Le dixième reconnaissant
Publié le 14 Octobre 2007
Prédication du dimanche 14 octobre
II Rois V, 14 à 17
Romains VII, 7 à 25
Luc XVII, 11 à 19
Plus qu’une guérison miraculeuse, Luc nous dépeint l’irruption de la grâce dans une scène de vie quotidienne. Une irruption de grâce qui nous met en marche.
Tout d’abord, il y a la lèpre. Pour nous la lèpre c’est une maladie, une maladie que l’on sait soigner et qui, pourtant, fait encore rage dans le tiers
monde. Mais à l’époque de Jésus, la lèpre est encore pire qu’une maladie. Le lépreux est réellement mis au ban de la société, il est considéré comme souillé, impur et source d’impureté. Et à
cause de cette impureté, il est exclu aussi bien religieusement que socialement. La scène que Luc nous dépeint est d’ailleurs une scène de vie courante, à la limite d’un village, le voyageur est
hélé, à distance, par des lépreux qui vivent là, nombreux (le nombre 10 signifie sans doute « beaucoup ») à la frontière de la vie humaine, en marge de la société qui les rejette.
Et Jésus les voit. Je pense que nous avons tous fait l’expérience de moments où l’on préfère ne pas voir le malheureux, l’exclus même quand celui ci nous hèle. Peut-être aussi avons-nous fait
l’expérience d’être celui ou celle qu’on refuse de voir. En tout cas, je pense que nous en savons assez pour comprendre l’importance de ce regard. En entendant leur appel, en regardant les
lépreux, Jésus les réintègre déjà au tissus social.
Un regard d’abord puis une parole Ici, il n’y a pas de geste magique, pas d’imposition des mains, pas d’autres manifestations que cette parole : « Allez vous montrer aux prêtres ». Et cette
parole sonne comme une promesse.
En effet, c’est la règle dans le judaïsme : le prêtre est celui qui peut déclarer purs le lépreux (une preuve de plus que nous sommes ici bien plus dans le domaine de l’impureté que dans le
domaine de la médecine). Jésus ici, reste donc strictement, dans le cadre de la société de son époque : contrairement à ce qui se passe dans d’autres récits de guérison de lépreux, il ne touche
pas les lépreux ni ne les déclare guéris. Une scène de la vie quotidienne…
Mais voilà qu’un des lépreux revient sur ses pas en louant Dieu et en se jetant aux pieds de Jésus : il a vu qu’il était guéri et il rend grâce. Et Jésus
répond à cette action de grâce : Ta foi t’a sauvé…
Quel est ce salut dont il est question ici ? De quoi le lépreux samaritain est-il sauvé ? Il est évident que ce n’est pas de sa lèpre. Les autres en ont été guéri aussi, affirme Jésus. Mais je ne
pense pas que Jésus parle ici du salut eschatologique pour éviter le patois de Canaan, je ne crois pas qu’il soit ici question de la damnation éternelle, des flammes de l’enfer. Pourquoi ? Parce
que cette parole de salut s’adresse au samaritain seul et que si il était ici question du jugement dernier, cela signifierait que c’est leur non-reconnaissance qui a perd les 9 autres. Or, les
guérisons de Jésus ne sont pas des épreuves en vue du salut, ce sont des actes de pure compassion de pur amour. Je me refuse à croire qu’une guérison opérée par Jésus puisse entraîner, même
indirectement, la perdition de celui qui est guéri.
Alors pourquoi Jésus dit-il au samaritain qu’il est sauvé ? Eh bien rappelons-nous de la précision de cette scène, rappelons-nous que Jésus respecte ici scrupuleusement les prescriptions de la
Loi juive et qu’il envoie les lépreux voir le prêtre. Et c’est sur le chemin qui le conduit au prêtre que le Samaritain découvre qu’il est guéri, c’est avant de voir le prêtre qu’il fait
demi-tour. Sans doute les autres lépreux ont-ils été guéris, sans doute ont-ils été déclarés purs, mais ils sont finalement restés dans cette notion de pureté/impureté, resté captifs de cette loi
qui peut déclarer l’impureté mais sans la guérir, qui peut montrer le péché mais sans en préserver l’homme. Car c’est bien là, l’échec de la loi dont parle Paul : si elle peut montrer à l’homme
ce qu’est le péché, si elle peut lui montrer qu’il est pécheur elle ne peut pas le guérir de ce péché. Pour Paul, la loi se contente de montrer ce qui est sans pouvoir le changer, elle dit à
l’homme « tu es fichu » sans lui donner le moyen réel d’échapper à ce verdict. Et les 9 autres lépreux sont restés dans cette vision des choses, maintenant ils sont guéris, ils sont purs mais ils
restent captifs. Captifs de l’image d’un Dieu qui distribue des bons et mauvais points, qui exclut et qui rejette. Captifs du sentiment de n’être jamais assez parfaits, assez purs pour Dieu. De
cette captivité, le samaritain est dorénavant libéré. Il sait qu’il est guéri et d’où lui vient cette guérison, il sait qu’il n’a pas besoin qu’un prêtre le déclare pur pour être rétabli
dans sa relation à Dieu et aux autres. Il sait quand dans son impureté même, Dieu lui a manifesté son amour. Et, sans doute parce qu’il est étranger, il est plus en situation de mesurer
l’immensité de ce donc que tous les autres. En effet, pour les juifs un guérisseurs juifs qui les soulage, cela peut apparaître quelque peu normal, voire être un dû. Il n’en va pas de même pour
le samaritain qui était sans doute celui qui avait le moins à attendre… C’est pourquoi il déborde de reconnaissance.
La salut dont parle Jésus ici ne renvoie ni à l’au-delà, ni à la fin des temps, il se vit dès à présent, pour le samaritain et pour nous qui reconnaissons en
Jésus, la seule source de notre guérison et de notre purification. Dieu dispense à tous ses bienfaits, son soutien, mais beaucoup y voient la preuve de leur propre habileté, de leur propre
valeur, d’autres y voient une récompense pour leur moralité ou leur observance de la loi et tant que les choses vont bien, tous se glorifient, tous rendent grâce à eux-même ou se félicitent de
leur chance. Mais quand les choses vont moins bien, c’est l’heure de la culpabilisation, un sentiment de culpabilité qui se transforme souvent en accusation… Quant à nous avec le lépreux
samaritain, nous découvrons qu’indépendamment de notre naissance ou de nos mérites, Dieu est avec nous et que même dans les moments les plus durs, il ne se détourne pas de nous.
Nous sommes le dixième reconnaissant, ce qui ne signifie pas que nous sommes meilleurs ou plus clairvoyant que les autres. Mais ce salut que Dieu veut pour les hommes nous est manifesté dès
aujourd’hui. Notre action de grâce même est une grâce.
Mon frère, ma sœur, témoignons de ce salut qui nous est révélé, de cette grâce qui nous est faite. Ta foi t’as sauvé ? Alors lève-toi et va témoigner de ton salut pour les 9 dixièmes qui
l’ignorent encore…
Amen