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Un Royaume où l'on n'entre pas intact

Prédication du dimanche 6 janvier 2008
Deutéronome XXIV ; 1 et 2
Matthieu V, 27 à 32

Et si l’on commençait l’année en parlant de couple, de mariage, de répudiation et d’adultère ? Et si l’on commençait l’année en parlant de la loi ? En parlant du péché ? Et si l’on commençait l’année parlant d’épiphanie, de cette lumière de Dieu qui vient briller sur et dans nos vies ?

Commençons donc par la fin et par le certificat de répudiation. Ici, nous ne sommes pas face au débat sur la légalité de la répudiation qui oppose catholiques et protestant quant au divorce. Pour cela, il faut se reporter à Matthieu XIX, 3 à 12. En effet, ce n’est pas dans un débat de juriste que Jésus nous entraîne : ici, il ne change rien à la loi. « Il a été dit : Que celui qui répudie sa femme lui donne une attestation de rupture.  Mais moi, je vous dis : Quiconque répudie sa femme –– sauf en cas de répugnance–– la rend adultère » ; Or le cas d’impudicité est précisément le cas qui autorise la répudiation (Deutéronome XXIV, 1), donc placer la parole de Jésus sur un plan juriste c’est lui faire dire : « c’est mal de répudier sauf dans les cas où c’est permis ». D’autant que Jésus n’explique pas plus que le deutéronome ce cas d’impudicité. Et c’est justement sur ce point que le débat rabbinique faisait rage : fallait-il donner une interprétation large à ce cas de répugnance « elle sale trop la soupe et ça me répugne » ou une interprétation plus restrictive «un degré de parenté ne permettant pas le mariage » Ici, Jésus ne répond pas à la question. Preuve que pour lui, ce n’est pas sur ce terrain-là qu’elle se place. Ici la question n’est pas dans la loi mais dans la relation : un certificat de répudiation même en bon et dû forme n’annule pas la relation entre un homme et une femme. La relation de l’épouse répudiée avec son premier mari n’est pas rompue par le certificat de répudiation si bien qu’elle est adultère en en épousant un autre et que celui qu’elle épouse est adultère puisqu’il prend la femme d’un autre (à noter que nous sommes toujours dans le cas ou la femme adultère est celle qui trompe son mari alors que l’homme adultère est celui qui prend la femme d’un autre). J’ouvre une autre parenthèse sur la question du divorce : ici, tout en célébrant une bénédiction nuptiale sur des divorcés remariés, je ne puis qu’être d’accord : l’échec d’un mariage ne signifie pas que le lien avec le conjoint précédent est anéanti : il existe et existera toujours. Le nouveau mariage ne nous affranchit pas de l’échec de l’ancien, il autorise simplement à repartir après un échec. Autoriser le remariage, ce n’est pas encourager le changement de partenaire au grès de notre fantaisie, c’est simplement affirmer qu’après une situation d’échec, un recommencement est toujours possible.
Mais revenons à l’affirmation de Jésus. Il me semble qu’ici, bien plus qu’un enseignement sur le mariage, nous avons une position sur la loi : être en règle avec la loi ne signifie pas être en règle avec Dieu. Aujourd’hui, dans une société laïque, construite sur la loi des hommes, cela nous paraît évident. Mais Jésus affirme cela dans une théocratie dont la loi est comprise comme étant de nature divine : être en règle avec la Torah, la loi donnée par Dieu, ne signifie pas être en règle avec Dieu.
C’est du reste, ce qui est affirmé dans la première partie du texte : Vous avez appris qu’il a été dit : Tu ne commettras pas d’adultère. Donc, tant que je ne trompe pas ma femme, tant que je ne vais pas fricoter avec la femme d’un autre (pour qu’on en me taxe pas de sexisme, je vais m’empresser de dire qu’à mon avis, c’est valable également pour les femmes) je suis en règle avec la Torah et je peux continuer à mater les filles... Mais : « et moi, je vous dis : quiconque regarde une femme avec désir a déjà, dans son coeur, commis l’adultère avec elle ». Jésus nous rappelle que Dieu connaît le fond de notre cœur et que pour lui, la pensée est aussi importante que l’acte lui-même. Ainsi, le péché n’est pas seulement dans l’acte lui-même, mais bien dans notre pensée, dans notre cœur, dans ce qui constitue notre être profond. Ce qui est intéressant, c’est que cette affirmation de Jésus, la neurobiologie la confirme. Si l’on observe le cerveau de quelqu’un alors qu’il est en train de faire quelque chose, on verra que des zones précises du cerveau sont activées. Et si l’on observe le cerveau de quelqu’un qui le regarde pendant qu’il agit, on remarquera que les mêmes zones du cerveau sont activées. Ce qui signifie, d’une part que l’observateur se voit en train de faire la même chose, et d’autre part que « penser faire » et « faire » ne sont pas séparés dans notre cortex, c'est-à-dire dans notre fort intérieur ou dans notre cœur. Celui qui regarde une femme avec désir a déjà, dans son cœur, commis l’adultère. Il est évident qu’une telle affirmation nous amène au-delà de la morale. Si le désir est identique au faire, alors personne ne peut se dire juste, personne ne peut se dire en règle par ses actes puisque ses actes sont trahis par ses pulsions les plus secrètes, les mieux contrôlées… On dit parfois que Matthieu est le plus légaliste des évangélistes, j’ai surtout l’impression qu’en réaffirmant l’exigence de la loi, Matthieu en montre la limite : si en m’interdisant de tuer, de voler ou de prendre la femme de mon voisin, la loi peut m’empêcher de le faire, en m’interdisant de convoiter, elle ne peut pas m’empêcher de convoiter (ou alors, je suis Tartuffe)
C’est d’ailleurs ce qui m’a poussé à commenter cette première partie en deuxième. En parlant de la répudiation (ou du divorce en second) en second, nous avons tendance à rétablir une hiérarchie absente dans ce texte : désirer c’est mal mais se remarier c’est pire. Or ce n’est pas du tout ce que dit le texte qui met celui qui épouse une répudiée et celui, marié ou non, qui regarde une femme avec désir dans le même cas, dans le même adultère, interdisant ainsi à tous de se poser en juge de son voisin…

Alors, quelle est l’issue ?
Puisque la pensée et l’acte sont identiques devant Dieu, me vautrer dans mon péché et réaliser mes pulsions les plus sombres pour, au moins, en tirer quelque avantage concret avant d’aller dans la géhenne ? Bien sûr que non. En plus du châtiment divin, cela nous vaudrait également le châtiment humain. La morale est dépassée par cet enseignement mais cela ne la rend pas mauvaise ou inutile pour autant… Notre société a besoin de morale pour exister, personne ne le contredira.
Alors, quelle issue ? Voiler, emmailloter les femmes pour qu’elles ne soient plus un objet de désir ? M’arracher les yeux afin de ne plus voir la beauté, comme semble me le recommander Jésus? Ou, de manière moins radicale, mais dans le même ordre d’idée, m’exiler,  me cloîtrer loin de toute tentation ? Je ne crois pas que cela soit réellement efficace.
Je crois qu’il vaut mieux appliquer le conseil de Jésus, non pas nous arracher l’œil ou nous couper la main mais renoncer à entrer entier dans le Royaume de Dieu. Renoncer à croire que nos actes, notre observance de la loi et de la morale nous mettent en règle avec Dieu. Renoncer à revendiquer notre justice et notre droiture devant Dieu et dire simplement : me voici Seigneur, indigne de ton Royaume, indigne de ton amour et pourtant, je te le demande : reçois moi. Brise, arrache, détruit en moi tout ce qui n’est pas de l’amour. Ampute moi de tout ce mal auquel je tiens tant et qui m’empêche de vivre la vie que tu nous offres… Je sais bien que prier ainsi, c’est perdre cette autonomie, cette autosuffisance à laquelle nous tenons comme à la prunelle de nos yeux. Mais « si ton œil droit entraîne ta chute, arrache-le et jette-le loin de toi »…

Frères et sœurs, que ce soit notre épiphanie. Que la lumière de Dieu brille sur nous, révélant l’ombre dans laquelle nous sommes et que nous n’osons voir ou avouer. Qu’elle brille sur nous en nous révélant que lorsque notre injustice est manifeste, lorsque notre péché est révélé, lorsque notre fierté est brisée, nous sommes, par son amour, pris dans son royaume, pris dans une vie nouvelle qui peut commencer dès maintenant, libéré de nous-mêmes et de nos pulsions de morts.

Amen
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À propos
Eric George

Pasteur de l'Eglise Réformée de France, amateur de jeux de société, de cinéma, de longues discussions
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S
Sans doute parce que le Coran nous apprend qu'après le péché originel, il y eut un pardon originel...{ Nous leur dîmes: "Descendez. L'un à l'autre vous serez ennemis. Vous trouverez sur la terre établissement, et jouissance pour un temps". Or Adam recueillit de son Seigneur certaines paroles, le Seigneur sur lui S'était repenti, car Il est l'Enclin-au-repentir, Le Miséricordieux. }(II, 35-37) Aussi le repentir est-il inscrit par Dieu en l'homme dès le lendemain de la Chute, repentir qui ouvre le pardon, mais le repentir implique de se soumettre à une discipline de vie et de chercher à se purifier. Le salut est inscit dans l'homme, il doit seulement l'appeler de ces voeux, et comme d'habitude, aides-toi et le ciel t'aidera!Que la Paix soit sur toi, ainsi que la grâce et la miséricorde de Dieu.
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S
Petit rappel utile: les péchés sur lesquels ont se repent sincèrement et les actes accomplis dans l'innocence sont pardonnés par la divine miséricorde. Je n'en dirais pas autant du violeur multi-récidiviste. Par contre, étouffer les désirs qui ne peuvent être assouvis avant qu'ils ne nous possèdent: voilà qui est faire preuve de sagesse authentique et d'un courage rare en ces temps matérialistes. Celui qui se retient de faire un péché qu'il a pensé a déja accompli une bonne action dit-on en Islam!Mieux vaut abaisser ou détourner son regard pudiquement pour ne pas nourrir l'appétit qui nous mène peu à peu à voir le sexe opposé comme objet de notre commerce, de notre consomation. C'est préventif, ne pas s'habituer à voir dans les autres d'abord la chair, de valeur diversement appréciée, mais plutôt l'âme, qui a pour tous la même valeur aux yeux de Dieu!
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E
Votre commentaire offre une bonne illustration de la différence entre le christianisme qui est religion de grâce et l'Islam qui est une religion de loi (même si bien sûr, Dieu est miséricordieux) : vous continuer à voir le péché comme un agir humain (même si cet agir peut-être uniquement dans la pensée) alors que dans le christianisme à la base des péchés "action" il y a le péché-état et que donc l'homme n'a pas d'autre ressource que de s'en remettre à la miséricorde divine...
M
Dans ce texte biblique,n'y aurait-il pas un manque d'adaptation de la loi -vue par Mathieu, je précise- à la nature de l'homme ou de la femme ? La convoitise, c'est la nature ; la loi la régule mais ne peut la supprimer ; Mathieu à mon avis se trompe quand il veut tuer la convoitise en nous ; autant nous tuer tout de suite ! simplement il nous culpabilise... Ce texte a dû faire plus d'un malheureux !
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E
En fait, tout dépend de la manière dont on le prend. Si l'on veut y voir une façon d'agir, alors effectivement ce texte pose problème et il convient de trouver des expédients, comme par exemple la différence entre le désir et la convoitise (voir les commentaires de Ti'hamo...En revanche, on peut aussi lire ce texte comme nous rappelant ce que nous sommes et notre incapacité à être, par nous-même, en règle avec Dieu. Ce qui avant tout, nous interdit de juger et de condamner les autres...Je ne crois pas que Matthieu veuille tuer en nous le désir. Il nous montre simplement que nul n'échappe à ce désir et que ce désir nous révèle que le péché n'est pas seulement un "faire" mais d'abord un état. Discours culpabilisant ? A mon avis, pas plus que de dire que nous sommes mortels...Se savoir pécheur et aimé de Dieu malgrè tout, c'est pour moi, très libérateur et dynamisant.
S
Amîn.Que la paix soit sur toi
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T
...comme ça tout seul sans avoir rien à décider par soi-même ? ça c'est chouette...(soupir) j'aimerias bien qu'il en aille de même pour moi...  ...ou pas, remarquez : je suppose que la vraie bonne attitude c'est de faire le bien avec ce qu'il nous est donné.  D'où l'intérêt d'une loi, non comme une fin en soi, mais comme un guide. (de la même façon que "le sabbat est fait pour l'homme et non l'homme pour le sabbat"). "Aime ton prochain comme toi-même" est présenté comme un commandement. Mais "commandement" ça ne veut pas forcément dire "acte d'autorité auquel on se soumet sans rien chercher à comprendre parceque sinon on ira au coin".Alors, oui, bon, mais si je convoite une femme, pas "la femme de quelqu'un" ? (ni son boeuf, ça ira, merci, j'aime bien les animaux mais quand-même...  ;-) Juste une femme, qui passait par là.
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E
Ben, à partir du moment ou ça me change et que ça me pousse à faire des choses, c'est toujours un peu difficile de faire le tri entre ce que je fais par moi-même et ce que Dieu me donne de faire...Pour votre question finale : si vous convoitez ou si vous désirez ? ;o) en fait, j'y mettrai bien la notion de faire de l'autre un objet. Mais à mon avis là, on glisse vers le hors sujet. Ben oui, il est question d'adultère ici, alors si vous n'êtes pas marié et si la femme ne l'est pas non plus, je suis pas sûr que ce passage vous concerne vraiment... Aïe, je sens que ça va pas vous plaire.