9 Septembre 2010
A travers des pasteurs de fiction, une petite ballade à la rencontre d'images du protestantisme.
Wittembach, le personnage principal de Lokis, une nouvelle de Mérimée, est un pasteur luthérien envoyé en Lituanie afin
d'étudier le jmoude en vue d'une traduction de la Bible.
Bon, le personnage est un vrai rabat-joie, j'aimerais écrire que ce n'est là qu'une image d'Epinal mais il y a sans doute
une certaine part de vérité derrière cette austérité et cette intransigeance protestante. J'aurais sans doute l'occasion de revenir sur la question quand je l'aurai un peu décantée, mais ce qui
m'intéresse chez le professeur Wittembach, c'est son rôle de traducteur (un rôle qui occupe, dans la nouvelle de Mérimée,plus de place que le déroulement de l'action). En effet, on retrouve là un
des fondamentaux (mais pas une exclusivité) du protestantisme, la Bible doit être accessible à tous et donc, elle doit être traduite.
Cela va même un peu plus loin : la Bible ne doit pas seulement être accessible à tous, ce qui n'impliquerait qu'une
traduction dans les langues principales, elle doit être accessible à chacun, dans sa langue maternelle. Le professeur Wittembach s'applique à une traduction dans une langue qui n'existe même pas
à l'écrit, avec toute les difficultés que cela comporte (retranscription, etc.). Et en vue de cette accessibilité la plus parfaite possible, la traduction n'est pas simplement un travail
linguistique, le traducteur doit s'imprégner de la culture de la langue, Wittembach ne restera pas dans son cabinet de travail, il devra voyager jusqu'en Lituanie, parler avec les autochtones,
entendre leurs légendes. Le traducteur ne fait pas que transmettre, il reçoit aussi.
- Ne pensez vous pas, Monsieur le comte, qu'une traduction des Ecritures dans la langue de ce pays ne soit très
désirable ?
- Assurément ; pourtant, si vous voulez bien me permettre une petite observation, je vous dirai que, parmi les gens qui
ne savent d'autres langues que jmoude, il n'y en a pas un seul qui sache lire
- Peut-être, mais je demande à votre Excellence la permission de lui faire remarquer que la plus grande des difficultés
pour apprendre à lire, c'est le manque de livres. Quand les paysans samogitiens auront un texte imprimé, ils voudront le lire, et ils apprendront à lire. C'est ce qui est arrivé déjà à bien des
sauvages..., non que je veuille appliquer cette qualification aux habitants de ce pays... D'ailleurs, ajoutai-je, n'est ce pas une chose déplorable qu'une langue disparaisse sans laisser de tracs
? Depuis une trentaine d'année, le prussien n'est plus qu'une langue morte. La dernière personne qui savait le cornique est morte l'autre jour...
Enfin, dans ce passage savoureux, se lit la relation étroite entre le protestantisme et l'écriture mais aussi la conviction
que toute culture mérite d'être préservée. Ainsi, si la Bible doit être transmise, elle ne doit certainement pas l'être comme un vecteur d'uniformatisation. Il n'est pas demandé au lecteur de
s'effacer devant le texte, bien au contraire, il est invité à rencontrer le texte.
Je ne sais pas quelles relations Mérimée entretenaient avec le protestantisme, mais je trouve que son personnage de
pasteur/traducteur sonne particulièrement juste et relève bien l'intérêt de cette histoire assez convenue d'ours-garou.
Prosper Mérimée. Lokis
Pasteur de l'Eglise Réformée de France, amateur de jeux de société, de cinéma, de longues discussions
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