Compté, pesé et jugé insuffisant...
Publié le 5 Novembre 2006
Prédication du 5 novembre 2006
Daniel V ; 1 à 30
Tite III, 4 à 7
Après avoir été le conseiller de Nabuchodonosor, Daniel est confronté à son fils Belchatsar. A travers cette brève rencontre entre le prophète et le nouveau roi nous avons, me semble-t-il, l’image d’un parcours de foi, celui de Belchatsar. Je ne prétends pas que ce parcours soit le même pour tous, bien au contraire, ni même qu’on puisse établir un parcours linéaire de la foi, avec un commencement, un milieu et une fin, dans notre parcours personnel, nous allons et venons, la foi n’est jamais acquise une fois pour toutes, nous ne pouvons pas utiliser le parcours de Belchatsar comme une carte routière dont nous nous servirions pour savoir où nous en sommes et quel chemin nous reste à parcourir, ou pire, où les autres en sont, de leur chemin et de leur relation à Dieu. Mais ceci posé, les étapes que traverse Belchatsar me paraissent intéressantes à définir.
Au départ, Belchatsar connaît Dieu par ouï-dire, et c’est le déni ; puis vient le moment de la rencontre, de l’expérience de Dieu et de la peur ; Belchatsar est alors prêt pour qu’un autre vienne lui exprimer le message de Dieu et c’est le temps de la perte ; enfin vient le temps de l’acceptation de la Parole de Dieu et de la foi.
Belchatsar a entendu parler de Dieu, il a été catéchisé, si je puis me permettre cet anachronisme. Daniel le lui dit : « tu savais toutes ces choses (qui sont arrivées à ton père, jusqu’à ce qu’il reconnaisse que le Dieu suprême règne sur les hommes) ». Mais Belchatsar n’a pas tenu compte de ces récits, sans doute les a-t-il considérés comme un « truc de vieux ». Pour lui, c’était peu raisonnable de croire qu’il pouvait y avoir un seul Dieu. Et encore moins raisonnable que ce Dieu unique pouvait être celui d’une nation vaincue : Belchatsar est comme les hommes de son époque, il est persuadé que quand deux pays se font la guerre, leurs dieux aussi s’affrontent et que c’est le pays dont les dieux sont les plus forts qui gagnent. Belchatsar n’est donc absolument pas prêt à reconnaître un Dieu unique qui peut se servir de chaque peuple pour faire sa volonté, sa raison le lui interdit.
Aujourd’hui encore, bien des gens ont entendu parler de Dieu, que ce soit à travers une instruction religieuse, à travers la culture de notre pays ou à travers le message des Eglises et ces gens ne croient pas en Dieu parce que ce n’est pas raisonnable de croire en Dieu, après tout, son existence n’est pas prouvée et des idées comme l’incarnation de Dieu en Jésus le Christ, le Royaume ou la résurrection ressemblent quand même beaucoup trop à des contes pour enfants. Seules, notre intelligence et notre raison ne peuvent pas nous permettre de connaître Dieu, tout au plus de le réduire à l’état de concept et de reconnaître la validité d’une partie de son message, en élaguant tout ce qui est un peu trop radical : « aimer son prochain », c’est bien ; « aimer ses ennemis », faudrait pas demander l’impossible…
Si l’intelligence et la raison ne sont pas incompatibles avec la foi, elle ne peuvent pas la susciter, la foi. C’est-à-dire que la confiance en Dieu, vient d’abord de la rencontre avec Dieu.
Cette rencontre, Belchatsar va la faire, de façon spectaculaire, j’allais dire grand-guignolesque… On comprend aisément la peur qu’a pu susciter cette main surgissant de nulle part pour écrire sur le mur dans une langue inconnue. Bien sûr, la rencontre avec Dieu n’a pas eu lieu de cette manière là pour beaucoup d’entre nous.
Pourtant, nous aussi, nous avons pu éprouver d’une certaine façon la peur de Belchatsar. Je ne peux savoir quel a été le parcours de chacun donc le seul exemple que je puis donner, c’est le mien. Il m’est arrivé bien des fois de confronter ma foi et ma raison, de me dire que tout cela n’était peut être que superstition et pourtant quand je décidais de ne plus y croire, j’y croyais quand même, presque malgré moi.
C’est assez effrayant de se rendre compte que nous ne sommes pas maître de notre esprit, de nos émotions ou de nos pensées, que nous pouvons croire malgré nous. Nous sommes alors, comme Belchatsar, confronté à quelque chose d’inexplicable, d’incontrôlable. Et comme nous redoutons plus que tout de perdre le contrôle, la rencontre avec Dieu, avec le Tout–Autre, avec l’Insaisissable, s’accompagne toujours d’une certaine peur.
Pourtant, dans ce récit, comme dans d’autres exemples bibliques, cette rencontre ne suffit pas encore à susciter la foi, la relation de confiance avec Dieu, il faut le témoignage d’un tiers. En effet, sans ce témoignage d’un tiers, il serait difficile de faire la différence entre la rencontre réelle avec Dieu et la crise de folie mystique. Si la rencontre avec Dieu est un événement personnel, dans la Bible, à ma connaissance, il y a toujours l’intervention d’un tiers qui vient expliquer ce qui se passe ou témoigner de la réalité de cette rencontre avec Dieu et, en fait, donner un cadre à cette rencontre, empêcher les dérives.
Ici, c’est Daniel qui vient expliquer à Belchatsar, il y a d’autres exemples dans la Bible, où le témoignage vient d’une autre personne (deux exemples célèbres : le rôle du grand prêtre Elie dans la vocation de Samuel ou celui d’Elizabeth, dans l’annonce à Marie). Il y a aussi des cas ou le témoignage n’est pas celui d’une personne : dans le cas de Moïse devant le buisson ardent, pour lui faire comprendre ce qui se passe, Dieu se présente à Moïse comme le Dieu de son père, le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac et le Dieu de Jacob (Ex. III ; 6) c’est donc ici la tradition,la transmission du témoignage des ancêtres qui tient lieu de tiers, de témoignage.
Dans la théologie réformée, le premier témoignage, premier au sens de plus important, c’est la Bible. C’est la Bible qui vient nous expliquer qui est ce Dieu qui se révèle à nous, ce Dieu dont nous percevons la présence.
C’est la Bible qui vient nous dire quel est le message que ce Dieu nous adresse, comme Daniel traduit à Belchatsar les mots inscrits sur le mur et les interprète. Et ce temps du témoignage et de l’explication c’est le temps de la perte.
Perte pour Belchatsar qui apprend en même temps la destruction de son royaume et la proximité de sa mort. Perte pour nous aussi puisque la parole que nous recevons nous invite à renoncer à nous-mêmes, à nos propres forces, à tous ce à quoi nous accordons une valeur immense : nos biens matériels, notre intelligence et notre raison, nos propres capacités.
Eh oui ! Comprendre l’Evangile, la bonne nouvelle, que Dieu nous adresse, c’est d’abord un temps de perte, un temps où nous sommes invités à renoncer à nous-même. Jésus le disait nous appelant à être aussi faible et dépendant que les petits enfants et à renoncer à nos richesses, et Paul l’avait très bien compris qui rappelait que baptisés en Jésus Christ, c’est en sa mort que nous étions baptisés et qu’il nous fallait laisser mourir notre vieil homme.
Après le temps du choc et de la perte, vient le temps de l’acceptation et de la foi. Belchatsar ne se révolte pas contre la mauvaise nouvelle dont Daniel est porteur. On n’aurait pu s’attendre à ce que Belchatsar fasse exécuter ce porteur de mauvaise nouvelle ou tout au moins qu’il le supplie de lui donner un moyen d’échapper à ce sort. Mais non… Belchatsar accepte l’annonce et fait de Daniel le troisième personnage du Royaume.
Un bel exemple de fair-play, surtout un bel exemple d’acceptation de la volonté de Dieu… Je ne suis pas sûr que beaucoup de chrétiens pourraient témoigner du même esprit de renoncement et d’obéissance que Belchatsar… Moi, en tout cas, j’en suis incapable.
Pourtant, nous avons un avantage immense sur Belchatsar. Le message qu’il reçoit est Mene Mene Teqel Parsin : compté, compté, pesé, divisé. Tu as été compté et tu arrives à ta fin. Tu as été pesé et jugé insuffisant. Tu seras divisé. La seule expression de foi qui reste à Belchatsar c’est le fatalisme : « Puisque Dieu en a décidé ainsi cela arrivera ».
Mais nous, le message que nous recevons c’est méné, méné, teqel, dikaionthentes (navré, je ne connais pas assez l’araméen, je suis obligé de passer au grec). Nous avons été compté, pesé et jugé insuffisant et pourtant nous sommes déclarés juste par Dieu, non pas en fonction de ce que nous réalisons, non pas en fonction de nos qualités mais simplement par l’amour de Dieu.Nous recevons la promesse que Dieu aime les hommes, le monde et qu’il veut le bonheur de tous.
Ainsi, la phrase de notre obéissance, de notre soumission à Dieu ce n’est pas « que sera, sera », « c’est dieu qui l’a voulu, il n’y a donc rien à faire », la phrase de notre obéissance, c’est « quoiqu’il arrive, nous croyons que Dieu restera avec nous, qu’un jour, le mal sera vaincu et que notre Seigneur nous conduira l’humanité à son Royaume, un règne de paix et d’amour ».
Frères et sœurs, quelles que soient les étapes de nos parcours de foi, que notre soumission à Dieu ne soit jamais un renoncement face à une volonté plus forte que la nôtre. Au contraire, que notre soumission soit obéissance joyeuse et confiante en l’amour de Dieu pour nous et en ses projets de vie et de bonheur pour l’humanité.
Amen.