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Les ténèbres, la lumière et la foi

Prédication du 26 mars

Nombres XXI, 4 à 8

Jean III, 14 à 21

Éphésiens II 4 à 10

C’est par grâce que vous êtes sauvés, par le moyen de la foi. Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son fils unique afin que quiconque croit en lui ne périsse pas mais ait la vie éternelle. Les lectures pour tous nous gâtent aujourd’hui : deux textes fondamentaux ! C’est sur l’évangile de Jean que je m’attarderais ce matin. Un passage qui nous parle du bien et du mal, qui offre un renversement et nous éclaire sur le salut et la foi…

 La lumière et les ténèbres : voilà le discours qu’on attend d’une religion !D’un côté le bien, de l’autre le mal, les gentils contre les méchants : un discours clair et simple. Et bien sûr, les gentils, c’est forcément notre côté. Nous qui suivons Jésus Christ, nous sommes dans la lumière et les autres sont forcément dans les ténèbres. Ce passage de l’évangile de Jean s’inscrit donc dans l’idée gnostique qui, de Mani à Hollywood en passant par les cathares a connu un grand succès à travers les âges. Nous sommes en plein dualisme. Pourtant, il faut noter tout de suite certains points : tout d’abord, il n’est pas question ici de bien ou de mal mais plutôt de bon et de mauvais. Pour le mot que nos bibles traduisent par mal : Jean utilise le terme faulos : ce qui est vil, inférieur plutôt que kakos : mal. Nous ne sommes donc pas dans les catégories morales et arbitraires du bien et du mal mais dans les catégories concrètes du bon et du mauvais. Un exemple pour bien comprendre la différence : fumer ou trop manger ce n’est pas mal, c’est mauvais ce la nuit à notre santé ou à celle d’autrui… Ensuite ce ne sont pas les êtres mais les actes qui sont mauvais : leurs œuvres étaient mauvaise. Quiconque fait le mal (faulos) … Il est bon de rappeler sans cesse la différence entre juger et condamner une action et juger et condamner un individu… Ici, l’évangéliste est très clair. Enfin, j’aimerai préciser un peu cette relation entre ce qui est mauvais et les ténèbres. Les enfants le savent bien : dans tous les films, sur tous les dessins : le monde ténébreux, c’est l’empire du mal : c’est une imagerie tout à fait primaire. Mais Jean ne dit pas tout à fait cela : les ténèbres ne sont pas le symbole de ceux qui font le mal, elles sont leur refuge. On ne fait ce qui est mauvais parce qu’on vient des ténèbres, on va dans les ténèbres parce qu’on fait le mal. Les ténèbres ne sont pas la source du mal, elles sont l’abris de ceux dont les œuvres sont mauvaises, parce que les ténèbres sont le lieu où l’on se cache et donc le lieu de la peur, du déni, du refus de soi-même. La nuance a son importance.

 Tout cela précisé, il convient de se demander si l’évangile de Jean est vraiment classique dans son récit de la lutte du bien contre le mal. En effet, nous savons que tout le dialogue avec Nicodème est fait de déplacements constants, de renouveau, de nouvelle naissance, de nouveau regard. Pourquoi cet extrait serait-il différent ? De nombreux indices suggèrent rapidement un renversement, une remise en question. L’allusion au serpent d’airain en est un. En effet cet épisode des Nombres est très curieux, dérangeant. Quoi de plus ambivalent que cette idole à forme de serpent qui guérit les victimes de morsures de serpent ? Eh bien peut-être, justement cette croix qui est l’élévation de Jésus dont parle Jean. Avouez que c’est étrange cet instrument de mort qui devient un symbole de vie. Étrange cette élévation qui est une mort, un échec, une humiliation complète. Quand on me parle de l’élévation de Jésus, je pense systématiquement à un dessin d’enfant qui décorait la sacristie du temple de Luneray : Jésus triomphant, rayonnant, glorieux entouré par la création et comme titre : Jésus tout-puissant. Ca, c’est de l’élévation. Mais celle dont Jean parle, c’est la crucifixion, le supplice infamants réservés aux esclaves et aux vaincus. Étrange cette élévation qui est une humiliation ou cette humiliation qui est une élévation… Autre indice : un Dieu qui donne. C’est un retournement quand on y pense : les dieux réclament des sacrifices, des prières : ils prennent, au mieux, ils vendent ou échangent. Et voici qu’ici, Dieu donne et donne ce qu’il a de plus précieux. Et la preuve qu’il donne c’est que rien ne nous est demandé en échange. Pour entrer dans la lumière, il suffit de croire. Alors ça, c’est n’importe quoi. Tout le monde sait bien que dans la lutte qui oppose la lumière aux ténèbres, la voie de la lumière est toujours difficile. Que ce soit dans la Torah, la règle Jedi ou le régime de weight watcher ou les conseils de beauté de Marie Claire, choisir la voie du bien, du bon, du beau, c’est toujours en baver. Mais, ici, il suffit de croire ! C’est tellement peu sérieux que toute les Églises se sont empressées de parsemer à nouveau la voie de la lumière de nombreuses exigences. Et pourtant, ce renversement nous amène tout droit à un changement de regard essentiel : Dieu n’est plus l’arbitre incorruptible, le juge de nos actions et de nos vies qui nous regarde nous sauver ou nous perdre, Il est celui qui veut notre salut et fait tout pour que nous vivions.

 C’est vrai qu’il y a un jugement, une condamnation. Mais ce jugement n’est pas la volonté de Dieu, la condamnation ne vient pas de Dieu. Nous l’avons déjà vu, les ténèbres ne sont pas un cabinet noir dans lequel Dieu enfermerait les enfants méchants que nous sommes. Jean est très clair là-dessus. C’est nous-même qui nous condamnons aux ténèbres pour cacher notre honte, notre peur, en refusant de nous voir tel que nous sommes. C’est pourquoi, je me méfie de toute morale chrétienne. Qui dit morale dit jugement. Qui dit jugement dit condamnation. Qui dit condamnation dit peur. Et c’est la peur qui nous conduit à nous réfugier dans les ténèbres, en espérant enfouir ce que nous sommes loin du regard des autres, loi de notre propre regard, loin du regard de Dieu. C’est de ces ténèbres, de cette peur que Dieu veut nous libérer

Pour nous faire sortir de nos ténèbres, Dieu nous envoie une lumière, un phare. Les pères de l’Église ont parfois beaucoup insisté sur l’importance de regarder vers cette lumière, de la voir pour être sauvé. Pourtant, l’image utilisée par Jean dit autre chose : quand une lumière brille dans les ténèbres, il est impossible de ne pas la voir. Lorsque la lumière brille, les ténèbres ne règne plus. Jean rejoint donc Paul, la victoire sur les ténèbres ne vient pas de nos œuvres, de nos efforts, elle est un don, une grâce complète. C’est pourquoi, lorsque Jean dit « celui qui ne croit pas en lui est déjà jugé », je pense qu’on peut traduire hdh autrement que par déjà : on peut dire celui qui ne croit pas en lui est actuellement jugé : c’est à dire que tant que nous ne croyons pas en Jésus, nous continuons à vivre dans nos ténèbres. Notre salut nous est acquis mais nous n’en profitons pas. Nous sommes aimé mais nous continuons à trembler de peur. Nous sommes libres mais nous nous conduisons en esclave. Ainsi notre salut ne nous prive pas de notre liberté, mais il n’est pas non plus soumis à celle-ci. Je ne peux pas refuser mon salut, je ne peux pas refuser que Christ soit mort pour moi mais je peux ne pas le vivre, je peux ne pas y croire. Jean nous l’affirme : il suffit de croire. Mais au-delà de la réelle facilité de cette affirmation, peut être faut-il rappeler ce que signifie croire. Ou plutôt ce que signifie Croire en Jésus, car pour Jean c’est toujours en Jésus que l’on croit. Ce qui nous rappelle que croire, ce n’est pas accepter un ensemble de dogmes, une foule de préceptes, ce n’est pas croire que Dieu est comme ceci ou comme cela. La foi n’est pas non plus une certitude absolue en un quelconque catéchisme, refusant toute remise en question, toute interrogation ou tout doute. Croire c’est avoir confiance en Jésus, le crucifié, le don de Dieu. C’est croire en son nom… Un petit indice en rappel : Jésus signifie « sauveur ». Pour échapper à nos ténèbres, il nous suffit donc d’avoir confiance en ce crucifié qui vient nous montrer que rien ne peut nous séparer de l’amour de Dieu, que même nos actes les plus vils, les plus honteux, même ce que nous préfèrerions oublier n’empêcheront jamais Dieu de nous aimer, de nous aimer au point de tout donner… Croire en Jésus, c’est espérer toujours. C’est croire que même dans l’impasse la plus noire, même quand toutes les issues sont bloquées, Jésus nous ouvre un possible.

Frères et sœurs, que cette espérance et cette confiance vous accompagnent à chaque instant, qu’aucun chemin ne vous paraisse jamais sans issues. Que nous vivions chaque jour ce salut que Dieu nous a donné et que ce salut nous libère pour des décisions libres.

Amen

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À propos
Eric George

Pasteur de l'Eglise Réformée de France, amateur de jeux de société, de cinéma, de longues discussions
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