20 Mars 2007
On aimerait que ce soit plus simple. Selon le camp dans lequel on se place, on aimerait que les opposants à l’euthanasie soient d’horribles bigots revendiquant une souffrance rédemptrice ou de terrifiants médecins se prenant pour Dieu et s’acharnant thérapeutiquement sur le malade, le transformant en champs de bataille contre la mort. Ou bien, à l’opposé, on aimerait que les partisans de l’euthanasie soient d’irresponsables eugénistes, estimant que donner la mort est aussi anodin qu’administrer un vaccin, ou d’infâmes comptables, calculant le prix que le malade va coûter à sa famille et à la société… Malheureusement, les choses ne sont pas si simples. Dans chaque camp, on trouve surtout des hommes et des femmes confrontés à l’insupportable question de la souffrance et tentant de trouver une attitude acceptable face à l’inacceptable. Ceci posé, je ne jouerai pas les normands, ni la carte du « sans opinion ». Je suis, personnellement, hostile à l’euthanasie et plus encore à sa légalisation (je peux en effet être relativement hostile à quelque chose tout en étant favorable à sa légalisation)
Je suis hostile à l’euthanasie, non pas à cause du caractère sacré de la vie, et certainement pas à cause du caractère rédempteur de la souffrance (je réfute catégoriquement cette idée). Mais les plaidoyers pour la « bonne mort » sont généralement structuré en trois axes, or je suis en désaccord complet avec deux des trois.
Je suis d’accord avec le premier axe : la souffrance doit être combattue sous toutes ses formes. Mais ici, il existe une voie autre que l’acharnement thérapeutique et l’euthanasie : les soins palliatifs. Une voie encore à peine explorée, une voie sans doute dispendieuse mais la vie et la dignité ont elles un prix ?
Le deuxième axe en revanche me pose problème : l’idée que la souffrance supprime (ou tout au moins diminue) la dignité humaine. Bien sûr l’idée n’est jamais exprimée aussi directement mais elle est bien présente dans « le droit à mourir dignement ». Or c’est une idée malsaine, voire dangereuse. La souffrance physique, la souffrance morale l’angoisse face à la mort ne diminuent en rien la dignité de l’individu, elles ne lui retirent rien de son caractère humain. Voilà ce qu’il est urgent d’affirmer. Et cette affirmation ne peut se limiter à un discours : il faut que tout soit mis en œuvre en termes d’accompagnement et d’éducation pour que dans notre regard et le sien, celui qui souffre reste entièrement un être humain digne de respect, digne de considération et digne d’être aimé.
Le troisième axe souvent utilisé me paraît ne pas tenir la route : le droit de chaque être humain à choisir sa mort est une illusion complète. Il est d’ailleurs assez paradoxal que dans le débat sur l ‘euthanasie, on oppose euthanasie et acharnement thérapeutique, alors qu’en fin de compte ils ressortent tous deux de la même conviction, de la même illusion que l’homme peut se rendre maître de sa mort… C’est justement cette illusion qui provoque ma très forte hostilité à une légalisation de l’euthanasie. En effet, légaliser l’euthanasie équivaudrait à dire que la souffrance rend le suicide acceptable… Message désastreux quand on sait à quel point le suicide fait des ravages. Bien sûr, une loi permettant l’euthanasie fixera un cadre strict mais le message n’en sera pas moins lancé (il l’est déjà beaucoup trop à mon goût). Et puis ce cadre, qui va le fixer ? Qui va décider à partir de quel degré de souffrance la mort devient une option acceptable ? Quel juge, quel médecin, quel dieu pourra dire « Effectivement votre cas est désespéré et insupportable, vous êtes autorisé à mourir » ou bien « non, vous n’avez pas encore atteint le seuil limite, patientez encore un peu… » ?
A mon avis une légalisation de l’euthanasie donnerait un message désastreux sur la valeur de la vie et poserait des questions insolubles : à partir de quand ? qui décide ? que faire face à l’inconscience et à la démence ?
C’est pour cela que je suis assez d’accord avec le verdict rendu par la Justice lors de l’affaire du Dr Laurence Tramois et de Chantal Chanel : c’est un verdict qui punit l’acte lui-même sans pour autant détruire la vie ni la carrière de celle qui l’a accompli, un verdict qui condamne l’euthanasie sans oublier qu’elle peut partir d’un sentiment de compassion.
Post scriptum : Petit ajout après une discussion avec des collègues. Quelles que soient mes positions sur l’euthanasie, il ne me viendrait pas à l’idée de refuser un service religieux lors de l’inhumation d’une personne dont la mort aurait été médicalement assistée (en fait je n’avais même pas envisagé qu’on puisse interpréter ainsi ma position, mais c’est vrai que le cas s’est posé récemment en Italie)
Deux rappels : tout d’abord, pour les protestants, le service d’inhumation n’est pas un viatique, son but n’est pas d’ouvrir au défunt les portes du paradis mais d’accompagner les vivants dans leur deuil, de leur proposer une parole de consolation et d’espérance. Le suicide ne nous empêche certainement pas de célébrer un service (et sauf volonté de la famille nous ne cachons pas la cause de la mort), il n’y a pas davantage de raison que l’euthanasie le fasse.
De plus, l’Évangile m’appelle, non pas à juger, mais à accompagner les personnes quelles que soit mon opinion sur leurs choix. Je pense qu’en refusant un service religieux à Piergiorgio Welby, l’Église catholique romaine a perdu de vue l’Évangile en se focalisant sur un combat politique. C’est très dommage…
Pasteur de l'Eglise Réformée de France, amateur de jeux de société, de cinéma, de longues discussions
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