le secret et l'absence de dialogue... 

Ces trois phénomènes me semblent intéressants à réfléchir  parce qu'ils ne sont pas fixés par nos règles mais plutôt par des attitudes, des impensés, des traditions. Il ne me semble même pas nécessaire de convertir les esprits et les cœurs pour les combattre ou les infléchir. 

Je précise que je suis membre d'instances régionales et certainement pas immunisé contre ces phénomènes, je ne réfléchis pas ici sur la nullité des autres, j'observe aussi ce qui se joue à l'intérieur de moi, dans cette partie de mon ministère.

 

L'absence de dialogue. 

Le dialogue c'est de la parole qui circule entre deux entités. Ça demande de l'écoute, certes (et ça l'Eglise sait faire) . Ça demande aussi de la réponse et de la réponse à la réponse, etc. (et c'est souvent là que le bat blesse). Le dialogue ça peut être de l'échange (de l'échange !!!) d'information, de points de vue. Ça peut être une discussion aussi, un dissensus ou chacun essaie de convaincre l'autre de la pertinence de son point de vue. En partant du principe que chacun a en tête le bien de l'Eglise, on peut espérer que cette discussion arrive à l'élaboration commune d'une troisième voie, d'un consensus...

L'absence de ce dialogue est souvent vécue comme un refus. C'est parfois le cas. Je crois que c'est avant tout une incapacité. Nous ne dialoguons pas par manque d'habitude (c'est flagrant quand l'instance n'est pas à l'initiative du dialogue "au secours quelqu'un veut  parler avec nous, comment allons-nous réagir ?"). Nous ne dialoguons pas par manque de temps (c'est bien pour ça que je pense que beaucoup plus de temps devrait être consacré à la synodalité dans notre Église (que ce soit en permanents ou en temps de ministère pastoral consacré à cet aspect de la vie de l'Église). Nous ne dialoguons pas par manque de formation (eh oui, le dialogue entre collègues, entre amis, dans un couple ou une famille, c'est déjà pas toujours facile mais dans une institution, avec des enjeux de gouvernance qui se mêlent à des enjeux de reconnaissance, ça devient très compliqué).

Lorsque j'évoque cette absence de dialogue, on m'objecte généralement deux points. 

1) Nos sessions synodales sont le lieu de ce dialogue. En effet, les synodes sont les lieux qui posent un cadre de dialogue en vue d'une décision. Seulement, les synodes c'est 3 jours dans l'année et c'est calibré pour aborder entre délégués des sujets prévus et préparer et prendre une décision. C'est dommage d'en faire le seul lieu de dialogue dans l'Eglise. Et puis cette objection entraîne parfois des échanges ubuesques :

- Je pense que vous ne devriez pas présenter les choses comme ça au synode

- Eh bien tu nous le diras au synode...

(tiré d'un échange réel.) D'une part la réponse n'est valable que parce que je suis délégué au synode et d'autre part, j'espère ne pas perdre pas mon temps ni celui du synode pour  dire : "vous n'auriez pas dû présenter les choses comme ça" (je peste assez contre ce tic de langage de délégué synodal : "je trouve que la question est mal posée" (tiens, en fait, au lieu de pester, il faudrait étudier ce que ce tic de langage dit du malaise du dialogue même en synode)).

2) On ne peut pas discuter tout le temps. En effet. Il faut réfléchir, décider, produire, dialoguer avec d'autres. La situation me paraît claire et simple. Les équipes ont la responsabilité de poser le cadre et de mettre un terme aux dialogues et discussions qu'elles sollicitent ou pour lesquelles elles sont  sollicités (et ce sont bien le discussions que nous n'avons pas initiées qui nous posent problème). Seulement, c'est dommage que ce terme à la discussion soit presque systématiquement posé avant même que la discussion n'ait commencé.

Un goût malsain pour le secret 

Il est inévitable et indispensable qu'il y ait du secret en Église. Pour protéger les personnes d'abord, pour ouvrir des espaces de parole libre, pour laisser avancer certains processus d'appel en laissant l’ appelé libre de sa communication. 

Notre Église n'est pas un lieu de transparence ou chacun, chacune est exposée à tous et c'est tant mieux ! 

N'empêche qu'il y a quand même beaucoup de secret que je ne comprends pas. Quel est l'intérêt de garder secrète (vis à vis de l’intéressé !!!!) la raison pour laquelle convoque quelqu'un “tu le sauras lors de notre rencontre ” ? Quel est l'intérêt de garder secrete la façon dont travaille une équipe ? Quel est l'intérêt de garder secrets les dissensus et les difficultés rencontrées par un Conseil ? 

À part à cacher des faiblesses et des difficultés que l'Eglise toute entière pourrait comprendre et soutenir ? À part à donner l'impression que l'on cache des choses, que l'on met la poussière sous le tapis. Que le secret devient un argument d'autorité “Vous  n'avez pas tous les éléments en main donc vous ne  comprenez pas, faites nous confiance !". Ou carrément un totem d'autorité “hin hin, je sais des choses que vous ne savez  pas ! “

À quand une réflexion sur le périmètre du secret en Église ? 
 

Une citadelle assiégée 

Ce réflexe de citadelle assiégée que je rencontre souvent chez des membres des institutions, d'équipe nationales ou régionales, chez moi y compris, se traduit de deux manières : "les gens ne nous aiment pas" et "ils veulent nous demander des trucs." 

Pour la première affirmation “les gens ne nous aiment pas”, je crois qu'elle est majoritairement fausse, que les vraies expressions d'hostilité sont le produit d'une toute petite minorité (ce qui ne les empêche pas d'être blessantes). Que le reste vient d'une part  de désaccord sur des décisions ou prises de parole précises et d'autre part d'une incompréhension forte sur la synodalité de notre Église. Sur l'expression souvent malheureuse de désaccords, je pense qu'il n'y a pas grand chose à faire. Je pense que c'est bien qu'elle s'exprime mais je ne sais pas comment faire pour qu'elle le fasse de manière bienveillante.

Sur l'incompréhension, il me semble inévitable qu'en situation de manque de pasteurs, beaucoup de personnes se disent que les pasteurs seraient mieux en paroisse que dans d'obscures instances régionales ou nationales. Peut-être que s'il y avait un peu moins de secret, un peu plus de clarté, un peu plus de dialogue, de discussions contradictoires, les instances régionales et nationales seraient justement un peu moins obscures (j'ai rarement entendu les gens qui se plaignent du nombres de pasteurs engagés dans des instances nationales ou régionales se plaindre des postes doubles) et peut être qu'on verrait mieux l'intérêt pour les paroisses que des pasteurs consacrent leur temps là plutôt que chez elles ou dans leurs voisines. 

Dans "les gens ne nous aiment pas", il y a aussi “les gens nous croient déconnectés”. Ça, c'est vrai ! (Et parmi ceux qui n'accusent pas les instances d'être déconnectées, la majorité est composée de celles et ceux qui ne savent même pas que ces instances existent ou comment elles fonctionnent.) Mais peut être qu'ils n'ont pas tout à fait tort de le croire. Peut-être qu'il y a des attitudes qui nourrissent ce ressenti. Et encore une fois peut être que la meilleure connexion, c'est de se parler…

Maintenant sur “les gens veulent nous demander des trucs”, ben oui. En même temps, quoi de plus normal que de demander “des trucs” à des Équipe constituées pour ça, pour participer à la marche de notre Église ?  Ces trucs, c'est me semble-il le plus souvent une aide financière ou matérielle et de la publicité. Ça peut parfois être un avis sur un projet par un groupe compétent. Ça peut être de la reconnaissance, un besoin souvent vital en Église et dans le ministère. Ça peut être de tenir compte ou de partager une réflexion. Ça peut être de l'information… Et tout cela me paraît complètement légitime, c'est dans la raison d'être de la plupart de ces équipes nationales et régionales, même quand elles ne sont pas des équipes décisionnaires : à quoi bon une équipe de réflexion qui tournerait en vase clos, préservée de toute réflexion extérieure ? 

Le problème, c'est que dans la plupart des cas que je connais, nous sommes très démunis devant ces demandes : nous n'avons pas les cadres, les protocoles pour les analyser, les accompagner, les rediriger éventuellement et du coup par pour y répondre.  Conseiller Régional, qu'est ce que je dis à la collègue qui m'interpelle sur quelque chose à mettre en place dans la région ? D'écrire au président du  Conseil Régional ? Que j'essaierai d'en glisser un mot à notre prochaine réunion s'il y a de la place, au risque de très mal comprendre et défendre son idée ? Je ne sais pas. J'improvise, je bricole. Je n'ai pas été préparé, dans cette situation, à entrer dans un dialogue dont je n'ai pas pris l‘initiative. 

Je ne vois pas de meilleure solution pour sortir de cette situation de citadelle assiégée que de baisser le pont-levis, de lever la herse et d'ouvrir grandes les portes, d'arrêter de croire qu'en Église notre but est de nous blesser les uns les autres (ça arrive déjà trop souvent par accident) 

 

Conclusion 

Je ne crois pas tenir ici la panacée universelle. Le chantier de la synodalité à revoir est immense et, aux dernières nouvelles, nous avons à peine commencé (avec réticence) à l'envisager. 

Je suis de ceux qui croient qu'il nous faudra à moyen terme changer nos règles en profondeur. Mais sur ces points précis du dialogue, du secret et de la citadelle, je ne vois pas de règlements à changer, de décision synodale à prendre, juste une nouvelle attitude à adopter, de nouveaux réflexes à acquérir, d'anciennes pratiques à interroger pour que les choses soient un peu plus fluide, pour faire monter un désir de synodalité… 

Quelques notes aux personnes qui seront arrivées jusqu'à ces lignes.

Si tu es dans une de ces équipes nationales ou régionales, peut être t'es-tu senti.e interpellé.e voire visé.e dans tes pratiques, dans tes habitudes. Et, en fait, je l'espère. N'y vois pourtant aucune malveillance. Interroge-toi avec moi, je t'assure que je tout ce que je pointe ici, je l'ai certainement déjà reproduit dans mes ministères de conseiller ou de rapporteur régional. Mon but n'est pas de dénoncer ni d'accuser mais de changer ensemble nos pratiques. Et si tu vois des points aveugles dans ma réflexion, si tu vois des raisons de rester dans nos pratiques d'absence de dialogue, de secret et dans nos forteresses, n'hésite pas à m'en faire part, tout ce qu'on risque, c'est de discuter...

Si tu n'es dans aucune équipe et que malgré tout la synodalité, les structures de notre Église t'intéressent assez pour m'avoir lu jusque là, d'abord bravo et merci (tu sais que l'Eglise a besoin de gens comme toi ?). Et puis, si tu penses qu'il y a de l'idée, fais tourner… 

 

Rédigé par Eric George

Publié dans #Humeurs

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