15 Avril 2007
Prédication du 15 avril 2007
Genèse XXXVIII
Deutéronome XXV ; 5 à 10
Ce texte oppose à deux hommes, un patriarche et son fils, une femme rusée, on pourrait même dire perverse. Et pourtant, la justice n’est pas là où on l’attend. Ce matin, si nous évoquerons, un peu, la sexualité, nous parlerons surtout d’égoïsme et de superstition.
Avant de voir ce dont il est question dans ce texte, je voudrais m’arrêter tout de suite sur un hors-sujet possible. En dépit des apparences, ce texte ne parle pas de sexualité.
Ca commence fort, non seulement le pasteur nous lit en chaire une histoire de coucherie et de prostitution, mais c’est pour nous affirmer ensuite que ce texte ne parle pas de sexualité…
Eh non ! Les pratiques évoquées ici ne sont pas commentées. Ce n’est pas pour avoir répandu sa semence sur le sol qu’Onan est condamné et si Juda commet une injustice, ce n’est pas en couchant avec une prostituée.
Je le répète, la sexualité n’est pas le thème central de ce récit, elle n’est en fait qu’un élément du décors. En effet, puisque la sexualité n’est pas tabou dans la bible, elle peut donc être prise pour ce qu’elle est : un aspect de la vie.
En fait ce texte s’articule essentiellement autour d’un autre aspect de la vie courante des hébreux, mais un aspect bien moins croustillant, si bien qu’on l’oublie un peu : le devoir de rachat dans la tradition du lévirat.
Le devoir de rachat c’est à dire le devoir qu’avait un homme de prendre sa belle-sœur pour femme si son frère venait à mourir sans laisser de descendance (Dt. XXV ; 10)… Ce devoir permettait premièrement d’assurer une postérité à un homme mort sans enfant (je vous rappelle que pendant longtemps, pour les hébreux, sa postérité était tout ce qu’un homme laissait derrière lui lors de sa mort), il permettait également de ne pas laisser une veuve sans enfant complètement démunie… Et ici, c’est bien ce dont il est question. Le premier époux de Tamar meurt sans enfant, elle est donc donnée à son frère qui refuse de remplir ce droit de rachat et va donc en mourir à son tour. Elle devrait donc être donnée au troisième fils de Juda mais celui-ci prend peur et va lui aussi ruser afin de ne pas obéir à ce devoir…
Il n’est donc pas ici question de sexualité mais du refus de deux hommes de remplir leur devoir et de la ruse d’une femme pour faire reconnaître son droit.
« Onân laissait sa semence se perdre à terre lorsqu’il allait vers la femme de son frère ». Pourquoi Onân agissait-il ainsi ? Parce que, nous dit le texte, il savait que cette postérité ne serait pas à lui. Ma semence est à moi, se dit Onân, et je préfère la perdre plutôt que de la donner à un autre.
Cette attitude d’Onân nous rappelle qu’obéir à Dieu nous coûte. Ici, c’est le devoir de rachat mais on pourrait parler de l’amour du prochain, un amour qui n’est pas seulement en parole mais aussi en acte. Régulièrement à travers la Bible, Dieu nous demande de nous séparer de ce qui nous appartient et ici, c’est précisément le problème d’Onân, il refuse de donner ce qui est à lui, juste par obéissance à Dieu.
Il faut reconnaître, à la décharge d’Onân, que ce qui lui est demandé n’est pas rien. Il doit accepter d’engendrer un enfant qui ne sera pas sa postérité. En fait, la faute d’Onân, n’est pas seulement de refuser de donner, c’est aussi de croire que sa postérité lui appartient. Or, c’est une constante dans l’Ancien Testament, Le prophète de Khalil Gibran n’a rien inventé : « vos enfants ne sont pas vos enfants ». Bien sûr sa postérité est la seule chose qui reste d’un homme après sa disparition mais cette postérité lui est donnée par Dieu, elle est et doit être comprise non comme une possession mais comme un don et une bénédiction. C’est très important pour nous aujourd’hui, à l’heure du clonage et de la manipulation génétique, car cela nous rappelle que nos enfants ne sont pas une continuation de nous même, mais qu’ils sont des individus à part entière, que leur chemin est le leur et pas forcément celui que nous avons tracé pour eux. Or, ce qui détruit Onân, c’est justement son refus d’engendrer une postérité qui lui échappera… Je me demande du reste si cela ne devrait pas nous conduire à réfléchir aussi à cet argument souvent entendu : « Moi je ne veux pas faire d’enfant dans ce monde là ». Après tout, est-ce que cet argument n’est pas encore une façon de prendre le pouvoir sur le destin de ses enfants ? Attention, je ne prétend pas ici plaider contre le contrôle des naissances ou accuser celles et ceux qui ne souhaitent pas avoir d’enfants. Faire des enfants parce que c’est d’eux que dépend l’avenir est aussi une manière de vouloir prendre le pouvoir sur leur destin… Il s’agit simplement de rappeler qu’effectivement avoir des enfants, s’est laisser quelque chose nous échapper.
Nous sommes entre adulte je peux donc me permettre également ce commentaire : en travaillant sur ce texte, j’ai pris mon dictionnaire pour vérifier la signification du terme onanisme et j’ai pesté contre la langue française puisque la pratique d’Onân pour ne pas avoir d’enfant avec Tamar n’a rien à voir avec la masturbation. Mais en voyant Onân à ce point enfermé en lui-même, je pense que finalement il n’est pas complètement en contradiction avec le texte d’appeler onanisme un plaisir centré uniquement sur soi (le fait que ce soit un plaisir et que ça se passe en dessous de la ceinture n’aggrave en rien les choses. C’est à mon avis usurper le texte que d’y voir un interdit de la masturbation ou de la contraception. Nous sommes ici dans un contexte bien trop particulier, le devoir de rachat, pour faire de grandes généralisations.
Quoiqu’il en soit, ce qui détruit Onân, c’est son égoïsme, son refus de se tourner vers un monde qui n’est pas centré sur lui-même. En refusant de donner une postérité à son frère, c’est son propre avenir que détruit Onân.
Un autre homme s’oppose au droit de Tamar, c’est Juda, son beau père. Juda, contrairement à Onân, n’est pas poussé par l’égoïsme. Au contraire, c’est dans l’intérêt de son dernier fils qu’il agit.
Juda tient en effet le raisonnement suivant : mon premier fils s’est marié avec Tamar, il est mort, mon deuxième fils est allé vers Tamar et il est mort aussi… Au bout du compte, est-ce que ce n’est pas Tamar qui porte malheur ? Ce mode de raisonnement porte un nom : c’est la superstition.
En effet, à la base de la superstition, on trouve l’affirmation que tout ce qui se produit a forcément une cause (et de préférence une cause simple). Or, cette idée est universellement répandue, dans toutes les cultures de tous les temps, on trouve la superstition. Il faut dire que c’est très rassurant : si tout effet a forcément une cause, il suffit de trouver quelle cause produit tel effet et on peut contrôler sa vie : éviter les catastrophe et accumuler les bonheurs.
La désobéissance de Juda est donc due à la superstition : il cherche une cause à la mort de ses deux premiers fils pour éviter la mort du troisième. Par son observation, il cherche à contrôler sa vie, celle de ses proches, quitte à désobéir à son Dieu.
Ce qui est amusant, c’est que l’auteur du texte qui dénonce cette attitude de Juda, n’évite pas non plus cette superstition : si Er, fils de Juda, meurt, c’est forcément qu’il a fait ce qui est mal aux yeux de Dieu. Oui, je vois dans cette remarque nullement indispensable du texte, une superstition de l’auteur. Certains me reprocheront ici ce prétendu cartésianisme qui me pousse à réfuter des passages bibliques. Mais ce n’est pas une pensée cartésienne qui me pousse à réagir ainsi (Descartes pensait qu’il n’y a pas d’effets sans cause) mais bien mon christianisme. Personnellement je ne crois pas en un Dieu qui fait mourir, je crois en Dieu qui est la vie et qui a vaincu la mort. C’est au nom de cette foi que je veux rejeter toute superstition. Car toute superstition n’est que désir de contrôle. Pour ma part, je veux accepter l’idée que le mal et de la mort soient absurdes, qu’ils n’aient pas de cause, pas de signification, pas d’explication et je veux face à cette absurdité m’en remettre au seul Jésus Christ.
Ce n’est pas par sectarisme que la foi chrétienne s’oppose à la superstition mais parce que la superstition ne laisse aucune place à la seule grâce de Dieu. Dans ce texte, Juda s’en remet à son observation et son analyse plutôt qu’à Dieu. Il devra reconnaître par la suite que celle qui s’est prostituée est plus juste que lui.
A l’égocentrisme d’Onan, à la superstition et au désir de contrôle de Juda s’oppose la ruse de Tamar. Une ruse un peu « limite » dirions nous aujourd’hui, Tamar se fait tout de même passer pour une prostituée pour coucher avec son beau père, ce qui est, rappelons-le un inceste caractérisé. Et pourtant, elle est reconnue comme plus juste que le patriarche Juda.
Aujourd’hui, nous avons l’habitude de voir des femmes s’opposer aux capacités de destruction des hommes, que ce soit l’action des femmes dans les pays musulmans, les femmes corses contre la violence, les siciliennes qui lutte contre la mafia.
Nous savons à présent, ou nous sommes obligés de le constater, nous avons besoin d’une approche féminine face à nos problèmes. (A une semaine des élections, je m’aperçois que cette phrase peut résonner de manière quelque peu électoraliste mais j’espère que nous éviterons le procès d’intention, ma démarche n’est pas politicienne, elle est simplement résolument féministe ). Les femmes tout autant que les hommes sont appelées à participer à notre histoire, si nous voulons que celle ci avance. Je ne sais pas si vous vous rendez compte à quel point, ce récit de la ruse de Tamar et la conclusion de Juda : « Elle est plus juste que moi » (plus juste c’est à dire plus conforme au plan de Dieu) sont révolutionnaires dans le monde hébraïque bien avant Jésus Christ. Et pourtant, à l’injustice d’Onân et de Juda, Tamar s’oppose courageusement avec les seules armes qui lui restent : sa ruse et son bon droit.
Une question demeure cependant : et Dieu dans tout ça ?
Si on excepte l’épouvantail qui fait mourir Er et Onân, il semble bien absent de ce récit…
Détrompez-vous, Dieu est présent et à l’œuvre dans ce texte. Rappelez vous du récit de l’accouchement de Tamar. Alors que l’aîné, Zerach avait déjà sorti sa main, c’est Perets, le second qui sortira en premier.
Or, on retrouve Tamar et Pérets bien plus loin dans la bible :
Juda engendra de Tamar Pérets et Zerach : Perets engendra Esrom, etc.
Cet extrait est tiré de la généalogie de Jésus le Christ dans l’évangile selon Matthieu
Le second sort avant le premier
La femme qui ruse est plus juste que le patriarche
C’est par un condamné à mort, un maudit, que Dieu sauve le monde en libérant l’homme de son égoïsme et de son désir de puissance
Frères et sœurs, c’est dans cette brèche (c’est ce que signifie pérets) à l’ordre établi qu’il nous faut guetter le surgissement de Dieu. Acceptons de nous laisser malmener dans nos habitudes, renonçons à nos égoïsme, à nos désirs de contrôle… Sachons reconnaître celui qui s’est montré plus juste que nous et laissons nous saisir par le Christ, brèche que Dieu creuse dans nos certitudes.
Amen
Pasteur de l'Eglise Réformée de France, amateur de jeux de société, de cinéma, de longues discussions
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