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Les Douze

Les Douze

Prédication du 18 octobre

Ordination de Marion

I Corinthiens 12, 27 à 31

Avant de lire le deuxième texte, je voudrais vous proposer un petit défi, pouvez-vous retrouver le nom des Douze ?

Luc 6, 12 à 16

J'ai eu la chance de travailler avec Marion sur l'appel et puisque tu as refusé de me proposer un texte mais que tu m'as donné l'autorisation de prendre une de ces listes de noms dont je suis friand, évoquer les Douze etait un peu l'occasion de poursuivre cette réflexion avec la question «Mais qui est appelé ?»

Tout d'abord, je voudrais que nous distinguions deux termes : les Douze et les apôtres. En fait, ces deux termes ne sont associés que trois fois dans la Bible, sinon le Nouveau Testament nous parle des Douzes et des apôtres comme de deux groupes distincts. Luc et Paul reconnaissent d’ailleurs des apôtres qui ne font pas partie des Douze. Pour faire simple, disons qu'apôtre désigne un service, une fonction, en Eglise, on dit un ministère alors que les Douze sont un groupe symbolique, si j’étais iconoclaste, je dirai un échantillon représentatif… En évoquant les Douze, ce n'est pas aux ministères que je pense, c'est à l'Église. D’une part parce que les évangélistes nous font régulièrement entrer dans ce cercle privé des Douze, ils nous en montrent l’arrière cuisine et les discours que Jésus leur adresse nous sont adressés…

D’autre part parce que leur nombre indique une volonté d'universalité, les contemporains de Jésus ne pouvaient pas rater le lien entre ces Douze et les douze tribus d'Israël. De notre côté, nous pouvons noter que les évangelistes n'essaient pas de placer un représentant de chaque tribu parmi les Douze (C'est dommage d'ailleurs, ca aurait fait 12 généalogies de plus...), au contraire, ils nous proposent un autre type d’universalité…

Enfin, quand je dis universalité… Commençons par ce qui fâche, parce que dans cette belle universalité, il y a quand même un gros manque : 12 bonshommes, que des gars… (On croirait la pastorale consistoriale avant que tu arrives, Marion)

C’est un des effets de l’incarnation, Jésus est venu à une époque précise, dans une culture donnée et s’il a bousculé des conventions, il en a aussi respecté d’autres… De toute façon, très rapidement, d’autres seront appelés disciples, d'autres seront appelés apôtre et parmi eux, des femmes… Bref, si en ces temps archaïques, le masculin l'emportait sur le féminin, mes soeurs voudront bien accepter de se reconnaître aussi dans ces Douze.

A part cette absence féminine, quelle diversité dans cette liste de noms. On y trouve des galiléens, reconnaissables à leur accent, et des judéens de l’intérieur (au moins un). A côté de noms bien israélites, on entend des noms grecs, Philippe, André (ceux-là serviront d’ailleurs d’intermédiaire avec les pèlerins grecs). Parmi ces Douze, que Jésus a appelé, des gens de culture grecque et même un péager, un collabo, côtoient un zélote, peut-être pas un révolutionnaire armé mais un pur et dur du tota et sola Israël. Parmi ces douze, on trouve des fratries, des fils de bonne famille (Alphée, vieille famille huguenote) et des gens sortis on ne sait pas d’où…

Restaurer Israël, annoncer le Royaume avec un groupe aussi hétéroclite, avec un tel ramassis, on pourrait se dire que c’était pas gagné d’avance… Et on aurait raison.

Dans une belle histoire édifiante ou dans un film hollywoodien, malgré toutes ces différences, les Douze auraient fini par faire une équipe soudée, luttant ensemble contre vents et marées. Dans un film hollywoodien…

Dans les évangiles, en revanche, ça ne se passe pas comme ça.

On connaît la fin, on connaît la tragédie de la crucifixion, Judas, l’un des douze trahit, Simon-Pierre renie, tous fuient…

Et, lorsque nous regardons le reste de l’histoire, ce n’est pas beaucoup plus reluisant…

Au fil des évangiles, nous voyons les disciples, et parmi eux les Douze, le plus souvent les Douze d’ailleurs, constamment ne rien comprendre, avoir sans cesse besoin d'explication, être toujours à côté de la plaque... Une vraie bande de bras cassés... On croirait la pastorale régionale ! (il faut vraiment que j'arrête de faire de mon cas une généralité)

Et encore s'il n'y avait que l'incompétence et l'incompréhension, mais nous allons voir les douze violents (« veux-tu que nous appelions le feu du ciel ? »), voire prompts à tirer l'épée. Nous allons les voir plein d'ambitions personnelles «permets que nous soyons l'un à ta droite et l'autre à ta gauche», nous allons les voir se chamailler dans des luttes de pouvoirs et d'influence «Qui est le plus grand ?» On croirait... Tiens, on croirait qui, au fait ?

Je ne vais pas finir ma phrase … Je crois qu'il nous appartient d'examiner les moments où nous faisons de l'Église le terrain de notre soif de pouvoir, de notre besoin de reconnaissance... On croirait nous, on croirait moi…

Finalement, bien loin d'un modèle, les Douze nous présentent un visage pas très reluisant de l'Église. Et le pire, c'est que c'est un visage dans lequel nous sommes bien obligés de nous reconnaître : en nous dépeignant les Douze, les évangiles nous tendent un miroir.

Cette présentation de l’Eglise paraîtra sans doute un peu déprimante, et pourtant, ce sont ces Douze là que Jésus appelle, ce sont ceux-là qu’il va envoyer… C’est cette Eglise que Jésus appelle, c’est cette Eglise que Jésus envoie.

Et ce n’est pas le plus incroyable : non seulement c’est cette équipe de bras cassés que Jésus appelle mais en plus, ils vont véritablement être le socle l’instrument de l’annonce de cette incroyable nouvelle de la résurrection.

Et ça va marcher.

Aujourd’hui, des Douze, de ces Douze qui voulaient tellement être les plus grands, nous ne savons presque rien, des noms et des surnoms, nous connaissons leurs fragilités, leurs errances mieux que leurs forces. Certains se dégagent un peu du lot, peut-être ceux qui parlent le plus fort ou le plus facilement, mais ce ne sont pas forcément leurs paroles les plus intelligentes qui sont parvenues jusqu'à nous, ce sont même souvent leurs bêtises (tiens, je devrais me noter ça quelque part, moi...)
Finalement, ces Douze avec toutes leurs ambitions et leurs dissensions n'ont pas éclipsé l'Evangile. C’est par eux et à travers eux que la Bonne Nouvelle nous est parvenue.

Voila peut être le plus grand prodige, c'est malgré l'Église et à travers l'Église que Dieu fait retentir l'Évangile. Et ce n’est pas grâce à la stabilité et au discernement d’une institution, ce n’est pas grâce au zèle de quelques valeureux résistants contre d'horribles hérétiques apostats, pas grâce à l’ouverture d’esprit de brillants intellectuels contre d'horribles fondamentalistes conservateurs. Non, ce qui fait que l’Eglise est le lieu de l’annonce de l’Evangile, c'est qu’à travers des hommes et des femmes, dans leurs faiblesses, dans leurs limites, dans leurs difficultés à s’entendre, Dieu a choisi de s'adresser à l'humanité.

Alors, toi, mon frère, ma sœur, non-chrétien qui t’étonne de cette Eglise si faillible, si humaine, regarde à ces Douze et dis toi que c’est là que tout a commencé, qu’avec eux, jamais l’Eglise n’a été autorisée à se croire supérieure au reste du monde

Et vous mes frères et sœurs en Christ quand nous désespérons de nous même, quand nous nous sentons trop petits, trop faibles, pas assez capables pour l'Église, regardons à ces Douze, pas plus grands que nous et qui ont été appelés comme nous avons été appelés.

Et quand, au contraire, nous désespérons de cette Église, tellement imparfaite, tellement mesquine parfois, tellement désespérément humaine, regardons à ces Douze, encore pires que nos pasteurs, que nos paroissiens, que nos collègues, les frères et les sœurs au côté desquel(le)s nous sommes appelés à travailler. Et reconnaissons que c’est là, l’Eglise que Dieu a suscité, et reconnaissons que sa faiblesse nous est une chance puisqu’ainsi nous y avons notre place…

Nous prions

Loué sois-tu Seigneur notre Dieu

Parce que c’est dans nos fragilités humaines

que tu fais retentir ta Parole

Garde nous de nos soifs de gloires

De nos volontés de puissance

Donne nous de reconnaître dans nos frères et sœurs

Cette Eglise que tu nous donnes.

Amen

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À propos
Eric George

Pasteur de l'Eglise Réformée de France, amateur de jeux de société, de cinéma, de longues discussions
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