16 Avril 2006
Prédication de Pâques 2006
Actes X, 34 à 43
Colossiens III 1 à 4
Jean XX 1 à 18
Fête étrange que la fête de Pâques… Pas seulement à cause de ses lapins ovipares, de ses poissons chocolatiers et de ses cloches baladeuses… Non, c’est bien comme fête chrétienne que la fête de Pâques est étrange. Nous célébrons aujourd’hui l’événement essentiel, fondateur du christianisme. C’est notre fête la plus importante, la plus joyeuse mais si on regarde de l’extérieur ce qui est à l’origine de cette fête, ce qui cause cette joie, les choses deviennent bizarre. Que célèbrent les chrétiens au matin de Pâques ? Du rien… Une absence, un néant, un vide...A Noël, nous célébrons une naissance : et même si les récits de Noël sont bien plus théologiques qu’historiques, aujourd’hui peu d’historiens nient l’existence de Jésus, il a donc bien fallu qu’il naisse. Le vendredi saint : nous célébrons la crucifixion, la mort de Jésus, là encore, ils sont peu nombreux à nier cet événement. Mais le dimanche de Pâque, ce premier jour de la semaine, quel événement biblique célébrons nous ? La résurrection me direz-vous… C’est aller un peu vite : aucun évangile ne raconte la résurrection, celle-ci échappe à nos regards : ce que nous célébrons, c’est un tombeau vide… Et ce tombeau, c’est apparemment le mystère de la chambre jaune, on ne voit personne en sortit… Eh oui, notre fête la plus joyeuse célèbre une absence, une disparition. Etrange non ? Et plus étrange encore, l’évangile selon Jean pour nous raconter ce qui ne se voit pas, nous présente des témoins, des témoins qui, justement, ne font que voir où il n'y a rien à voir...
Voir… c’est en tout cas comme cela que beaucoup de nos traductions rendent par un seul verbe 4 verbes grec différents. Bien sur nous avons nous aussi beaucoup de verbes pour indiquer le regard malheureusement nos termes et les termes grecs ne coïncident pas complètement quant à leur sens…
Je commencerais par le verbe qui se rapporte à Jean dans le tombeau, eidw, qui signifie à la fois voir et savoir, voir et comprendre. Un peu comme nous lorsque nous disons « Vois-tu ce que je veux dire ? ». Et ici, c’est bien comme « savoir » qu’il faut le comprendre. Ce n’est pas avec ses yeux que Jean voit ici, ce n’est pas par son regard qu’il saisit l’essentiel mais bien avec son cœur. Si j’ai commencé par cette façon de voir, au mépris de toute chronologie, c’est parce que c’est la manière idéale de voir. Or, celui que j’appelle Jean par habitude et convention est anonyme dans l’évangile de Jean, il est le « disciple que Jésus aimait… » Et cet anonymat en fait une sorte de modèle ou plutôt d’idéal. Le disciple que Jésus aimait, cela sonne parfois à mes oreilles comme « Le disciple que Jésus aurait aimé avoir ». Avec ce voir qui est aussi un savoir, nous sommes immédiatement devant l’idéal, j’ai envie de dire l’asymptote, de la foi. Ce vers quoi nous tendons sans jamais l’atteindre… Mais lisons un peu comment voient ces deux autres disciples que Jésus n’aime pas moins que Jean : Marie de Magdala et Pierre…
Marie de Magdala regarde le tombeau ouvert. C’est ainsi que j’ai choisi de traduire blepw. Parce qu’en français nous disons qu’on peut regarder sans voir. Nous envions souvent ceux qui ont eu Jésus sous les yeux, ceux qui ont pu voir en oubliant que, justement, Jésus n’offrait pas grand chose à voir. Quand Marie de Magdala voit la pierre roulée, elle pleure : ses yeux la conduisent à une conclusion logique « ils ont enlevé le corps du Seigneur ». C’est ce que n’importe qui aurait pensé et cela nous montre bien que contrairement à ce que nous pensons encore trop souvent, voir ce n’est pas forcément croire… Laissons quelques instant Marie à ses larmes et passons à Pierre.
Pierre lui mène l’enquête, le texte nous dit qu’il observe, examine, analyse. C’est ainsi qu’on peut traduire le verbe qeorew , qui a donné le français « théorie ». Si Pierre observe, analyse, c’est bien parce qu’il croit, parce qu’il ne peut se satisfaire de la conclusion évidente : « ils ont enlevé le corps du Seigneur ». Ainsi, la démarche du chercheur, de l’analyste n’est en rien contradictoire avec la foi. La foi ne nous demande pas de renoncer à notre intelligence ou à notre raisonnement. Mais si cette enquête vient approfondir le regard, si elle peut révéler des indices, elle ne prouve rien. Notre réflexion n’est pas opposée à notre foi, mais elle n’est pas non plus source de notre foi. Nous ne croyons pas parce que nous avons pesé et analysé, ce n’est pas la logique qui nous pousse à croire.
Mais alors comment Marie et Pierre vont-ils passer du regard et de l’observation à la foi. Comment vont-ils arriver à dire enfin : J’ai vu (oraw) le Seigneur.
Eh bien, ce n’est pas par leur regard ni par leur réflexion mais par une rencontre avec le ressuscité. Celle de Pierre nous sera racontée plus tard mais voyons un peu comment les choses se passent pour Marie. Tout d’abord Marie ne reste pas comme une potiche à se morfondre. Selon la coutume de son époque, elle a laissé priorité aux hommes, mais elle aussi, elle mène son enquête : elle se penche vers le tombeau et à son tour, elle observe. Eh non, la démarche logique et analytique n’est pas réservée aux hommes dans la Bible ! Mais comme pour Pierre, cette démarche ne sera pas fructueuse : ce ne sont pas ses observations qui amèneront Marie à croire. Regardez son mouvement. Elle observe les messagers, parlent avec eux même puis elle se retourne une première fois, observe Jésus mais sans le reconnaître. Et c’est lorsqu’il l’appelle par son nom, c’est à dire lorsqu’il vient à son contact, qu’elle se retourne encore. Bien sûr qu’elle ne lui tourne pas le dos, alors qu’elle vient juste de le reconnaître mais cette fois, le retournement est intérieur. C’est une conversion provoquée par la rencontre dont Jésus a pris l’initiative. De la même manière, il vient nous rencontrer. Oh bien sur ce n’est pas frocément de la façon dont il a rencontré Marie de Magdala, c’est souvent une rencontre intérieure : contre toute raison, contre toute logique nous avons le sentiment profond qu’il est vivant et qu’il se tient à nos côtés. Contre tout ce que nous voyons, nous savons que l’espérance n’est pas morte. Jésus a appelé Marie et à présent, libérée de son regard, elle a compris.
Et maintenant, elle peut sortir du tombeau. J’ai dit tout à l’heure qu’on ne voyait personne sortir de ce tombeau vide, c’est faux. En fait, on voit beaucoup de monde sortir du tombeau. Sortent du tombeau Pierre, Marie et le disciple que Jésus aimait. Et nous même. En effet, quelle que soit notre perception que tout nous paraisse limpide comme pour Jean, que nous regardions sans voir comme Marie de Magdala ou que nous enquêtions sans comprendre comme Pierre, l’essentiel n’est plus dans ce que nous percevons. L’essentiel c’est qu’aujourd’hui Jésus, vivant, nous fait sortir du tombeau… Alors sortons de nos peurs et de nos tombes ; échappons à nos désespoirs et à nos prisons. Nul ne nous a enlevé notre Seigneur et nul ne nous l’enlèvera jamais, il est vivant et nous appelle à la vie.
Frères et sœurs, dans le tombeau vide, il n’y a rien à voir pour ce monde qui réclame des signes. Alors c’est à nous de lui donner à voir. Non pas des yeux désespérés et vide mais des regard brillants d’amour et d’espérance, non pas des mines de déterrés mais des visages de ressuscités. C’est par notre joie et notre amour que nous serons témoins du ressuscité.
Amen
Pasteur de l'Eglise Réformée de France, amateur de jeux de société, de cinéma, de longues discussions
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