23 Juillet 2006
Prédication du 23 juillet 06
Genèse XI
Jérémie LI, 1 à 24
Apocalypse XVIII
En ouvrant ce cycle avec Caïn, bâtisseur de la première ville, nous avons vu comment pourquoi l’humanité se construisait des villes, pour refuser son errance et sa vulnérabilité, pour refuser d’être à la merci de Dieu. Aujourd’hui, après la question du pourquoi : « pourquoi la ville ? »nous allons passer au « quoi ? », « qu’est ce que la ville ? » Et c’est Babylone, la grande ville, qui va nous permettre de répondre à cette question. Nous passons donc de Caïn, archétype de l’humanité qui fuit l’errance en se bâtissant une ville à Babylone. Mais alors nous quittons le mythe pour entrer dans l’histoire ! En effet, Babylone n’est pas seulement une ville biblique, nous la connaissons, nous en étudions les vestiges et l’histoire. C’est vrai, d’ailleurs les textes bibliques s’enracinent profondément dans l’histoire humaine. Ils ne sont pas purement symboliques et désincarnés. Babylone a existé et nous la connaissons. Mais, par son histoire, elle a tellement marqué le peuple hébreux, que la Babylone historique est devenue un symbole : la Grande ville. De la Genèse avec le récit de la tour de Babel à l’Apocalypse, Babylone n’est plus une ville mais LA ville, celle qui rassemble toutes les villes de l’humanité : « La grande ville fut divisée en trois partie. Les villes des nations tombèrent et Dieu se souvint de Babylone la grande pour lui donner la coupe du vin de son ardente colère » (Apocalypse XVI, 19). Babylone n’est plus seulement Babylone ou Rome, elle est LA ville, toutes les villes. Sixième siècle avant Jésus Christ, l’élite des deux royaumes d’Israël est arrachée à sa terre pour être amenée en captivité à dans l’empire Babylonien. Et pendant cet Exil, ils découvrent Babylone, cité colossale, aux murailles impressionnantes, aux palais et aux temples nombreux et surtout aux ziggourat dont la plus haute atteignait peut-être 90m de hauteur, Babylone ville cosmopolite dont les habitants viennent de tous les côtés de l’empire. C’est sans doute ici que naît le mythe de la tour de Babel. « Fabriquons-nous une ville et une tour dont le sommet atteigne le ciel ». Si Enock fondée par Caïn est la première ville biblique, toujours au regard biblique, nous sommes sans doute ici devant la première prouesse technique de l’humanité, la première merveille du monde. C’est d’abord cela que raconte la tour de Babel, l’incroyable capacité de l’homme à bâtir et à inventer, sa prodigieuse créativité. C’est vrai, en se rassemblant, en joignant ses forces, l’homme peut atteindre le ciel. C’est assez curieux, si la Bible fustige l’orgueil de l’homme, elle admet qu’il y a de quoi être orgueilleux. Et la ville est le lieu de ces grandes réalisations humaines. Lorsque une ville marque notre imaginaire, c’est par sa démesure que ce soit sur un plan technique (la modernité de New York, de Singapour ou Tokyo), culturel (Paris, Rome, Vienne et la plupart des capitales européennes) ou religieux (Jérusalem, La Mecque). Et la plupart de ces réalisations sont véritablement admirables. Et même ce qui est moins spectaculaires, les milliers de réalisations qui visent à augmenter le confort des villes, du tout à l’égout et les transports communs, l’électricité et l’eau courante, le travail des urbanistes, tout ce qui nous facilite tellement la vie et qui nous vient de la ville ! Il est impossible de ne pas s’émerveiller devant ce que l’homme peut réaliser. Et c’est sans doute ainsi qu’il se fait un nom, c’est ainsi qu’il se sépare des autres animaux, c’est ainsi qu’il acquiert son autonomie et sa puissance : il est faux de croire que c’est par son esprit ou son intelligence : c’est par ses réalisations que l’homme impose sa marque à notre monde.
Mais voilà que Dieu met un terme à ce prodige qu’est la tour de Babel : « Maintenant, rien ne les empêchera de réaliser tous leurs projets ! Descendons donc, et là, brouillons leur langue ». Mais, de quoi se mêle-t-Il ? La tour de Babel serait donc le même mythe que celui de Prométhée, puni par les dieux pour avoir donner le feu aux hommes ? Notre Dieu est-il un Dieu jaloux des capacités humaines ? Pour être fidèle à la Bible, nous faudrait-il refuser toute technique et mettre un holà aux réalisations humaines ? Ils auraient donc raison ceux qui assimilent systématiquement la religion à l’obscurantisme ? Mais il y a bien d’autres textes ou les réalisations et connaissances humaines sont célébrées. L’habileté de l’artisan est louée comme sagesse autant que la connaissance du savant ! Non, la Bible ne refuse ni la technique ni la science (qui sont d’ailleurs deux choses très différentes, on a un peu tendance à l’oublier dans nos débats sur l’éthiques)
En revanche, le récit de Babel nous rappelle indubitablement qu’il y a une limite à ces réalisations humaines. Mais de quel nature est cette limite ? On a souvent tendance à penser que Dieu établit une zone tabou, qu’il se garde un domaine réservé. C’est là, le mythe de Prométhée ou sa révision moderne, celui de Frankenstein : l’homme est puni pour s’être élevé au rang de créateur. Mais bibliquement parlant, cela n’a pas de sens. Une tour élevée par l’homme pourrait-elle vraiment faire de l’ombre au Dieu qui a tissé le ciel et la terre ? La technique de l’homme menacerait-elle la puissance de Dieu ? C’est absolument impensable pour les auteurs bibliques. Nous n’avons donc pas à faire à un Dieu jaloux de ses privilèges qui poserait des limites à l’humanité pour empêcher celle-ci de venir marcher sur ses plates-bandes. Il y a une limite à nos réalisations, mais cette limite n’est pas arbitrairement posée par Dieu, elle est inhérente à ce que nous sommes. Cette limite, c’est que nous ne pouvons pas, par nos réalisation faire le bonheur de l’humanité. Le récit de Babel vient nous rappeler que nos réalisations, si merveilleuses soient-elles ont toujours un prix.
Il faut se rappeler que dans la culture hébraïque, la construction d’une ville ainsi évoquée, rappelle fatalement l’esclavage en Égypte. En lisant ce texte, le lecteur hébreux n’oublie vraisemblablement pas que cette tour glorieuse qui s’élève vers le ciel, écrase en même temps ceux qui la bâtissent. Peut-être devrions-nous, de la même manière, nous souvenir du prix de nos prouesses techniques, de ce qu’elles signifient en terme d’esclavage et d’oppression. Bien sûr nos villes ne sont plus construites par des esclaves. Mais la prostitution, les ateliers clandestins, les cités dortoir ne sont ils pas des visages de l’esclavage. Ce slogan « métro-boulot-dodo » n’exprime-t-il pas à quel point la ville semble nous écraser parfois, quel que soit le confort qu’elle nous donne. Et si nous gardons à l’esprit cette face sombre de la ville, alors nous pouvons entendre différemment les menaces proférées contre Babylone la ville éternelle. Ces menaces dont nous n’entendons souvent que la dureté et la violence sont aussi promesse de libération.
La prophétie de Jérémie Babylone sera détruite est évidemment une promesse de libération pour le peuple en exil. Et il en va de même pour le récit de la tour de Babel : en captivité à Babylone, le récit de la dispersion des peuples à travers le monde ne peut qu’être lue comme une promesse de retour au pays et à la langue ancestrale. Et je crois que, nous aussi nous pouvons entendre ces textes comme des promesses de libération. Parce que lorsque nous ouvrons les yeux, nous voyons bien que par bien des aspects nous sommes captifs, dépendants de cette technologie dont nous sommes si fier., dépendants des pouvoirs politiques et économiques (les rois et les marchands de la terre) qui nous dépassent et dont nous subissons les conséquences. Nous voyons bien que ces progrès qui ont améliorés nos vies, nous ont également imposé de nouvelles chaînes. Et nous ne savons pas vraiment comment sortir de cette spirale de dépendance. Eh bien, après les prophètes, l’apocalypse nous le promet : elle est tombée Babylone, la grande ! Dieu nous délivre de ces prisons que nous avons construit pour nous mêmes. Et ce n’est pas pour nous faire repartir à zéro ou pour nous renvoyer à l’âge des cavernes ! Dans l’Apocalypse, après la chute de Babylone vient l’avènement d’une ville nouvelle, non pas dressée par l’homme contre Dieu mais par Dieu pour l’homme : la Jérusalem céleste…
Frères et sœurs, la tour de Babel n’a pas été détruite ! Dieu ne condamne pas la technologie ! Mais il nous invite à la lucidité, Il nous appelle à reconnaître nos limites : nos prouesses techniques peuvent améliorer notre vie, mais ce n’est pas en elles que nous trouverons notre salut ni notre liberté. Cependant, ne désespérons pas, ce salut, cette liberté nous est promise. Ne craignons pas la chute de notre Babylone mais espérons-la ! La chute de notre orgueil, de notre Babylone sonnera l’heure de notre libération !
Le récit de la tour de Babel n’évoque pas bien sur le coût écologique que nous devons payer. Nous ou plutôt la terre sur laquelle nous vivons. En revanche il évoque un autre aspect dont nous commençons tout juste à parler. « Briquetons des briques et flambons les à la flambées, cette traduction de Chouraqui nous permet d’entendre un aspect de cette langue unique sur laquelle nous fantasmons tellement. Elle est terriblement monotone, tous disant la même chose. La ville est souvent aussi le lieu de l’uniformisation au dépend de l’individualité. Parler la même langue, porter la même tenue, penser tous de la même façon, voilà une des tentations perpétuelles de la ville.
Amen
Pasteur de l'Eglise Réformée de France, amateur de jeux de société, de cinéma, de longues discussions
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