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Créés par le Christ

Créés par le Christ

Face à la croix, au milieu des moqueries une parole incroyable retentit dans la bouche d'un criminel. Cette parole ouvre un jardin dans le tohu-bohu du Golgotha.

 

Prédication du 24 novembre 2019

Colossiens 1, 12-20

Luc 23, 35-43

 

«Car c'est en lui [Jesus Christ] que tout a été créé dans les cieux et sur la terre.»

Aïe ! Déjà qu'il est compliqué aujourd'hui de comprendre ce que veut dire croire au Dieu créateur, mais si en plus, c'est en Christ (ou par lui) que tout a été créé, ça va vraiment devenir très compliqué.

Eh bien, laissons Luc nous éclairer.

Mais d'abord une petite question : savez vous quel jour nous sommes ? Connaissez-vous la particularité du dimanche 24 novembre 2019 ?

Eh bien, aujourd'hui, nous sommes le dernier dimanche de l'année liturgique. Dimanche prochain, nous commencerons une nouvelle année. Donc, en ce début de dernière semaine, faisons un peu le bilan de cette année pour notre humanité.

Et en ce temps froid et sombre de novembre, en ce temps où l’hivers et la fatigue se sont installés, le bilan ne sera sans doute pas fameux : un monde toujours aussi violent, une vie de plus en plus menacée, une humanité qui reste marquée par les injustices, les haines, les conflits et notre vie avec ses épreuves, ses deuils...

 

Et alors, dans cette obscurité, dans ce brouhaha, dans cette douleur, nous nous tournons vers Dieu et nous le supplions d’agir, nous le supplions de transformer nos cœurs de pierre en cœurs de chair et bientôt nous l'implorons de changer nos épées en socs de charrue, nos chars de combat en moissonneuses batteuses, de changer les pierres en pain. Parce qu'après tout, nous voulons un Dieu efficace. Mais alors notre prière ne devient-elle pas tentation, mise à l'épreuve de notre Dieu ? 

Et à notre tentation de puissance, d’efficacité, du “tout, tout de suite”, Dieu répond par le dénuement de Jésus qui se laisse dépouiller de tout jusqu’à la croix. Mais nous refusons cette humilité, cette faiblesse et face au crucifié, nous crions “Maintenant, ça suffit, descend de ta croix, sauve ce monde, sauve-toi et sauve-nous avec” et comme le bandit, nous passons à la moquerie devant ce Dieu crucifié si faible, si incapable. Comme pour le bandit crucifié, c'est sans doute la souffrance et le désespoir qui nous poussent à la raillerie.

Mais  du coup, nous rejoignons le camps des autres moqueurs qui disent la même chose pour d'autres raison. 

Parmi ces moqueurs, il y a les soldats, c'est a dire les païens, ceux qui ne croient pas en Dieu, qui s'en moquent. Ceux pour qui ce crucifié est comme toutes les autres victimes, qu'il vaut mieux déshumaniser par la moquerie, parce que pour clouer quelqu'un sur une croix, il vaut mieux ne plus le voir comme un être humain. Dans la moquerie de ces soldats, j'entends la moquerie de tous ceux qui sont complètement étrangers à notre foi, ceux qui ne comprennent pas que nous puissions avoir une espérance au delà du concret, du palpable. 

Parmi ces moqueurs, on entend également les chefs du peuple, ceux qui voient Jésus comme un rival, une menace pour leur pouvoir. Avec eux, j'entends tous les vendeurs de salut, tous ceux qui se nourrissent de notre souffrance, de notre peur, de notre soif d'autre chose, tous ceux qui sont trop heureux de nous proposer des moyens de salut en échange de notre argent, de nos voix, de notre soutien ou de notre adhésion.

 

Et nous voilà pris dans le tohu-bohu autour de la croix. Le tohu-bohu, c'est ce mot de la Genèse qui désigne ce qui précède la création, une traduction classique : «informe et vide». Le mot sonne juste pour décrire le Golgotha : les ténèbres de la souffrance et de la mort, le tumulte de la raillerie, et le chaos quand le juste est mis au rang des assassins.

Et voilà que dans ce tohu-bohu, une parole de vie retentit.

Et contre toute attente, cette parole est une parole humaine. Elle ne vient pas de Jésus mais de cet autre bandit crucifié avec lui. C'est une parole humaine et c'est une parole incroyable...

 

C'est d'abord une parole de reconnaissance : «lui n'a rien fait». Ainsi, au cœur de notre souffrance, il nous est encore possible de voir, de reconnaître l'autre, dans sa propre souffrance, dans son innocence. Nous ne sommes pas obligés de nous acharner sur le plus faible, de faire de lui un bouc émissaire…

C'est aussi une parole de lucidité sur soi et de pénitence. Bien loin de Caïn et de sa « punition trop lourde à porter », bien loin de nos tentatives d'auto-justification, là où si souvent nous affirmons «ce n'est pas ma faute», «ce qui m'arrive est trop injuste», voilà que dans le supplice de la croix, une voix humaine montre qu'il est à notre portée d'affirmer «ce qui m'arrive est justice.

Mais cette parole de repentir est aussi une parole de folle espérance : «oui, il est justice que je sois ainsi crucifié, que je sois ainsi maudit - la crucifixion est en effet le signe de la malédiction - mais pourtant souviens-toi de moi quand tu viendras comme roi». C'est vraiment la folie de la foi «je ne mérite rien, je suis indigne de la plus petite pitié et pourtant j'ose tout espérer, j'ose tout demander.»

Que cette incroyable parole soit une parole humaine me désarçonne dans mon calvinisme, dans mon indécrottable pessimisme quant à l'humain… Mais voilà, c'est bien ce criminel anonyme, ce crucifié qui ne vaut certainement pas mieux que nous, qui prononce une parole de vie. 

Comment est-ce possible ?

 

Un petit mot vient éclairer la situation : là où les moqueurs donnent du «messie», du «roi des juifs», le second criminel ose l'interpellation personnelle «Jésus». En fait, ce qui rend cette parole humaine possible, c'est la présence de Jésus sur la croix. Sans doute aurait-il été impossible de tourner  cette espérance vers un Dieu juge, siégeant dans les nuées. Mais en Jésus, Dieu nous rejoint dans nos souffrances, dans nos condamnations, dans notre malédiction même. Et c'est cela qui rend possible une parole humaine qui soit une parole de vie face à la mort.

 

Et cette parole ouvre un jardin dans le tohu-bohu. Entendez la réponse de Jésus : «Aujourd'hui tu seras avec moi dans le paradis». Aujourd'hui, le mot paradis est un classique du vocabulaire de l'au-delà. Pourtant, c'est un mot rare dans la Bible, on ne l’y rencontre que quatre fois. Et ce mot est un synonyme d'Eden, le jardin. C’est pourquoi je crois que Jésus fait bien plus que de parler de ce qui va se passer après la mort. Lui qui ressuscitera au troisième jour répond à cette voix humaine : aujourd’hui, dans le tohu-bohu, un jardin s’est ouvert, plus fort que le chaos, plus fort que les ténèbres, plus fort que toutes les paroles de mort.

 

Frères et sœurs, ce dialogue humain au milieu du lynchage et des moqueries, cette espérance dans les ténèbres c’est l’acte créateur de la croix.  Nous pouvons occuper une place toute différente dans le chaos qui nous entoure, un jardin s’est ouvert, un sens est donné à notre existence. Nous pouvons vivre la réconciliation même au cœur des moqueries, nous pouvons vivre la paix même au cœur de la condamnation.

Car en Christ, nous entrons dans une relation nouvelle au monde qui nous entoure et dans cette création, aucune puissance n’est plus grande que la sienne.

 

Photo by Bobbie Wallace on Unsplash

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À propos
Eric George

Pasteur de l'Eglise Réformée de France, amateur de jeux de société, de cinéma, de longues discussions
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