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Déblocage

Prédication du dimanche 22 avril 2007
Apocalypse V, 11 à 14
Jean XXI, 1 à 25

Comme bien souvent les récits de rencontre avec Jésus dans l’évangile selon Jean, cette troisième apparition du ressuscité est riche d’enseignements. Ce matin j’en retiendrai trois. Un drôle d’endroit pour une rencontre, une relation rétablie et j’aurai une petite réflexion très protestante sur le ministère pétrinien.

Drôle d’endroit pour une rencontre. En effet, ce n’est pas au tombeau vide qu’apparaît le ressuscité. Ce n’est pas non plus au milieu du cortège des apôtres rassemblés dans la prière ou le questionnement mais à 7 de ses disciples qui ont manifestement décidé de reprendre leur vie courante. Bref, ce n’est pas vraiment dans un cadre religieux ou spirituel, dans un temps mis à part que le ressuscité les rejoint mais bien dans la vie quotidienne. Le décors est planté, des barques de pêches en expédition nocturne, à l’aube, un petit déjeuner composé de poisson cuit, des filets… Nous sommes bien dans la banalité d’une journée de travail. Et non seulement, c’est dans ce cadre qu’il intervient mais c’est aussi dans ce cadre qu’il agit : « déplacez vos filets ». Je ne suis pas certain qu’il faille y voir trop de symbolisme. Pour moi, il s’agit surtout de refuser de mettre d’un côté notre rencontre avec le ressuscité et de l’autre notre vie professionnelle, quotidienne. Il n’y a pas deux temps à part (le dimanche et le reste de la semaine, le temps de la prière et du recueillement et le temps du travail) mais une rencontre qui peut se produire à chaque instant de notre vie et qui change tout.
Peut-être certains se disent-ils, facile à dire pour lui, son travail, c’est d’être pasteur, donc forcément, la rencontre avec le Christ, il la vit au quotidien, dans son travail. Je vais vous faire un aveu, il est très facile pour un pasteur d’oublier que Dieu agit aussi à travers l’Église et, quand nous voyons indubitablement son action, sa présence, comme tout un chacun, nous ne pouvons que nous émerveiller…
Peut-être avez vous repéré une scène presque burlesque du texte : Pierre en reconnaissant Jésus se rhabille avant de se jeter à l’eau. Bien sûr, il ne s’agit pas de montrer ici un Pierre qui perd la tête mais plutôt une marque de respect, on ne se précipite pas vers le Seigneur a moitié nu. Mais, dans le cadre de son travail, cette marque de respect, ce geste religieux devient complètement décalé : un homme s’habille avant de se jeter à l’eau. N’importe quoi !
Pourtant, c’est peut être ce décalage qui donne tout son sens au geste religieux. Plutôt que d’être une habitude, une convention, il manifeste une rupture au milieu de ma vie.

En quoi consiste cette rupture, cette rencontre ? Difficile à dire, parce que la réponse sera différente pour chacun de nous. En effet, nous sommes des individus et nous ne vivons donc pas nos relations sur le même moule. Néanmoins, la rencontre de Pierre avec le ressuscité me semble porteuse de bien des échos.
Jeudi dernier, dans mon rôle de parent d’élève, j’enregistrais un conte musical (en tant que lecteur, pas en tant que chanteur, rassurez vous). Je ne sais pas si vous avez déjà fait une expérience similaire, mais c’est merveilleux : au moindre bégaiement, au moindre lapsus, on s’arrête, on repart en arrière et on recommence. Et mieux encore, une fois la lecture terminée, on réécoute tout et on peut recommencer les passages ratés. Si seulement on pouvait en faire autant avec notre vie : revenir en arrière et modifier ce qu’on a raté, pouvoir effacer nos maladresses, nos négligences, nos trahisons, nos reniements.
Je suis certain que Pierre partageait ce même rêve. Si seulement, il pouvait revenir et effacer son reniement, lors de cette nuit terrible. Mais il ne peut pas, pas plus qu’il ne peut réparer. Nous connaissons tous ces situations de blocages, ou nous ne pouvons ni effacer, ni réparer ce que nous avons fait. Bien souvent, nous ne parvenons même pas à demander pardon, en partie par orgueil, en partie aussi parce que nous craignons que notre demande de pardon ne fasse que raviver la colère de l’autre. Alors nous restons dans l’impasse, la blessure reste vivante profonde, la relation reste brisée.
Pierre m’aimes-tu ? Cette supplique vient par trois fois permettre à Pierre de dire son amour. Ce que montre bien l’éclat final « Tu sais toute chose, tu connais mon amitié pour toi». Cela dit bien ce que veut Pierre : ne pas être réduit à sa faute, ne pas être enfermé dans son échec, ne pas simplement être vu comme un renégat, être aussi reconnu dans son amitié pour Jésus, être sorti de l’impasse. « Pierre m’aimes tu » « Tu sais que je suis ton ami », et le reniement est non pas oublié, non pas effacé mais annulé. Il n’a plus d’effet
Ainsi, peut venir de l’autre, de celui ou celle-là même que nous avons trahis, renié ou blessé, une parole. Cette parole peut prendre des formes diverses, elle peut être un mot d’excuse ou même une demande de pardon, tant il est vrai que dans les relations humaines les torts sont toujours partagés, les blessures toujours réciproques. Et, comme la supplique de Jésus « M’aimes-tu ? », cette parole exprime souvent un abaissement de celui que nous avions blessé et grâce à cela, la relation peut ressusciter, le cercle vicieux de la rancœur est rompu.
Cela n’arrive malheureusement pas toujours… Mais à chaque fois que cela arrive, nous pouvons y voir la trace de l’Esprit, la main du Ressuscité. En effet, chacune de ces réconciliations est, à l’image de la réhabilitation de Pierre, une véritable résurrection. Dans chaque parole de pardon, nous pouvons redécouvrir que le Christ vient bien à notre rencontre à travers notre prochain. Surtout quand nous oublions que notre prochain est aussi notre frère, dirai-je…

- Pierre m’aimes tu
- Tu sais que je suis ton ami
- Pierre m’aimes tu
- Tu sais que je suis ton ami
- Pierre es tu mon ami ?
- Tu sais tout, tu connais que je suis ton ami

Il est difficile de ne pas repérer dans ce texte une opposition entre deux formes d’amour, opposition que j’ai essayé de rendre en traduisant philo par être l’ami de. Je ne ferais pas de long développement ce matin sur la différence entre philo et agape. C’est une question de sémantique bien trop complexe pour être résumée en une phrase. En revanche, sans même analyser en profondeur la distinction entre agape et philo, il me semble que Pierre rate quelque chose, qu’il manque le coche : m’aimes-tu ? Je suis ton ami ». Mais pour Jésus ce là, finalement importe peu. En effet, ce qui compte ce n’est pas tant que Pierre comprenne de quel amour il faut aimer Jésus, mais plutôt qu’il puisse se délivrer de son reniement en exprimant son amour. Du coup, ce n’est pas Pierre qui finit par comprendre et par dire « je t’aime », mais Jésus qui rejoint Pierre, là où il se trouve « Es tu mon ami »

Quelques mots enfin sur le ministère de Pierre puisque ce texte est parfois revendiqué pour justifier bibliquement le pontificat. C’est vrai qu’on ne peut pas complètement passé sous silence ce « Pais mes brebis » qui donne manifestement une responsabilité à Pierre.
Premièrement, Pierre ne prend pas la place de Jésus. Il ne devient pas le berger du troupeau. « Sois le berger de mes brebis » est une traduction quelque peu maladroite puisque le grec n’utilise pas ici le nom berger, mais un verbe. Le bon berger reste définitivement Jésus Christ, et puisqu’il est vivant et présent, je ne vois pas très bien pourquoi il devrait être remplacé… (j’ouvre d’ailleurs ici, une parenthèse pour dire que cette reconnaissance de Jésus comme seul bon berger me conduit à une certaine réticence vis à vis du terme de pasteur)
Deuxièmement, si effectivement un ministère particulier est donné à Pierre, il n’est pas du tout question ici d’une succession dans ce ministère. Je crois dangereux de vouloir mettre trop d’institutionnel dans une histoire qui est avant tout individuelle.
Enfin, je trouve très intéressant que aussi important soit le ministère de guide de Pierre, le disciple que Jésus aimait échappe au contrôle, à la curiosité de celui-ci. Bien au contraire, c’est même le disciple bien aimé qui permet à Pierre de reconnaître Jésus, c’est lui qui guide Pierre.Or, le disciple que Jésus aimait est présenté ensuite comme le rédacteur de l’Évangile. Bref, j’y vois un rappel fort, qu’en matière de discours sur Dieu, le texte biblique prévaudra toujours sur une autorité humaine. C’est donc à ce texte que nous sommes tous renvoyé afin de mieux comprendre notre rencontre personnelle avec Jésus le Christ,.

Frères et sœurs, le Ressuscité vient à nous, dans notre vie de chaque jour et il nous délivre de nos impasses, il vient relever nos relations blessées, il vient nous appeler à l’amour qui seul produit du fruit.

Amen

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À propos
Eric George

Pasteur de l'Eglise Réformée de France, amateur de jeux de société, de cinéma, de longues discussions
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P
Bonjour,<br /> <br /> Cela fait 2 fois que vos menus propos du dimanche me durent dans la tête plus loin que la grille du jardin du temple et donc, j'ai voulu les citer.<br /> <br /> Et bien pour le "trackback", je n'ai rien compris. Ni comment on s'en sert, ni à quoi cela sert. Avez-vous des tuyaux ?<br /> <br /> A un de ces 4 dimanches
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