24 Octobre 2005
- Comment peux tu croire en Dieu, malgré tout ce que tu vois ? Moi je crois en l’homme !
- Ah bon ? Malgré ce que tu vois ?
Je suis toujours un peu surpris que ceux qui démontrent l’inexistence de Dieu par les guerres, les massacres, les épidémies et les catastrophes, affirment souvent juste après leur foi en l’homme.
Je reconnais humblement que je crois en Dieu bien souvent malgré ce que je ne vois pas mais croire en l’homme malgré ce que j’en vois, cela me semble bien au dessus de ma capacité à croire et à espérer.
Je ne dis pas comme tant de chrétiens l’affirment encore parfois que c’est l’homme qui est responsable du mal qui se fait sur la terre. Il y a bien des souffrances qui échappent à nos compétences et qui nous interdisent de répondre aussi simplement au problème du mal. Mais de la même façon qu’on me demande « Si Dieu existe pourquoi le mal ? » J’avoue avoir souvent tendance à me demander « Comment peut-on croire en l’homme malgré les guerres, les génocides, la pollution et même tout simplement notre égoïsme, notre incivilité quotidienne ? » J’admire réellement ceux qui croient que l’homme est seul et ne sombrent pas dans un cynisme désespéré.
Mais c’est ici un dialogue de sourd : le chrétien et l’humaniste se renvoyant indéfiniment la balle « Comment peux tu espérer malgré ce que tu vois ? »
J’ai une autre réticence, plus forte, plus fondamentale à la foi en l’homme. Si je crois en l’homme, si je crois que c’est l’homme qui construira lui-même une société meilleure, alors je ne peux que constater qu’il y a des hommes (et des femmes, bien sûr, je ne suis pas un grand fan du langage inclusif mais cela me semble aller de soi…) qui participent plus que d’autres à cette construction. Je dois reconnaître également que certains participeraient plutôt à une régression de l’humanité. Bref l’humanisme me conduit me semble-t-il, fatalement à établir une échelle de valeur entre les hommes et donc un jugement avec tout ce que cela comporte de danger et de prétention. Bien sûr les religions en général et le christianisme en particulier ne sont pas exempts de cette tendance au jugement mais le message premier de Jésus Christ est très clair : ne jugez pas afin de n’être pas jugé.
En affirmant que, par lui-même, l’homme ne vaut rien, je m’interdis tout jugement sur mon prochain, je m’interdis de me croire de quelque manière supérieur à lui. Ainsi, contrairement à ce qu’il pourrait sembler, à ce que j’entend trop souvent le pessimisme anthropologique n’est pas une vaste entreprise de culpabilisation de l’humanité mais au contraire une interdiction formelle à tout homme de poser un jugement sur son frère.
Et puis à l’anthropologie pessimiste qui est la mienne, il faut ajouter immédiatement l’idée de la grâce de Dieu (rappelez-vous, c’est ici ).L’homme n’est pas digne d’être aimé et pourtant Dieu l’aime au point de tout donner pour lui. Cette Bonne Nouvelle ne concerne pas une poignée d’élus qui en recevraient le droit de se placer au dessus de leurs frères, mais elle concerne et appelle chacun.
Le pessimisme anthropologique et la grâce sont dans un même élan vers l'autre : le premier m'empêche de me considérer comme meilleur que mon frère, la deuxième me dit que mon frère bénéficie comme moi de l'amour de Dieu
« Or que notre iniquité et condamnation soit convaincue et signée par le témoignage de la loi, cela ne se fait pas afin que nous tombions en désespoir et, qu’ayant perdu tout courage, nous nous abandonnions en ruine (…) mais il faut entendre ce que dit Saint Paul qui confesse bien que nous sommes tous condamnés par la loi afin que toute bouche soit fermée et le monde entier soit rendu redevable à Dieu (Romains III ; 19) mais cependant, en un autre lieu il enseigne que Dieu a tout enclos sous l’incrédulité non pas pour tout perdre, ou même pour laisser périr mais afin de faire miséricorde à tous. (Romains XI, 32) »
Jean CALVIN L’institution chrétienne Livre II Chapitre VII
« La première affirmation sur laquelle l’éthique protestante repose, c’est que l’existence humaine abandonnée à elle-même échoue à trouver une juste réponse à la question du sens de la vie. L’homme laissé à ses propres forces est incapable de satisfaire aux exigences de la loi morale, égaré qu’il est, perdu par ses illusions, ses peurs ou la stratégie mortelle de ses désirs. Seconde affirmation : ce pessimisme radical a pour sens de libérer l’être humain de toute prétention, de toute autoaffirmation orgueilleuse, de tout enfermement dans l’univers clos de l’autojustification. La liberté doit passer par une forme de deuil pour accéder à un nouveau possible. Il faut cesser de croire en soi, pour mieux recevoir de Dieu la force créatrice nouvelle qui libère la liberté et appelle le croyant à une nouvelle conscience de ses responsabilités. »
Eric FUCHS : Tout est donné, tout est à faire
Pasteur de l'Eglise Réformée de France, amateur de jeux de société, de cinéma, de longues discussions
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