30 Septembre 2007
Prédication du dimanche 30 septembre 2007
Amos VI, 1 à 7
I Timothée VI, 11 à 16
Luc XVI 19 à 31
La parabole de Lazare et du riche est à certains égards, une écharde dans la chair du protestantisme. C'est aussi une curiosité. En effet, elle ne figure pas
dans le hit parade des paraboles les plus connues, elle n’a pas la célébrité de la parabole du semeur, du fils prodigue ou des ouvriers de la 11eme heure. Et pourtant, c’est le récit biblique qui
est le plus conforme à l’image d’Épinal qu’on se fait du christianisme et de sa vision de l’au-delà avec les méchants punis en enfer d’un côté et les bons récompensés au paradis de l’autre… Comme
si c'était sur cette parabole que les chrétiens avaient bâtis toutes leurs conceptions de la vie après la mort...
Mais ce récit nous parle-t-il vraiment d’au-delà ? nous parle-t-il vraiment de rétribution ? Ou faut-il creuser un peu plus loin..
L’histoire de Lazare et du riche trouve sans doute sa source dans un conte égyptien : un père et un fils assistent à deux enterrement, celui d’un riche et celui d’un pauvre. Le père souhaite connaître dans l’au-delà le même sort que le riche alors que le fils lui souhaite partager le sort du pauvre. Quand le père s’en étonne, le fils le conduit dans l’au-delà pour lui montrer le riche maltraité et le pauvre traité comme un prince… Un conte qui était sans doute bien connu à l’époque de Jésus et que Jésus va utiliser comme base à sa parabole, tout comme il utilisait, souvent, des scènes de la vie quotidienne. Alors pourquoi aller faire de cette parabole un enseignement sur l’au-delà et ne pas nous représenter le Royaume de Dieu comme un semeur en train de semer ? Pourquoi d’un seul coup donner un sens théologique à un élément de décors ? Je ne crois pas que le but de cette parabole soit de nous décrire l’au-delà, je ne crois même pas qu’elle nous parle de l’au-delà. Regardez la finale S’ils n’écoutent pas Moïse et les prophètes, ils ne se laisseront pas persuader quand même quelqu’un des morts ressusciterait. En plein évangile de Luc, cette supériorité de la loi sur le ressuscité et très surprenante. Je pense que c’est un indice important pour recevoir cette parabole autrement que comme une spéculation sur ce qu’il y a après la mort… Je crois donc inutile de discuter à l’infini pour savoir si le sein d’Abraham est la même chose que le séjour céleste ou s’il est une salle d’attente plus confortable en vue du jugement dernier…
Si cette parabole ne nous parle pas d’au-delà, est-elle une parabole de la rétribution ? Le riche est-il puni ? Et si oui, de quoi ? Lazare est-il récompensé
? Et si oui, de quoi ?
Premier constat, le texte ne nous parle pas d’une punition pour le riche. Et la les protestants que nous sommes poussent un soupir de soulagement. Ouf ! Ne respirons pas trop vite : le texte ne
nous parle pas d’une punition, c’est vrai mais il est indéniable que la situation du riche est une conséquence de sa vie. Tout d’abord, implicitement, décrire la vie luxueuse du riche, pour un
public juif c’est l’assimiler à un pécheur puisque la loi juive prescrit une humilité et condamne les fastes de la richesses. Et puis, le texte affirme aussi explicitement ce lien : Mon
enfant, souviens-toi que tu as reçu tes biens pendant ta vie, et que Lazare a eu les maux pendant la sienne; maintenant il est ici consolé, et toi, tu souffres et surtout Je te prie
donc, père Abraham, d’envoyer Lazare dans la maison de mon père; car j’ai cinq frères. C’est pour qu’il leur atteste ces choses, afin qu’ils ne viennent pas aussi dans ce lieu de tourments.
Si le riche veut alerter ses frères, c’est bien parce qu’il voit son tourment comme la conséquence de ses actes… Donc peut-être vaut-il mieux parler ici de conséquence que de punition. Mais il y
a bien un lien entre la vie que le riche a menée, entre ses choix et sa souffrance.
Regardons maintenant Lazare… Il y a, certes, un lien entre sa vie et sa présence dans le sein d’Abraham. Mais on ne peut certainement pas parler de récompense. Le texte ne nous dit absolument pas
que Lazare est juste, il ne nous dit pas que Lazare a choisi la pauvreté ni qu’il a choisi de souffrir. La pauvreté n’est pas une vertu : Lazare n’est pas juste parce qu’il est pauvre. Et je ne
pense pas qu’il faille pousser le cynisme jusqu’à se demander s’il n’est pas pauvre parce qu’il est juste, ce serait pure extrapolation. Lazare est consolé de ses souffrances, mais il n’est pas
récompensé.
Si bien que si ce texte nous dit bien quels sont les risques encourus pour tel ou tel comportement, il ne nous dit pas comment gagner notre récompense…
Mais alors si la parabole ne nous raconte pas ce qui va se passer à notre mort, si elle ne nous dit pas comment gagner notre récompense, que nous dit-il ? en
quoi s’adresse-t-il à nous ?
Tout d’abord, il reprend un thème important dans l’évangile selon Luc : il nous interroge sur notre rapport à nos richesses, il nous rappelle que cette richesse, ce confort tellement importants
pour nous qu’ils nous rendent aveugles à tout le reste, sont éphémères et terriblement fragiles. C’est ce qui arrive au riche de la parabole : quand tout ce sur quoi il faisait reposer sa vie
disparaît (ici, c’est bien sûr lui qui disparaît mais le résultat est le même), il ne lui reste plus rien… Et nous même ? sur quoi faisons nous reposer notre vie, notre bonheur ?
Mais la parabole nous parle aussi de Lazare, et si elle s’étend moins sur lui que sur le riche, il faut quand même se rappeler que Lazare est e seul personnage d’une parabole à être nommé :
Lazare : « Dieu vient en aide ». Oui, la parabole nous affirme aussi que Dieu est celui qui aide, celui qui console. Non, Lazare n’est pas juste, non il n’est pas vertueux, non il n’est pas un
saint. Mais il souffre et parce qu’il souffre, Dieu se porte à son secours. Cela n’a rien à voir avec du dolorisme : Lazare ne choisit pas de souffrir pour être consolé. Bien au contraire, le
texte nous le montre souhaitant au moins se nourrir de ce qui tombe de la table du riche, mais il est évident que s’il avait pu avoir plus, il ne l’aurait pas refusé… Il n’est donc pas ici
question d’appeler les gens à souffrir pour s’attirer la consolation, ce qui serait terriblement pervers. Il s’agit d’affirmer à ceux qui souffrent que Dieu les rejoint. Il s’agit aussi de
réfuter ce qui fut et est encore une tentation très forte, et ce, particulièrement dans le protestantisme : la tentation de voir dans la pauvreté, dans la misère, dans la souffrance, un châtiment
de Dieu et dans la richesse, dans le confort une bénédiction. Ce texte nous interdit de penser que Dieu s’est détourné de Lazare, il nous interdit de penser que nos richesses signifient forcément
que nous sommes bénis de Dieu.
Dieu est celui qui console le malheureux. Et je ne parle pas ici d’une consolation future, bien pratique pour tenir le pauvre à sa place. Je vous l’ai dit, je ne crois pas que ce texte nous parle
de l’au-delà. S’ils n’écoutent pas Moïse et les prophètes, ils ne se laisseront pas persuader quand même quelqu’un des morts ressusciterait. Il n’est donc pas question d’attendre que
quelqu’un nous décrive ce qui se passe après la mort mais d’entendre et de suivre la voie qui nous est offerte dès maintenant par Moïse et les prophètes, c’est à dire par l’écriture. La parabole
que nous avons entendu n’est pas une spéculation sur l’au-delà, elle est un appel pour aujourd’hui, un appel pour les riches que nous sommes…
Un appel d’abord à se mettre à la place de celui qui souffre. En effet, le renversement de situation de la parabole me permet de me dire : « Que ferais-je si la situation était renversée ? ». Eh
bien, probablement je supplierai Lazare. Dans l’au-delà de la parabole, un fossé infranchissable sépare l’enfer du sein d’Abraham et rend l’entraide impossible. Mais ici, quel fossé
infranchissable nous sépare du pauvre à notre porte ? Qu’est ce qui m’empêche de faire un geste pour mon frère qui souffre ? Or, l’inversion des rôles me montre bien que le misérable est mon
frère, parfaitement semblable à moi, avec les mêmes aspirations, les mêmes douleurs. La parabole ne me parle pas de la vie après la mort, elle me raconte ce qu’est la vie de mon frère et elle
m’invite à me porter au secours de mon frère.
Et je ne crois pas que brandir les flammes de l’enfer soit véritablement utile pour nous pousser à faire quelque chose. En effet, nous avons Moïse et les prophètes, nous avons l’Évangile pour
nous dire que le misérable à notre porte est notre frère, notre sœur, notre chair et que nous pouvons nous porter à son secours. Et très franchement, si cela ne nous suffit pas à nous porter à
son secours, alors même la menace des flammes de l’enfer ne pourra pas nous convaincre…
Frères et sœurs, ce texte ne nous parle pas de demain, il nous parle d’aujourd’hui. A celui qui souffre, il affirme : « Tu n’es pas maudit, tu n’es pas rejeté de Dieu, Il t’aime et te soutient ». A celui qui ne souffre pas, il ouvre les yeux : « Vois ton frère meurtri et vient lui en aide parce que tu en as le pouvoir ».
Amen
Pasteur de l'Eglise Réformée de France, amateur de jeux de société, de cinéma, de longues discussions
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