10 Avril 2006
Prédication du 9 avril 2006
Esaïe 50 4 à 7
Philippiens II 5 à 11
Jean XII 12 à 19
Un roi entre à Jérusalem, célébré, acclamé par la foule et monté sur un ânon. Qu'est ce que cela veut dire ? Bien sûr c'est une réalisation de l'écriture, l'accomplissement d'une prophétie. Mais cette prophétie est-elle vraiment connue. Est-elle à ce point célèbre que tous reconnaissent immédiatement l'allusion ? Après tout, d'après Jean, ce jour là, les témoins pensent moins à la vieille prophétie de Zacharie qu'à la toute récente résurrection de Lazare Et d'ailleurs, qui sont-ils ces témoins ? Comment comprennent-ils l'évènement ? La question est légitime puisque contrairement aux autre évangiles c'est sur eux que Jean se concentre plus que sur le déroulement de cette journée des rameaux.
Jean nous montre trois groupes qui assistent à l'entrée de Jésus en Jérusalem. Trois groupes clairement définis. Trois groupes et 3 lectures différentes de ce qui se passe. Auquel de ces groupes appartenons-nous ? Comment reconnaissons nous la royauté de Jésus, le Christ ?
Commençons par ceux qui sont les plus visibles. Ils essayent de se faire discret mais on ne voit qu'eux, là bas en retrait de la foule. Ils ne chantent pas, ils ne crient pas avec les autres, ils murmurent entre eux et dans la joyeuse cacophonie, leurs murmures deviennent assourdissants. Eux, ce sont les pharisiens. Les opposants à Jésus dans l'évangile de Jean. Et depuis la résurrection de Lazare, ce sont des opposants mortels. Ils sont sans doute les plus à même de comprendre la référence à Zacharie mais ils n’en disent rien. Peut-être voient-ils cela comme un « coup » de leur adversaire, une habile mise en scène, un procédé spectaculaire visant à se donner encore plus de pouvoirs. En effet, si les pharisiens sont dans ce texte les adversaires, ils sont aussi ceux qui calculent, qui jaugent le succès au nombre de personne acclamant Jésus. Ils se comportent un peu comme nos Ifos, Soffres ou Ipop mesurant la renommée de Jésus, comptabilisant chaque Hosanna comme une intention de vote. Et comme nos instituts de sondage, ils se trompent d’ailleurs… Ou plutôt, comme pour les instituts de sondage, les conclusions tirées de leurs observations, entraînent des mesure radicale pour empêcher leur prévision de se réaliser. C’est parce qu’ils ont peur de son succès grandissant, de sa puissance que les pharisiens vont faire éliminer Jésus. Mais assez d’anachronisme, nous le savons bien, la grande erreur des pharisiens n’est pas de croire que les rameaux sont la marque de son succès et que dorénavant ils ne peuvent plus rien contre lui. Leur erreur, c’est justement de compter les voix, de mesurer le succès de Jésus en terme de popularité. Et si, bien sûr, nous ne pouvons pas nous reconnaître en ces pharisiens qui complotent, peut-être devrions nous interroger un peu plus certaines de nos habitudes. Que nous nous lamentions sur le peu de personne dans nos assemblées ou que nous réjouissions du succès de telle ou telle manifestation. Ne sommes nous pas à nouveau en train de réduire le christianisme à un mouvement social ou tout ce qui compterait, c’est le nombre et la force… Or si cette légitimation par le nombre me paraît être un bon système en vie politique (en tout cas, le moins mauvais…), en matière de foi, il nous faut bien admettre qu’il va à l’encontre de tout un discours biblique, la théologie du reste, du petit nombre. Ce qui compte, ce n’est pas que le plus grand nombre se réclame de Jésus., c’est la réalité de la conversion, la vie nouvelle offert à chacun et non pas à la foule. La foi n’est pas une adhésion de masse, c’est une rencontre personnelle. Comment pourrions-nous donc juger du succès de l’évangile à l’applaudimètre ? Quand les Beatles était « plus connus que le Christ », sont-ils devenus sauveurs pour autant ?
Le deuxième groupe, c'est bien sûr cette foule dont les pharisiens redoutent le nombre. Reconnaissent-ils en Jésus le roi annoncé par Zacharie ? Impossible à savoir... Mais Jean le dit clairement : ce qui motive la foule, c'est la résurrection de Lazare. Celui qu'ils viennent acclamer, c'est le vainqueur de la mort. Une acclamation légitime certes, mais qui montre bien que la foule est composées de ceux qui demandent à voir et de ceux qui croient parce qu'ils ont vu. Il est, bien entendu, tout à fait légitime de louer Dieu en voyant la grandeur de ses oeuvres. Pourtant, croire parce qu'on voit n'est pas la meilleure façon de croire, Thomas en fera l'expérience... Croire parce qu'on voit, c'est "constater". Or il y a une différence énorme entre croire et constater. Lorsque je constate, ce n'est pas Dieu que je crois, ce sont mes yeux, mes autres sens (Thomas ne fit pas que voir : il voulut toucher aussi) ou ma logique (en effet, vouloir prouver Dieu ou démontrer son existence, c'est passer de la foi au constat). La foi, la confiance en Dieu, elle, est un don complet, elle ne s'appuie sur aucune preuve, elle est juste l'expérience d'une relation. Pourquoi cette foi plutôt que le constat ? Eh bien l'expérience de la foule des rameaux répond assez bien à cette question. Cette même foule qui a vu la résurrection de Lazare, qui célèbre Jésus comme roi qui va ensuite demander sa crucifixion. Lorsque je constate, je ne fais pas confiance, il est donc facile de se détourner au moindre événement plus spectaculaire. A la première démonstration logique plus probante. Comment pourrait-on croire en Dieu "parce qu'on voit" alors que, de la brise légère d'Élie au secret du tombeau vide, Dieu se révèle dans ce qui est sans éclat, sans apparence ? Comment pourrait-on croire "parce que c'est logique" alors que Dieu a choisi les choses folles du monde pour confondre les sages ? La foule acclame Jésus certes, mais parce qu'elle a vu et non parce qu'elle a cru. Or choisir de voir, réclamer des signes, chercher des preuves, c'est précisément refuser de croire. La foule en sera un bon témoignage puisque ce qu'elle a vu ne l'empêchera pas de se détourner de son sauveur.
Le troisième groupe présent ne pense pas à la résurrection de Lazare. Ils ont fait tout cela, nous dis Jean, sans vraiment comprendre. Fait quoi ? Eh bien, les évangiles synoptiques sont plus précis : ils ont cherché et préparé l'ânon, ils ont coupé des branches. Eux ce sont les disciples, ceux qui suivent Jésus, ceux qui écoutent son enseignement, ceux qui sont les mieux placés pour comprendre le sens de cette journée. Et pourtant, l'évangile nous le précise : ils n'y comprennent rien. Ils ne comprendront qu’après coup : une fois que le fils de l’homme aura été glorifié. Glorifié, c’est à dire crucifié dans le vocabulaire de Jean… En effet, pour Jean, la gloire de Jésus le Christ, son élévation, l’accomplissement de sa mission c’est la croix. C’est le grand paradoxe de l’évangile de Jean : c’est dans la mort que Jésus se révèle comme source de vie. C’est dans l’infamie, l’humiliation la plus complète qu’il se révèle victorieux. C’est quand tout est perdu que s’ouvre l’espérance. Et le texte est très clair, il est impossible de vraiment comprendre la royauté de Jésus sans se référer à la croix. Nous nous trompons lorsque nous voulons mesurer le succès de la Bonne Nouvelle en comptant le nombre de fidèles. Nous nous trompons lorsque nous prétendons prouver Dieu par la pertinence de notre logique ou même par les signes qui nous sont donnés. Être disciple du Christ c’est toujours regarder à la croix, ce renversement inouï : Dieu se donne complètement. Mon Roi vient à moi comme un serviteur et même plus bas qu’un serviteur, un condamné, rejeté de tous. Il n’y a plus de force, il n’y a plus d’éclat mais seulement l’amour. Un amour immense qui vient transformer ma vie toute entière, qui me pousse à mon tour à abdiquer tout orgueil. Reconnaître Jésus comme roi, c’est renoncer à toute logique de puissance.
Frères et sœurs, c’est dans l’humilité, dans l’abandon le plus total que notre Dieu vient à nous. Alors plutôt que de compter et recompter sans cesse nos effectifs, plutôt que de rester captifs de notre soif de signes et de démonstrations, regardons à la croix. Car c’est là que Dieu nous donne tout. C’est de cet échec qu’a jailli la victoire, c’est dans ce désespoir que s’ouvre l’Espérance. Réjouis toi, car ton Roi vient à toi. Il est juste et victorieux. Il est humble et monté sur un ânon, le petit d'une ânesse.
Pasteur de l'Eglise Réformée de France, amateur de jeux de société, de cinéma, de longues discussions
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