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Penchés sur un monde de fou

Penchés sur un monde de fou

Une méditation à deux voix sur le psaume 53, chez les diaconesses

Marion : Ces derniers temps, ça m’arrive en lisant un psaume d’avoir l’impression d’ouvrir un journal. Ce que le psalmiste décrit me semble si proche du constat fait sur la situation du monde que ça en est déroutant et avec lui je me dis souvent “mais est-ce qu’ils ne comprennent pas, tous ces gens qui font du mal” ? Est-ce qu’ils ne comprennent pas, les puissants du monde, que haine et vengeance ne font qu’entrainer haine et vengeance en retour ? Est-ce qu’ils ne comprennent pas, toutes celles et ceux qui pensent que toutes les vies ne se valent pas que c’est l’humanité toute entière qu’ils dégradent ainsi ? Est-ce qu’ils ne comprennent pas que nous y gagnerions à vivre en paix et à chercher ensemble la justice ? Et pourtant, la guerre continue à faire rage en bien des lieux et sa menace est grandissante, et pourtant nous continuons à chercher à tout prix des solutions pour maintenir le malheur des autres à distance, de l’autre côté de la mer, et pourtant nous ne tirons pas de leçons des conséquences déjà très claires des changements climatiques pour repenser notre mode de vie…

Eric : Est ce qu'ils ne comprennent pas ?... C'est séduisant, l'explication du mal par la bêtise ou par la folie. Ça doit souvent être vrai, en plus. Et puis ce serait rassurant : il suffirait d'expliquer… Mais est ce que c'est suffisant ? Surtout depuis le temps qu'on explique…

Quand le Hamas attaque Israël, est-ce que vraiment il ne comprend pas quelle va être la réaction ? Quand Israël réplique de toute sa puissance armée est-ce que vraiment, ils ignorent quels sentiments de vengeance ils vont alimenter pendant des générations ? Tu parlais des puissants mais qu'en est-il de celles et ceux qui leur obéissent, de celles et ceux qu'ils envoient tuer et se faire tuer ? Est ce qu'ils ne comprennent pas tout cela pour accepter d'obéir ? Ou bien est ce qu'ils comprennent très bien mais que la haine est trop forte ?

Et tu évoques les lois anti-migrant et la catastrophe climatique qui commence… Mais là encore, est ce que la bêtise, l'incompréhension sont seules en cause ?

Sur les refus d'accueillir, peut-être sont-ils encore nombreux à ne pas voir qu'on empêchera pas les migrations, que les situations deviennent tellement invivables que de toute façon, ils viendront en dépit de tous les murs administratifs ou physiques que nous élèverons. Parce que déjà, hommes et ces femmes sont prêt à encourir tous les mauvais traitements, à risquer leur vie. Mais celles et ceux qui nous proposent ces lois, sont-ils animés seulement par la bêtise ou voient-ils dans leur intérêt d'alimenter la bêtise des autres, pour gagner des voix, pour désigner des boucs émissaires…

Quant au réchauffement climatique, là encore, je ne peux m'empêcher de penser que la bêtise, l'aveuglement sont bien accompagnés par des intérêts économiques, par un refus de changer nos habitudes et notre confort…

Et puis le psaume évoque une autre source du mal, qui va aussi de pair avec la bêtise : ils seront saisis de frayeur là où il n’y en avait pas

Marion : Certaines traductions disent “ils seront saisis de frayeurs, sans motif de frayeur”. Et en effet, la peur est souvent source de bien des maux de notre monde : peur de l’autre et de sa différence, peur de manquer, peur du changement et d’un avenir incertain. La peur est mauvaise conseillère dit-on, et pourtant c’est souvent elle qui motive nos actions, qui nous fait prendre certaines décisions. C’est d’ailleurs un équilibre difficile à trouver entre le sentiment de peur qui est nécessaire à notre survie parce qu’il nous permet de nous protéger du danger, et la peur qui nous saisit sans motif véritable et qui nous isole, nous empêche de dormir ou nous pousse à prendre de mauvaises décisions pour lutter contre des dangers imaginaires. En ce sens, on peut se demander si cette peur sans motif, ou cette peur qui saisit celles et ceux qui étaient jusque-là épargnés par la peur, est une cause du mal qui abonde, au même titre que la bêtise, ou une conséquence du mal que l’on fait. La peur est au moins autant cause que source de souffrances et celui dont l’action est motivée par la peur fait souffrir mais souffre lui aussi.

Quand le monde se détourne de Dieu, ne ménage plus d’espace pour cultiver sa spiritualité, quand le monde oublie le pouvoir de Dieu et ce que sa présence peut changer dans notre manière de vivre, alors la peur prend le dessus.

Eric : Quand tu parles de ce monde emprisonné dans sa bêtise et dans ses peurs, de ce monde qui nuit par la bêtise et par la peur, dans ce monde qui oublie Dieu est ce que tu t'inclus dedans ? Ou est-ce que tu le regardes de haut ?

Je te pose la question parce que je me la suis posée sur le psalmiste : “Tous ont quitté le bon chemin, ils sont tous corrompus. Personne ne fait le bien, même pas un seul !” Même pas le psalmiste alors ?  Bien sûr, cette question, j'essaie de me la poser aussi à moi-même. Le monde dans sa folie, est ce que c'est eux ou est ce que c'est nous ?

Marion :  C’est tentant de s’exclure du constat, et c’est bien souvent ce que nous faisons - ce que j’ai facilement tendance à faire en tout cas. Mais ce n’est pas très juste si on prend le temps de regarder et de se regarder vraiment. Le mal que nous subissons, nous y contribuons aussi. Le monde que nous jugeons, nous en faisons partie. C’est ce que rappelle Paul dans l'épître aux Romains : « Tu es donc inexcusable, toi qui juges, qui que tu sois ; en jugeant l'autre, en effet, tu te condamnes toi-même, puisque, toi qui juges, tu pratiques les mêmes choses » (Ro 2,1). Nous faisons partie du monde, nous ne pouvons pas nous en séparer ou nous en désolidariser. A ce titre, nous contribuons à tout ce qui le sépare de Dieu et que le psalmiste décrit. A ce titre aussi, nous faisons partie de ce monde que Dieu a tant aimé et pour qui il a donné son fils.

Eric : À propos de Dieu, aux premières lectures de ce psaume, je me disais que si je reconnaissais bien le monde du psalmiste, je ne partageais pas son image de Dieu. Mais en fait, en relisant et relisant encore, je suis forcé de nuancer. Le constat sur le monde est porté par Dieu. Et là, le psaume est repris par une chanson de Cabrel: Dieu est assis sur le rebord du monde et pleure de voir ce que les hommes en ont fait.

De ce point de vue, le psaume me parle de la conscience dans son sens théologique classique : le regard extérieur que Dieu nous donne d'avoir sur nous-même. Le Jiminy Cricket qui nous souffle que si les autres sont fous, nous ne valons pas beaucoup mieux…

En revanche, je ne crois pas au Dieu qui écrase les méchants, qui pulvérise mes ennemis pour me faire danser de joie. Je peux reconnaître qu'il m'arrive, dans mes nombreux moments d'orgueil, de souhaiter qu'il convertisse celles et ceux qui ont la bêtise de ne pas penser pas comme moi et qu'il me donne raison face à mes adversaires…

Mais j'ai un avantage sur le psalmiste, je sais comment Dieu réagit face à la folie du monde…

Marion : C’est peut-être la différence entre l’image que nous pouvons avoir de Dieu et ce qu’il nous révèle de lui-même. En effet Dieu se penche vers les habitants de la terre, et il regrette que personne ne fasse appel à lui. Et pourtant, le psaume promet que quand Dieu changera la situation de son peuple, le peuple sera dans la joie. Est-ce que ce changement c’est la destruction des ennemis que semble suggérer le psalmiste, ou est-ce que de permettre au peuple de revenir à lui ? Est-ce que Dieu convertit ceux qui ne pensent pas comme moi ou est-ce qu’il me convertit pour que je revienne à lui ? Est-ce que la joie vient de la disparition de tout ce que nous pensons pouvoir l’empêcher ou de la possibilité d’accueillir ce qui vient à moi et de le transformer ?

Finalement, si à sa première lecture le psaume semble si proche de la réalité que nous vivons qu’il nous mine encore un peu plus le moral, il nous donne surtout des mots pour dire notre propre plainte et peut-être des graines de réflexion pour la transformer.

Eric : Ainsi le psaume ne serait pas un enseignement sur Dieu mais des mots offerts à notre plainte, des mots pour tourner notre plainte vers Dieu et le laisser nous transformer, transformer notre cœur et notre pensée…

Amen

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À propos
Eric George

Pasteur de l'Eglise Réformée de France, amateur de jeux de société, de cinéma, de longues discussions
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