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Un vent de folie

Si, par hasard
Sur l'Pont des Arts
Tu croises le vent, le vent fripon
Prudenc', prends garde à ton jupon
Si, par hasard
Sur l'Pont des Arts
Tu croises le vent, le vent maraud
Prudent, prends garde à ton chapeau

G. Brassens


Prédication du dimanche 11 mai 2008
I Rois XIX, 3 à 13
Jean III 1 à 12
Actes II 1 à 12

Merci à Amos qui a bien voulu nous interpréter ce « vertige » de Ophèle-Gaubert qui nous introduit directement dans la réflexion de ce matin. En effet, si la Pentecôte évoque souvent une histoire de langues de feu qui tombent sur la tête des apôtres, ou encore une foule de pèlerins d’origines diverses qui reçoivent chacun un message dans leur langue maternelle mais on oublie souvent ce grand bruit, cette explosion de vent violent qui envahit toute la maison. Pourtant, ce bruit comme celui d’un grand vent est une marque importante de la pentecôte : fête de l’esprit, fête du souffle (en grec, le mot est le même). Fête de Dieu présent et agissant dans notre vie.

Or, je trouve que le vent, le souffle est une très belle image de Dieu. Attention, je ne suis pas en train de dire qu’il faut voir la main de Dieu derrière tempêtes, typhons et ouragan. Ici, nous sommes bien dans l’image. Et dans une image que je trouve très éloquente. D’abord parce que le souffle, c’est la respiration, c’est le mouvement et donc, c’est la vie.
Ensuite parce que c’est une image… qui n’est pas une image : le vent, le souffle, c’est ce qu’on ne voit pas. On en ressent les effets, on l’entend mais on ne le voit pas. Or, Dieu, même présent et agissant dans le monde reste le grand invisible. A tel point qu’il est normal de douter de sa présence et pourtant on l’entend…
Mais même quand on entend le vent, ce n’est pas lui qu’on entend mais c’est ce sur quoi il souffle. Entends-tu le vent dans les arbres ? Non mais j’entends le chant des arbres mus par le vent. Entends-tu le vent dans les voiles ? Non mais j’entends la voile qui claque au vent. Et pourtant sans le vent, les arbres, la voile resteraient silencieux. C’est bien ainsi que Dieu se fait entendre, il passe à travers des témoins et c’est bien la voix de ces témoins que l’on entend,  avec leur histoire, leur culture, leur personnalité propres. Ils sont « porte parole » mais ils restent eux-mêmes, leurs mots sont les leurs et c’est pourtant bien Dieu qu’on entend à travers leur voix. C’est comme pour la plupart des instruments à vent : un souffle qui vient de l’extérieur les fait chanter mais chaque instrument à son timbre propre.
Mais si le timbre, les mots, la voix sont ceux de Paul, d’Esaïe, de Marc ou de Jean, comment puis-je savoir que c’est Dieu qui parle ? Eh bien, je sais que Dieu parle à travers un témoin quand Dieu me fait reconnaître sa voix à travers ce témoin. En effet, aussi surprenant cela soit-il, même quand il parle, même quand il agit, Dieu reste le grand invisible. Et c’est bien pour cela qu’il y en aura toujours pour dire « Ils sont pleins de vin doux ». Oui, la foi qui me vient de Dieu me permet seule de recevoir le message qui me vient de Dieu. Et la liberté de l’Esprit, du souffle est si grande que parfois, dans ma foi, je reçois un message de Dieu à travers les mots d’un non-croyant…

Mais si j’aime cette image du vent c’est surtout parce que c’est une image pas très raisonnable. En effet, dans la plupart des mythologies polythéistes, le vent pose un problème : soit il est représenté par un dieu capricieux, soit il est représenté par plusieurs dieux : Dans une vaste caverne, Éole tient enchaînés et emprisonnés les vents, qui s'efforcent de fuir, ainsi que les tempêtes bruyantes nous raconte l’Enéide… En effet, je parle du vent mais peut-être devrai-je parler des vents car qu’y a-t-il de commun entre la brise légère d’un soir d’été (…), le vent qui vient gonfler les voiles (…), la longue plainte qui parcourt une plaine déserte (…) ou le hurlement de la tempête ? Alors, la tentation est grande de faire le tri : de séparer entre les vents agréables et utiles et les vents destructeurs et effrayants.
Il faut d’ailleurs bien dire que même les vents utiles et agréables sont capricieux : n’avez-vous jamais espéré la fraîcheur d’un léger souffle par une chaude journée d’été ? Interrogez le marin, paralysé par un calme plat, une absence complète de vent…
Or, si le nouveau Testament distingue entre pneumatos et anemos, c'est-à-dire entre le souffle (l’action de Dieu) et le vent au sens propre, l’Ancien Testament lui est moins précis, oui il y a une distinction entre vent fort et brise légère, entre rouah et hevel. Mais l’action de Dieu, quant à elle peut être aussi bien rouah que hevel. Elie reconnaît la présence de Dieu dans la fugacité d’une brise légère, d’« à peine un souffle ». Mais l’action de Dieu peut aussi être ce vent assez puissant pour ouvrir la mer lors de la sortie d’Egypte, pour assécher la terre après le déluge et même pour retenir la masse des eaux, l’empêchant de recouvrir la terre. Si Elie apprend, et il en avait besoin, que Dieu n’est pas forcément dans la puissance, dans le coup d’éclat, nous ne devons pas à notre tour emprisonner Dieu dans la brise légère. Le vent souffle où il veut. Dieu est libre.
Dieu est libre et, au regard de notre sagesse humaine, comme le vent, il est un peu fou. Jamais là où nous nous attendons à le trouver, pas toujours là où, selon nous, il faudrait qu’il soit. Cette liberté absolue de Dieu qui se rit de toutes nos conventions humaines, nous la retrouvons dans toute la Bible, à travers l’Ancien Testament et plus encore à travers l’incroyable liberté que manifesta cet homme Jésus Christ vis-à-vis des conventions de son époque. Et nous la retrouvons encore au moment de la Pentecôte : le témoignage même des apôtres devient tellement libre que chacun peut le recevoir dans sa langue, dans sa culture, dans son histoire. Le témoignage des apôtres n’est plus prisonnier des conventions et des formes, il est libre maintenant d’atteindre chacun. Mais avant cela, avant même ce feu bien domestiqué qui vient se répartir gentiment sur la tête de chaque apôtre, il y a ce grand bruit qui envahit toute la maison, ce vacarme assourdissant, cette explosion qu’aucun mur n’arrête. Et c’est cela la Pentecôte, Dieu fait irruption dans nos vies, il se rit de nos murs, de nos verrous. Dans le murmure de la brise, dans le hurlement de la tempête, de manière souvent inattendue, surprenante, Dieu se fait entendre. Cet aspect inattendu, incontrôlable de Dieu a sans doute de quoi nous effrayer ou au moins nous inquiéter. C’est vrai que le vent sème souvent le trouble, enlevant les chapeaux, retournant les parapluies, soulevant les robes, faisant claquer volets et portes. C’est vrai que ce n’est pas toujours agréable de ne pas savoir à quoi s’attendre, c’est vrai que nous préfèrerions souvent un Dieu plus apprivoisé, un Dieu qui serait un peu moins tramontane… Mais si Dieu nous paraît souvent folie, rappelons-nous qu’il est une folie aimante.

Frères et sœurs, qu’en ce jour de Pentecôte nous acceptions l’extraordinaire liberté de Dieu qui surgit dans notre vie et nous pousse à sortir sur des chemins nouveaux, vers de nouvelles rencontres. Qu’en ce jour de Pentecôte, nous fassions place à l’imprévu, à l’inattendu, à l’incontrôlable de Dieu et que sans peur nous nous laissions porter par ce vent maraud, ce vent un peu brigand qui vient gonfler nos voiles.

Amen
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À propos
Eric George

Pasteur de l'Eglise Réformée de France, amateur de jeux de société, de cinéma, de longues discussions
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