Le traité d'athéologie

Publié le 9 Octobre 2006

Bon, voilà le Traité d'athéologie est sorti en édition poche. Comme je me l'étais promis je me le suis donc offert et mieux, je l'ai lu ! En fait, j'étais vraiment curieux de lire ce dont tellement d'athées se gargarisaient. Et je me demandais de quel type serait ma réaction : allais-je paraître le chrétien ouvert à la critique, reconnaissant la richesse de la pensée de l'autre. Ou au contraire réagirais-je en horrible réac, pourfendant la libre pensée ? Réponse dans les lignes qui vont suivre…
Ca commence plutôt bien, la première partie sur l'athéologie présente intelligemment l'histoire de l'athéisme et n'hésite pas à montrer que certains penseurs revendiqués par les athées ne l'étaient pas du tout (athée, s'entend). Cette même première partie soulève aussi plusieurs questions.
Toujours la même pour commencer : comment prouver rationnellement que la raison seule permet d'accéder à la vérité ? M. Onfray le pose comme un axiome mais il ne le démontre pas.
Deuxième remarque, l'athéisme que préconise M. Onfray n'est il pas finalement un peu un prisonnier inversé du christianisme ? Je m'explique : vouloir rejeter tout ce qui vient du (ou est simplement accepté par) le christianisme comme mauvais me paraît être terriblement limitatif : une vraie liberté vis à vis du christianisme ne consisterait-elle pas à savoir en prendre les bons aspects et en rejeter les mauvais. Cela me rappelle un peu l'époque où les protestants français étaient tellement désireux de se démarquer du catholicisme qu'ils optaient systématiquement pour l'attitude opposée (au point d'appeler nos bâtiments des temples au mépris de toute sémantique)
Troisième remarque : n'est-il pas un peu facile de décréter que tout représentant des monothéismes qui ne correspond pas à l'accusation de M. Onfray n'est qu'un "prétexte" et de lui contester toute validité pour représenter la foi dont il se réclame ? Forcément si on ne garde pour représenter l'adversaire que ce qu'il a de plus vil nos yeux, la diatribe est assez facile...
Et effectivement, dans la 2nde partie : Monothéismes, les choses se gâtent.
Tout d'abord, il est évident que pour M. Onfray, le christianisme se résume au seul catholicisme romain et encore, pas n'importe lequel, mais celui qui lui permettra le plus facilement de parler de haine de la femme et de la science (NB : j'ai bien conscience que même l'image que M. Onfray véhicule du catholicisme est faussée).  Ensuite, comme beaucoup, M. Onfray associe la religion et en particulier les monothéismes  à la peur de la mort, c’est une telle évidence… Mais comme beaucoup, il ignore que l'idée d'une résurrection (qui n’a rien à voir à la notion de vie après la mort telle qu'elle est envisagée aujourd'hui) n'apparaît que très tardivement dans le judaïsme et reste contestée à l'époque de Jésus. En plus de ces erreurs, M. Onfray cultive systématiquement la confusion entre les textes sources et les lectures qui ont suivi. Et bien sûr il ne retient que les lectures qui serviront le mieux son argumentation) Voir par exemple son attaque du libre arbitre qui n’est pas une notion biblique (Paul affirme le contraire d'un libre arbitre) mais augustinienne (et qui fut contestée sévèrement par Luther contre Érasme)…
A propos de la Bible, sur 4 citations bibliques, 3 sont fausses.

  1. M. Onfray pose Paul comme un zélateur brûleur de livres et voit dans le récit d'Actes XIX,19 une invite à l'Index des livres prohibés (15 siècles plus tard) mais si on va vérifier le récit, on s'aperçoit qu'en fait des magiciens décident de brûler leurs livres  de sorts sans que Paul leur donne aucune directive dans ce sens. Un peu comme si touché par la lumière de Michel Onfray je décidais de renoncer à ma superstition et que je brûlais ma Bible. Bref on est loin de l' "appel à brûler les livres dangereux".
  2. Les sciences seront abolies écrit Paul aux Corinthiens, la preuve selon M. Onfray que l'avorton est contre l'intelligence. Sauf qu'encore  une fois, la citation est fausse, la science dont parle Paul c'est la théologie, la science des docteurs de la loi qui disparaîtra au moment où tous les hommes connaîtront Dieu de la même façon.
  3. Enfin, la plus belle, le fameux arbre de la connaissance... Ah ah ! vous voyez bien que la connaissance est considérée comme un péché ! éxulte l'athéologien. Mais ici, il est question de l'arbre de la connaissance du bien et du mal. Et donc ce qui est considéré comme un péché, c'est de vouloir décréter ce qui est bien et ce qui est mal, la connaissance en question s'apparente donc à la morale et au jugement de l'autre.

Vous remarquerez qu'aucune de mes interprétations ne réclame de grandes connaissances théologique. Juste une lecture  complète et sans a priori des textes. Une  honnêteté intellectuelle élémentaire dont Michel Onfray ne s’embarrasse guère…
Je ne suis pas assez bon connaisseur de l'Islam ou du judaïsme pour réagir sur ce qui est dit à leur sujet mais le traitement réservé au christianisme et à la Bible me paraît suffisant pour émettre de sérieux doutes sur la validité du reste de cette partie. En effet, à ce stade, je peux affirmer que Michel Onfray fait preuve, soit de malhonnêteté intellectuelle, soit d'une profonde méconnaissance de ce qu'il veut combattre. Dans les deux cas, pour quelqu'un qui se pose en défenseur de l'intelligence et de l'esprit critique ça soulève un grave problème. L'attaque de M. Onfray contre les religions n'a rien de rationnelle et ressemble beaucoup à un règlement de comptes personnel. En effet, plutôt qu’une description nuancée d’un christianisme qui a pris bien des formes différentes à travers les âges, M. Onfray préfère mélanger les époques et les courant théologiques, ne retenir que le pire de chaque pour finalement dresser le portrait d’un christianisme monolithique qui n’existe que dans son imagination.
Comme on pouvait s'y attendre, cela ne s'arrange pas dans la troisième partie sur le christianisme. M. Onfray ignore manifestement tout de la recherche actuelle sur l'histoire de la formation des évangiles (sait-il seulement que cette recherche existe ? On peut en douter) Ce qu'il écrit de cette formation est á peu près aussi exact que si je résumais l'évolution des espèces en disant que l'homme descend du singe ou la naissance des bébés en parlant de la petite graine que le papa plante dans le ventre de la maman. Et quant à ce qu'il sait, il fait preuve de duplicité : en affirmant, à raison, que les copistes chrétiens ont sans doute déformé des textes par des ajouts et des omissions et tout en précisant que c'était chose normale dans une antiquité qui n'avait pas la même relation que nous au texte, il ne se prive pas de les accuser de contrefaçon et de malhonnêteté. Habile rhétorique !
De plus, Onfray continue à faire preuve d'une incroyable méconnaissance des textes et de l’histoire « A l’époque on ne crucifiait pas les juifs, on les lapidait » écrit-il , tant pis pour Flavius Josèphe qui affirme exactement le contraire : les romains crucifiaient les rebelles juifs et pour Yohanan, cadavre d’un crucifié du Ier siècle retrouvé au nord de Jérusalem. M. Onfray règle ensuite ses comptes avec un Paul dont il ignore manifestement tout de la pensée, en lançant de grandes affirmations sans citer ses sources, sur le mode "tout le monde sait bien...". C'est si pratique d’utiliser ainsi les images d'Epinal. Une très jolie perle : une preuve que Paul était un idiot haïssant l'intelligence ? C'était un travailleur manuel...

Allez, au risque de paraître mesquin, je vous cite le summum du ridicule. Les évangélistes veulent un Jésus idéalisé et désincarné, la preuve c'est qu'à aucun moment ils ne le montrent pétant ou déféquant. Là, il fallait oser ! Le traité  consacre plusieurs pages à Hitler sans jamais préciser que celui-ci pétait ou déféquait. En appliquant la méthode Onfray, dois-je en conclure que l'athéologien sublime le führer ? Dois-je, par crainte que vous ne pensiez que je veux me magnifier à vos yeux, vous faire part de ma vie gastrique ?
Si lors de ma prochaine prédication ou étude biblique, j'affirme que Jésus digérait, déféquait, éternuait et se mouchait, je vous assure que personne ne criera au blasphème. En revanche, on me dira : "oui c'est évident. Et alors ?"
"Le Messie n'a pas faim, ni soif, il ne dort jamais, ne défèque pas, ne copule pas, ne rit pas" écrit Michel Onfray. Les évangiles (qui, à propos, ne se veulent pas des biographie) montrent un Jésus qui a faim (Matthieu XXI, 18), soif (Jean IV, 7 et XIX, 28), et qui dort (Matthieu VIII,24) et ils ne nient absolument pas le reste. 50 % d'erreurs c'est beaucoup pour quelqu'un qui prétend avoir lu les textes "une plume à la main"...
Le reste du livre est à l'avenant, accumulant les contre-vérités et les simplifications excessives. L'Église a forgé le canon en écartant des textes pour avoir une version univoque de la vie de Jésus ? Faux ! L'Église avait, grâce à Marcion, une Bible absolument univoque, dont toutes les contradictions avaient été écartées, elle a rejeté cette version qui aurait été si pratique pour lui préférer l’équivoque et les contradictions des textes canoniques tels que nous les connaissons. Et s'il est indéniable que des textes ont été écartés (mais non détruits) pour cause d'opinion hérétique, beaucoup d'évangiles apocryphes ont été écarté justement parce que trop axés sur le merveilleux et le miraculeux. Autant de faits incontestables qui posent de sérieux problèmes aux affirmations onfraysiennes.
Enfin, M. Onfray s'installe confortablement sur le point Godwin, soulignant longuement la complicité de l'Église catholique romaine avec le nazisme, sans dire un mot de la mainmise de Hitler sur l'Église protestante et la création en réaction de l'Église confessante, en passant sous silence que Hitler allait puiser dans Nietzche autant que dans l'évangile selon Jean (et tout aussi abusivement). Bref, sur la question mieux vaut (re) voir l'excellent Amen que lire Michel Onfray.
En fait, il y a 2 points communs entre M. Onfray et Benoît XVI, ils assimilent tous les deux le christianisme au catholicisme et détestent le relativisme. Mais Benoît XVI, lui, sait de quoi il parle.
Bon je vais m'arrêter là (déjà, pour faire le chrétien ouvert c'est fichu) et je ne recenserai pas les contradictions internes au traité. Qu'on me comprenne bien, loin de moi l’idée d’interdire ce livre ou d’empêcher M. Onfray d’écrire ce qu’il veut. Je ne prétend même pas ici prendre la défense de la religion. D’ailleurs je n’ai abordé aucun des deux thèmes qui me sont chers , une foi qui pousse à l’interrogation et à la remise en question et l’opposition entre foi et religiosité. En revanche, c’est l’intelligence et l’esprit critique que je prétend défendre ici.  Si M. Onfray avait intitulé son livre Pamphlet contre les religions, ma note aurait été moins longue et je ne l’accuserais sans doute pas de malhonnêteté (juste de démagogie) mais un traité, c’est un livre didactique or, son attaque n'est ni rationnelle, ni sérieusement documentée. Cela aurait demandé plus de travail de recherche (Duquesnes, le Nouveau catéchisme, Soller et Mordillat et Prieur sont de bons ouvrages de vulgarisation (encore faudrait-il qu’il soient cité plus correctement) mais restent des sources très insuffisantes quand on prétend dresser un portrait des monothéismes), plus de nuances et cela aurait été sans doute un moins grand succès de librairie…, Pour toutes ces raisons, j’avoue être un peu étonné quand je vois bon nombre d’athées donner tellement d’importance à M. Onfray au point que même ceux qui affirment n’avoir pas aimé le traité utilisent certains de ses arguments les moins convaincants… Je ne méprise pas les athées, mais je désespère qu'ils fassent ainsi fi de tout esprit critique et prennent pour argent comptant les simplifications infantiles et les contre vérités pourvu qu’elles abondent dans leur sens… Allez, ne rentrons pas dans les travers que je viens de dénoncer, j’ai vu aussi certains athées prendre pas mal de recul vis à vis de l’ouvrage voire le réfuter complètement…
Pour conclure, je fais deux promesses. Celle de lire un ouvrage de Onfray sur un sujet qu'il connaît pour découvrir le penseur à côté de l'homme visiblement blessé.
Et celle de lire Comté-Sponville, pour avoir une autre approche de l'athéisme moderne. Si j’étais parfaitement impartial, je m’engagerai aussi à lire un livre d’un chrétien fondamentaliste ou partisan de l’ordre moral… Mais ça c’est vraiment mauvais pour ma tension… Rassurez-vous, je sais que les plus dangereuses attaques contre le christianisme viennent de l’intérieur…

Michel Onfray : Traité d'athéologie. Le livre de poche

Rédigé par Eric George

Publié dans #Humeurs

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L
Si les chrétiens avaient eu peur de la mort, dès le début - comme une racine viciée -, c'est vrai qu'ils auraient rechigné à se placer dans la gueule des fauves du cirque.(Ironie.)
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E
Le danger de l'ironie, c'est qu'un mal-comprenant comme moi ne saisit pas forcément le fond du message. Par exemple je ne sais pas si votre commentaire vient renchérir sure ma critique ou, au contraire, l'infirmer. Désolé mais j'ai l'impression que ça peut marcher dans les deux sens.Quoiqu'il en soit, je ne suis pas certain que les persécutions (et à fortiori l'attitude des chrétiens devant celles-ci) soient un argument dans un sens ou dans l'autre. Même si l'on tient pour authentique le récit, très édifiant, de ces premiers chrétiens allant dans l'arène en chantant des cantiques, on sait également que si les chrétiens n'ont pas choisi d'être persécuté et qu'ils s'en seraient sans doute volontier passé... D'ailleurs, ils se cachaient...
E
Dans une discussion, ailleurs, on me fait la remarque qu'il y aurait eu une discussion au Moyen Age pour savoir si Jésus déféquait et d'autre part que Michel Onfray, en bon hédoniste insiste beaucoup sur la célébration du corps... J'espérais un peu que la personne viendrait d'elle même faire ses remarques ici, mais bon...Toput d'abord, il est possible qu'il y ait eu une discussion au Moyen âge, mais cela reste dans le domaine de confusion entre les textes sources et les lectures ultérieures. Ensuite que Michel Onfray soit hédoniste n'excuse pas d'écrire n'importe quoi. Primo il me parait y avoir d'autres voies que l'absolue célébration du corps et l'absolu négation de celui-ci. Secundo : quand on essaye de voir quelle image de Jésus de Nazareth se faisait les évangiles, il me paraît rationnel de partir du principe de probabilité. Quand on me parle de quelqu'un, je pars du principe qu'il est normalement constitué qu'il a deux bras, deux jambes, qu'il digère et qu'il respire, qu'il est né d'un père et d'une mère, qu'il mourra un jour. Les évangélistes fonctionnent exactement sur ce principe là, ils parlent principalement de ce qui ne va pas de soi, ils vont donc parler de la naissance virginale ou de la résurrection plus que de la vie digestive de Jésus. Mais s'ils avaient voulu dire que Jésus ne digérait pas, ils l'auraient écrit explicitement. De la même façon les évangélistes ne croient pas utile de préciser que Jésus n'avait pas d'aile et que ses cheveux n'étaient pas vert fluos, est ce que ça veut dire qu'ils sous entendaient que Jésus avait avait des ailes et des cheveux verts fluos ? A mon avis, non... Je maintiens donc que son argumentation de la non déféquation de Jésus est l'argument athée le plus grotesque qui m'ait été donné d'entendre... D'ailleurs l'auteur de cette remarque ne nie absolument pas qu'il y ait ici une mauvaise lecture de la part d'Onfray...
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F
J'oubliais : merci pour cet article au sujet de ce livre que mon père (athée et anticlérical) n'a rien trouvé de mieux que de me l'offrir pour mon anniversaire .... Je pense que je devrais en rire comme vous le faites, mais j'ai du mal. En tout cas, vous avez parfaitement raison : il s'agit d'une personne blessée.
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E
Je comprends tout a fait que vous ayez du mal à rire, la longueur de mon commentaire prouve bien que j'ai pris le Traité tout a fait au sérieux et m'a poussé à classer l'article dans humeurs plutôt que dans la rubrique livre... L'affirmation "il n'y a que la vérité qui blesse" me paraît complètement fausse...Vous devriez offrir à votre père La subversion du christianisme de J. Ellul. Ce ne serait pas un geste de revanche, il serait sans doute d'accord avec bien des propos d'Ellul mais il verrait que les chrétiens peuvent se montrer critiques vis à vis d'eux même et même anti-cléricaux...
F
A Micky et Eric : je ne sais pas si vous suivez les commentaires des notes précédentes mais j'ai laissé un commentaire sur la note "Dangereuse Miséricorde", réponse à des commentaires qui me concernaient et que je n'avais pas vus ...
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E
Les 5 derniers commentaires apparaissent toujours sur le site même sur une note plus ancienne. Il est donc toujours possible de les suivres.Quant à moi, je suis prévenu par e-mail des commentaires laissé sur le blog..
D
Quelle morale en tirez vous personnellement comme si c'était une fable de la fontaine.<br /> A propos de fable, vous avez du lire la fable du christ de Luigi Cascioli, quelle morale tirez vous de la vérité qu'il démontre sur l'inéxistence de Jésus Christ. Puisque votre ancien testament donc la torah n'est que mythologie comme le dit nouveau testament.<br /> peut être qu'il y a une moralité en ces choses.
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E
Comme je vous l'ai déjà dit la lecture que je du deuxième récit de création de la Genèse est ici<br /> http://miettesdetheo.over-blog.com/article-1346758.html<br /> Quant à Cascioli, non je ne l'ai pas lu mais chaque extrait que j'en trouve sur le net est truffé d'erreurs ou d'incohérences... Je vous en ai déjà cité deux, j'en ai découvert d'autres depuis... Et comme on ne démontre pas la vérité avec une argumentation fausse...