Christianisme, écologie et pokemon

Publié le 31 Mars 2007

Le sacré dont la nature était investie garantissait ce milieu contre les emprises escessives de l'homme. Il provoquait le respect. Maintenant, du fait de la désacralisation provoquée par le christianisme, le monde naturel est simplement composé de choses, ce qui n'entraîne aucun respect. Il n'y a dès lors plus aucune limite. L'homme est implicitement autorisé à faire n'importe quoi sur ce monde sans âme, il n'y a d'autre obstacle que celui de son imagination et ceux de ses moyens. Quand ceux-ci augmentent, les utilisation illimitées du capital nature augmentent aussi et les dilapidations.
J. ELLUL. La subversion du christianisme

L’écologie est devenue une préoccupation majeure de notre temps et c’est bien. Les Eglises en ont fait un cheval de bataille et c’est tout à leur honneur. Mais l’écologie est-elle une valeur chrétienne ? Je ne le crois pas.
En fait, je me rallie assez volontiers à l’idée qu’à l’inverse, la révélation biblique a, accidentellement, favorisé l’émergence d’un nihilisme face à la nature. En effet, le récit de création nous fait sortir de l’idée d’un univers vivant, animé (au sens de doté d’une âme). L’homme dans la nature n’est plus confronté à une multitude d’esprits et de dieux (des arbres, des rivières, du ciel, des astres, des animaux, etc.) qu’il convient de craindre et de traiter avec respect. Au contraire, il est placé dans un monde qu’il est appelé à soumettre et dominer (Genèse I, 28). Ce qu’il va faire de manière radicale, sans se fixer aucune limite…
Bien sûr, il s’agit ici d’une dérive. Dans la révélation, si l’homme est libre, placé comme gardien du jardin, il est aussi responsable devant Dieu. Mais quand la chrétienté se déchristianise, quand elle rompt sa relation à Dieu, l’homme reste seul dans un monde qu’il peut piller à l’envie.
Bref, il me paraît difficile de défendre l’idée d’un christianisme écologique (d’ailleurs il y aurait beaucoup à redire sur la relation de Jésus avec la nature).
Est ce que cela signifie qu’il nous faut rejeter l’écologie comme non chrétienne ? Bien sûr que non. Tout d’abord, une notion n’a pas besoin de trouver sa source dans l’Évangile pour être « bonne ». Et surtout, le message chrétien place l’homme comme responsable (c’est à dire celui qui répond) devant Dieu et devant ses frères et sœurs. Or, au nom de cette responsabilité, le chrétien peut s’engager dans le combat écologique. Devant Dieu, devant nos frères et sœurs, nous avons à répondre de ce que nous faisons de ce monde dans lequel nous vivons.
En revanche, en tant que chrétien nous devons nous garder d’une conception idolâtre de l’écologie. On voit en effet réapparaître, sous mains aspects, l’idée d’une nature vivante, sacrée qu’il nous faudrait respecter sous peine d’encourir sa colère. C’est le succès du New Age, du chamanisme, la résurgence du paganisme sous la forme du Wikka . C’est aussi la cosmologie asiatique de plus en plus présente dans notre culture. Les pokemon en sont un bon exemple, ces monstres de poches sont en effet étroitement liés à différents aspect de la natures (empruntés au shintoïsme). Bref, Pikachu et consorts sont une version à peine modernisée des esprits des eaux et des forêts. Je pourrais évoqué le succès (mérité) de dessins animés bien plus poétique et subtil tels que Princesse Mononoke ou Le voyage de Chihiro. Une part non négligeable du discours écologique me paraît donc s’accompagner d’un retour à la personnification et à la vénération de la Nature.
Qu’on me comprenne bien, je ne lance pas d’accusation ni d’anathème, je n’appelle pas au boycott ni à la censure, je laisse mes enfants jouer aux pokemon, je n’affirme pas que l’antéchrist est écologiste (encore que je ne me sente, cette fois, pas si en désaccord que ça avec le Cardinal Biffi). Je me contente de rappeler que toutes les formes du discours écologistes ne sont pas compatibles avec le christianisme. Il ne s'agit pas non plus d'exclure le dialogue avec des visions du monde différente de la mienne. Bien au contraire, je crois que le refus de la confusion est une bonne base pour le dialogue.
Quoiqu'il en soit, je ne peux m’empêcher de trouver assez symptomatique de voir la responsabilisation céder progressivement la place à la sacralisation et la vénération…

Rédigé par Eric George

Publié dans #Petite théologie pas très sérieuse

Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
T
Ah ! bien d'accord, bien d'accord - pour rappeler ce qu'il peut y avoir de bon, d'un point de vue chrétien, dans la sauvegarde de la nature, et de dangereux, dans la sacralisation de cette dernière.   à ce sujet, il n'est qu'à voir les délires "antispécistes" d'écolo-fondamentalistes et les actions criminelles d'éco-terroristes aux idées étranges - le leit-motiv étant que chaque espèce est sacrée et que toutes ont leur place sur la planète et leurs droits, sauf, bizarrement, l'être humain, qui doit disparaître.   Il est d'ailleurs assez amusant (ou inquiétant ?) de voir que des civilisations qui se veulent dégagées de toute référence religieuse, de toute transcendance et de toute métaphysique, en esseyant de laisser Dieu derrière elles ne font que revenir à un antique paganisme adorateur de la nature et des esprits de la nature.   Cependant, je voudrais noter que la soumission abusive et dominatrice de la nature trouve plus sa source, je pense, dans les philosophies du XVIIe et alentour que directement dans la Bible.  Les peuples de la Bible, ce me semble, louent Dieu pour ce qu'il leur a offert, et en usent tranquillement - s'agissant de peuples nomades et de leurs troupeaux.   De même, au Moyen-Âge, les moines abattent des forêts, créent des champs, des cultures, mais tout cela en harmonie avec la création, et cela reste une domestication de la nature plutôt qu'une soumission dominatrice et abusive.    Ce n'est que plus tard qu'apparaît, d'une part la pensée cartésienne de "l'animal-machine", la réduction de la nature à des systèmes mathématiques et mécaniques, et peu à peu les moyens techniques de son asservissement et de sa destruction par sur-exploitation.
Répondre
M
Ce commentaire trouve sa place ici mais j'aurais pu aussi le mettre à la suite de votre article sur le synode et sur l'euthanasie en Suisse …La Suisse défend la "dignité" des plantes et des animaux Chargé par les autorités suisses de se pencher sur le concept de « dignité de la créature », la Commission fédérale d’éthique pour le génie génétique dans le domaine non humain (CENH) a affirmé que les plantes avaient une dignité et une valeur morale.<br /> Rappelons que, depuis 1992, la Constitution fédérale prévoit, dans son article 120, la possibilité pour la Confédération de légiférer sur l’utilisation du patrimoine germinal et génétique des animaux, des végétaux et d’autres organismes. <br /> En 2003 déjà, la Confédération avait voté une loi améliorant le statut juridique des animaux en les considérants comme des êtres vivants doués de sensibilité. Désormais, les plantes aussi doivent faire l’objet d’un respect moral en tant qu’ « organismes individuels doués d’intérêts propres ». « Nul n’est autorisé du point de vue moral, et sans justification valable, à traiter de façon arbitraire ou à endommager une plante, de manière à en empêcher la croissance ou à compromettre ses chances de reproduction. » <br /> Par ailleurs, une nouvelle ordonnance sur la protection des animaux entrera en vigueur le 1er septembre prochain. Parmi les mesures prises par ce texte, citons la formation des futurs propriétaires de chiens et d’animaux sauvages, la mise en place d’un service spécialisé en protection des animaux dans chaque canton, l’interdiction d’utiliser des aquariums transparents sur les quatre côtés…<br /> © genethique.org Swissinfo.ch (Armando Mombelli) 27/04/08 – Tribune de Genève (Valentine Zubler) 24/04/08 – BioEdge 01/05/0
Répondre
F
Voilà un texte clair qui colle avec ce que les papes ont dit sur la question. Bonne synthèse de la manière pour le chrétien de concevoir l'écologie.
Répondre
E
Je viens de modifier assez drastiquement mon allusion au cardinal Biffi, il apparaît en effet que la teneur exacte de son image a été passablement transformée par les médias par lesquels j'en avait eu vent. Sans partager le conservatisme du cardinal, sur ce point précis (ne confondons pas le christianisme avec un de belles valeurs humanistes) je suis finalement assez d'accord avec lui
Répondre