Refus d'arbitrage

Publié le 5 Août 2007

Prédication du dimanche 5 août 2007
Ecclésiaste I, 2 et II 21-23
Colossiens III, 1 à 11
Luc XII, 13 à 21

Qu’est ce que la Bonne Nouvelle ? Eh bien si l’on en croit le passage de l’Evangile que nous avons entendu ce matin : la Bonne nouvelle c’est, à travers le refus d’accéder à une requête légitime et une apostrophe cinglante, la remise en question de nos valeurs.

Tout commence avec une banale histoire de famille.« Maître, dis à mon frère de partager avec moi notre héritage ». La demande est directe et simple. Elle est parfaitement légitime aussi. En effet, à cette époque, l’idéal dans le judaïsme est que les héritiers vivent ensemble afin de conserver l’héritage dans son intégralité. Cependant, il arrive que l’un des héritiers préfère prendre le large et la loi prévoit alors qu’il puisse avoir droit à sa part d’héritage. Ici, vraisemblablement, le père de cet homme vient de mourir et son frère aîné refuse de réaliser une partie du patrimoine afin de la lui donner. Il fait donc appel à l’arbitrage de ce rabbin de Nazareth dont la sagesse et l’anticonformisme sont bien connus.
Nous pouvons assez facilement nous retrouver dans cet homme. En effet, il nous arrive à tous de chercher en Jésus, un arbitre qui tranche en notre faveur, qui nous donne raison contre nos contradicteurs, qui nous établisse dans notre bon droit. Attention ! A priori, il n’y a rien de mal à cela. Après tout, l’homme ne demande pas à Jésus de se mettre à son service, il ne prétend pas se l’approprier : il est dans son droit et il demande à Jésus de le confirmer.
Et c’est bien cela que nous demandons à Jésus, nous confirmer que nous sommes dans notre droit, et pour cela, nous brandissons toujours les versets bibliques qui nous arrangent, la parole qui va venir appuyer notre point de vue. En cela, nous ressemblons à cet héritier anonyme qui réclame la part qui lui revient, nous ressemblons à Marthe s'indignant de l'inactivité de sa sœur Marie, nous ressemblons, dans une moindre mesure aux fils de Zébédée qui veulent pour le prix de leur service la meilleure place dans le Royaume…
Mais, à toute ces demandes justifiées (l’héritier a droit à sa part d’héritage, Marthe a raison de se plaindre de sa sœur Marie qui n’en fiche pas une rame), Jésus oppose, systématiquement, un refus.  Marqués par les distinctions de notre époque, nous pourrions croire   que Jésus veut maintenir la différence entre le matériel et le spirituel. Mais c'est peu probable. D'abord, cette frontière, à laquelle la société occidentale du XXI°  donne tellement d'importance, est bien moins étanche dans le judaïsme  du début de notre ère. Ensuite,  Jésus n'a jamais fait l'impasse sur l'aspect matériel de la vie, et l'évangile de Luc, en particulier ne témoigne pas d'un enseignement exclusivement spirituel.

Alors pourquoi ce refus ?
On peut y voir deux raisons. Tout d’abord, il y a celle que Jésus évoque : « Qui m’a établi juge ou répartiteur pour vous ? » Son rôle n’est pas d’arbitrer nos conflits. Il n’est pas venu ici pour donner des bons points aux uns et des punitions aux autres. Il n’est pas venu pour enfermer les uns dans un camp et les autres dans l’autres. La Bonne Nouvelle est affaire de partage et non de répartition.
Bien sûr, par son caractère radical, l’Évangile sera cause de scandale et de division mais le but premier de Jésus c’est la réconciliation et l’unification. Il n’est pas question pour lui de faire œuvre de légiste en affirmant le droit de l’un contre l’autre. Il n’est pas question pour lui d’encourager l’individualisme forcené. De plus, Jésus est venu annoncer aux laissés pour compte, à ceux qui jusque là étaient privés du Royaume que dès à présent celui-ci vient à eux. Mais cet accès au Royaume de ceux qui en étaient exclus ne signifie pas l’exclusion de ceux qui en étaient les bénéficiaires. Où alors, Jésus se conduirait un peu comme le Jesse James de Lucky Luke, qui comme Robin des bois, volait aux riches pour donner aux pauvres, mais qui revolait le pauvre une fois celui-ci devenu riche… Mais, Jésus est venu rassembler : quand le Royaume de Dieu atteint ceux qui en étaient privés, c’est une union, une réconciliation et non pas une division. Jésus n’est pas venu pour le bénéfice des uns au détriment des autres. Et c’est pour cela qu’il se refuse toujours à régler nos conflits en donnant raison à l’un et tort à l’autre.
Jésus refuse donc d’entrer dans ce rôle d’arbitre qu’on veut lui donner et bien plus, par une apostrophe acerbe, il conduit l’homme à revoir ses priorités. Sans contester la légitimité de sa demande, il le pousse à l’interroger sur le centre de sa vie : avoir raison contre son frère, mais pourquoi ? Et c’est cette question qu’il nous faudrait nous poser dans nos conflits : pourquoi veux tu avoir raison contre ton frère ?

En liant cet épisode à la parabole du riche insensé, Luc soulève, en plus, une question importante pour lui : la relation à l’argent.
Mais ici, il faut bien relever deux points : tout d’abord ce n’est pas l’argent en soi qui est ici visé. Jésus ne met pas en garde contre la richesse mais bien contre l’avidité. Ensuite, rien ne nous dit que le riche de la parabole soit un « mauvais riche » : il n’est absolument pas précisé qu’il doit sa fortune a des pratiques frauduleuses, ni qu’il soit un horrible exploiteur qui pressurise ces employés. La parabole ne précise pas non plus que nous avons affaire à un avare qui garde jalousement son or, refusant de pratiquer la solidarité avec les plus démunis. Donc, je crois plus sage de voir dans le riche de la parabole un homme honnête qui a travaillé beaucoup pour gagner beaucoup et qui fait profiter de se richesse les plus démunis autour de lui. Alors, qu’est ce qui lui vaut cette invective ? Pourquoi le qualifier d’insensé ?
Tout d’abord parce que l’homme fait de son enrichissement la valeur de sa vie. Jésus ne vient pas ici avec une formule creuse du genre « l’argent ne fait pas le bonheur », bien sûr que l’argent peut faire le bonheur. D’ailleurs Jésus précise bien « pour quelqu’un qui est dans l’abondance, la vie ne dépend pas de ses biens ». Les possessions du pauvre, en effet, lui sont bien plus vitales que les possession du riches. Et c’est donc bien au riche que Jésus rappelle cette réalité tellement dure à supporter que nous l’oublions bien souvent : « aucune de tes richesses ne pourra jamais te donner un contrôle sur ta propre vie. » Considérer la richesse, toute forme de richesse, comme une garantie de sécurité et de stabilité, c’est se donner un autre dieu que Dieu. Ce n’est donc pas sa richesse ou son avarice qui est reprochée ici à l’homme riche, c’est son idolâtrie.
De plus, nous découvrons le riche de la parabole plongé dans un long monologue. Il est rare que l'on trouve de tels monologues intérieurs dans la Bible et tout particulièrement dans les paraboles. On nous présente donc bien l'homme riche complètement centré sur lui même, sur SON bénéfice, SES projets, sur SA réussite. Et c’est dans cette auto-satisfaction qu’il se trouve soudain interrompu par une autre voix que la sienne, une voix qui lui rappelle sa fragilité : « Tout ce sur quoi tu pensais pouvoir compter, te sera enlevé ce soir »

Bien plus que la question de l’argent, voilà sans doute ce qui relie le riche de la parabole à l’homme qui interpelle Jésus : une parole les arrache tous deux à leur égocentrisme, à leur auto-valorisation. Bien sûr, la parole est sévère. Mais elle n’est pas une condamnation, c’est une parole cinglante, efficace qui vient libérer chacun de son illusion de bon droit ou de richesse afin de rendre chacun disponible pour la véritable source de vie : l’amour de Dieu.
Frères et sœurs, que l’Évangile soit pour nous aussi une parole de rupture. Non pas un discours lénifiant qui nous assure de notre justice et de notre réussite mais une apostrophe cinglante qui nous révèle notre fragilité, nous arrache à nos rêves d’indépendance pour nous ouvrir à l’Autre et aux autres.

Amen

Rédigé par Eric George

Publié dans #Bible

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