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La protestation de la veuve

Prédication du dimanche 28 octobre
Réformation
Job XIII, 1 à 19
Luc XVIII, 1 à 8

C’est une parabole un peu étrange que celle du juge injuste. En effet, la comparaison est à la foi surprenante et dangereuse, une comparaison qui nous conduit à la protestation. Parce qu'elle est surprenante, elle nous interpelle sur notre langage et nos images. parce qu'elel parle de la prière elle est dangereuse. Parce qu'elle nous invite à la persévérance, elle nous conduit à la protestation.

En premier lieu, la parabole est surprenante parce que comparer Dieu à un juge injuste qui fini par céder pour qu’on lui fiche la paix est pour le moins inattendu. Un bon berger, un père aimant, un créancier généreux mais exigeant, un propriétaire excentrique, un roi sévère mais juste, un semeur zélé, toutes ces images sont cohérentes, mais un juge inique ?
Alors bien sûr, il s’agit ici d’une comparaison a fortiori : si même le juge inique finit par entendre la veuve alors, à plus forte raison, Dieu entendra ses enfants qui crient vers lui…
Il n’en reste pas moins que la comparaison est audacieuse et devrait nous donner un peu plus d’audace pour parler de Dieu, elle devrait nous conduire à sortir des sentiers battus, des images pieuses, à redoubler d’imagination, à ne pas avoir peur de la provocation intelligente, celle qui cherche à faire réfléchir plus qu’à simplement choquer. Témoins de Jésus Christ, porteurs de son message, nous devrions, comme lui, toujours renouveler notre langage… Pour sortir des images taillées, n’ayons pas peur des images vivantes, toujours nouvelles, n’ayons pas peur des comparaisons les plus inattendues : Jésus lui-même a pu comparer Dieu à un juge inique !

Mais c’est aussi une comparaison dangereuse, a fortiori parce qu’elle parle de la prière : parce que cette veuve m’importune, je lui ferai justice, afin qu’elle ne vienne pas sans cesse me casser la tête Et Dieu ne fera-t-il pas justice à ses élus, qui crient à lui jour et nuit, et tardera-t-il à leur égard? Eh bien, pour ma part, je connais un bon nombre de gens qui pourraient dire «  eh bien moi, Dieu ne m’a pas entendu » « moi, Dieu est resté sourd à ma prière ». Oh bien sûr, peut-être mon statut de pasteur, de théologien devrait-il me permettre de répondre, d’expliquer que la réponse de Dieu n’est pas forcément celle que nous attendons, que Dieu n’est pas un grand magicien ni un talisman contre les malheurs de la vie. Mais franchement, ces réponses théoriques me paraissent peser très peu face aux souffrances concrètes, et Job a finalement raison d’appeler ceux qui les brandissent « plâtriers du mensonge ». En effet, brandir ces réponses, c’est masquer des trous sans vraiment les réparer…
 Si, en revanche, j’entend la plainte de Job, si j’entend le cri de souffrance des innocents,  je suis bien obligé d’admettre que, souvent, Dieu ne sort pas vraiment grandi de cette comparaison avec le juge inique. Notre Dieu ne serait-il finalement pas plus sourd, plus endurci que ce juge ?
                                                                                                                    ***
Je ne sais pas si Dieu est un juge inique. Je ne le crois pas et pour dire la vérité, je suis incapable d’expliquer réellement son silence… Mais ce que je sais, c’est que nous sommes bien dans la situation de cette veuve.
En effet, qu’est ce qu’une veuve en Israël à cette époque ? C’est quelqu’un qui, sans le secours d’autrui, ne peut survivre. C’est quelqu’un qui ne peut compter que sur la justice de ses pairs. C’est quelqu’un qui, frappé par l’injustice, ne peut que crier « non » ou se taire et mourir. Or la veuve de la parabole refuse de se taire. Elle est certes impuissante, mais il y a une chose qu’elle peut faire, c’est protester.
Je crois que l’homme reçoit son salut de Dieu seul et je ne suis même pas certain que cette « réception » soit, elle-même, un geste volontaire, une participation de l’homme à la grâce de Dieu. Mais pourtant, cette affirmation de la grâce, de la gloire qui revient à Dieu seul n’est pas pour autant un fatalisme. Il reste à l’homme une place, une liberté, celle du cri, celle de la protestation face au monde, face aux hommes et face à Dieu lui même. C’est Job qui refuse de se laisser museler par les pieuses paroles de ses amis et qui réclame un procès face à Dieu lui-même. C’est le psalmiste qui ne craint pas de dire à Dieu : « Tu m’as abandonné ». C’est cette veuve que Jésus nous peint réclamant la justice sans jamais se lasser. C’est Martin Luther à la diète de Worms je suis lié par les textes scripturaires que j’ai cités et ma conscience est captive des paroles de Dieu ; je ne puis ni ne veux me rétracter en rien, car il n’est ni sûr, ni honnête d’agir contre sa propre conscience. Je ne puis autrement, me voici, que Dieu me soit en aide.
Actuellement, nous rappelons souvent que protester n’implique pas forcément la notion de « contre » mais que notre protestation est une protestation « pour ». En fait, je crois qu’il nous faut tenir les deux ensembles. Comme le cri de Job, comme la plainte de la veuve, notre protestation est « contre », contre l’injustice, contre la souffrance, contre les fausses images de Dieu, contre les obscurantismes de toutes formes, contre tout ce qui prétendrait nous séparer de la grâce… Mais, comme la révolte de Job, comme la supplique de la veuve, notre protestation est aussi l’affirmation d’une grande espérance. Si avec Job, avec la veuve, nous refusons de nous taire c’est que nous croyons que Dieu nous entend, c’est que nous croyons en l’avènement de la justice. Ainsi, dans les psaumes, la complainte et le chant de louange s’unissent-ils souvent en une même prière… Mais qu’elle soit « contre » ou « pour », notre protestation est toujours un refus, le refus de se taire, le refus de nous laisser imposer le silence, le refus de nous laisser décourager.

Je ne sais pas si Dieu est un juge inique. Je ne sais pas si toute prière est toujours exaucée. La parabole de la veuve ne répond pas à toutes mes questions, loin de là mais elle m’invite à la persévérance. Persévérance dans la prière, certes, mais aussi persévérance dans mon action.
En effet, mon action me semble parfois bien vaine, deux fois inutile, pour tout dire. Inutile parce que je suis trop faible, trop petit pour prétendre changer le monde. Inutile également parce que je ne crois pas que Dieu m’aime pour mes bonnes œuvres. Alors à quoi bon ? En effet, à quoi bon ? Et à quoi bon la plainte de la veuve face à un juge qui ne craint ni Dieu, ni les hommes ?
Mais voilà la plainte, le refus, l’action sont les seuls lieux que je peux habiter en tant qu’homme, en tant que femme. Qu’importe si cela ne change pas le monde, tant mieux si la grâce de Dieu m’est déjà acquise, de toute façon, aujourd’hui, par mes actes, par mes paroles, je veux me tenir debout et , libre vis à vis de toute autorité religieuse et humaine, proclamer que Dieu est juste et aimant et lui réclamer son amour et sa justice.

Frères et sœurs, que la plainte de la veuve nous fasse renoncer au silence et à la résignation, que la certitude de la grâce nous conduise à la protestation. Que chacun de nos actes, chacune de nos paroles disent non à la souffrance, non à l’injustice, à l’oppression et à la mort et oui au Dieu vivant et aimant que nous proclamons et appelons. Aujourd’hui plus que jamais, refusons de nous taire et devant les hommes et le monde, proclamons et protestons que notre Sauveur est vivant

Amen

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À propos
Eric George

Pasteur de l'Eglise Réformée de France, amateur de jeux de société, de cinéma, de longues discussions
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R
merci pour votre blog que je consulte souvent
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