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La Réforme, Paul, Apollos et les trois petits cochons

Prédication du 29 octobre 2006
Esaïe LV, 1 à 11
Marc XI, 15 à 18
I Corinthiens III 3 à 23


En ce dimanche de la Réformation, le passage de la première lettre aux corinthiens me paraît tomber plutôt bien. Parce qu’au moment où nous célébrons notre identité, il me paraît salutaire que la Bible nous questionne sur cette identité. En nous interrogeant sur nos divisions d’abord, en nous parlant de salaire et de perte ensuite, en nous faisant une promesse quant à notre appartenance enfin.

Paul s'adresse à la communauté de Corinthe, une communauté qu'il a manifestement fondée avant d'en partir. Après le départ de Paul, un dénommé Apollos a pris une grande influence sur la communauté. Et, au moment où Paul écrit, parmi les chrétiens de Corinthe certains se réclament de Paul, d'autres d'Apollos et manifestement, les différents clans se déchirent. C'est une situation que nous connaissons bien au sein du protestantisme : qui sont les véritables héritiers de la Réforme ? Les luthériens, les calvinistes, les baptistes ? Et tout particulièrement à l'intérieur de notre Église réformée : faut-il être barthien, bultmanien, libéral, orthodoxe ? Moi, je suis un néo-calviniste libéral à tendances charismatiques, sympathisant du Process et marqué par une théologie luthérienne de la croix (le pire, c'est que c'est vrai !) mais à mettre sur une carte de visite, ça fait un peu ridicule... Dieu merci, ces étiquettes sont moins importantes aujourd'hui dans notre Église et les frontières entre les différents clivages sont plus floues.
Eh bien puisque la situation de la communauté de Corinthe ressemble à celle du christianisme en général et du protestantisme en particulier, nous pouvons recevoir aujourd'hui les commentaires de Paul.

Premier constat, Paul ne dit pas aux corinthiens que ces étiquettes sont scandaleuses ou inacceptables. Il dit : « elles sont la preuve de votre humanité ». C'est humain de vouloir appartenir à un groupe distinct. C'est humain de se définir par rapport aux autres, en posant d'abord ce qui nous distingue, ce qui nous différencie, ce qui nous sépare même. Et nous ne sommes pas moins humains que les corinthiens…
2eme constat : Paul ne tranche pas entre  les différentes communautés. Il n'arbitre pas entre ceux qui se réclament d'Apollos et ceux qui se réclament de lui-même. C'est d'autant plus remarquable qu'on sait avec quelle virulence Paul peut défendre ses idées. Mais ici, pas d'attaques contre les disciples d'Apollos, pas de vigoureuse prise de partie pour ceux qui se réclament de ses idées. Paul  met les deux communautés à égalité en leur rappelant quelle est leur unique source : Jésus Christ. Après tout, qu'est ce que Paul ? Qu'est ce qu'Apollos ?
Ce rappel est salutaire à plus d'un titre. Tout d'abord, bien sûr, parce que se rappeler que nous venons de la même source, c'est garder à l'esprit que nous sommes frères. Ensuite, parce que regarder à la source, à la pierre de fondement, c'est prendre conscience que, nous aussi, nous avons ajouté bien des choses à ces fondations, que nous aussi, nous nous en sommes éloignés. Enfin, regarder à Jésus Christ, c'est se rappeler qu'à trop vouloir nous singulariser, nous couper des autres, nous prenons le risque de finir par nous couper de Jésus le Christ. Et ainsi de, littéralement scier la branche sur laquelle nous sommes assis.

Ce qui ressort donc de ce passage c'est que Paul voit dans Jésus le Christ une fondation, une assise à partir de laquelle il est possible de bâtir plusieurs édifices. D'ailleurs Paul cultive ici une ambiguïté intéressante : ces édifices sont-ils les communautés ou la vie chrétienne de chacun ? Les deux semble répondre l’apôtre. Et après tout, c’est assez cohérent : deux membres d’une même communauté ne vivent par leur foi de la même manière.
Cependant, toute les manières de construire ne se valent pas. Toutes les constructions ne subsisteront pas. Certaines s’effondreront. Alors celui dont la construction reste debout obtiendra une récompense et celui dont la construction s’effondrera sera puni… Sacrilège! Comment le pasteur peut-il prêcher sur un texte pareil ! Un texte qui parle de salaire et de perte en fonction de nos œuvres, de ce que nous construisons !  Et le dimanche de la Réformation en plus !
En fait, je suis très attaché au discours de la grâce. Mais je ne crois pas que la grâce empêche les œuvres d’avoir des conséquences. Et je ne crois pas qu’ici Paul infirme cette annonce d’un amour absolument gratuit de Dieu. Bien au contraire il la confirme.
Je vais faire ici appel à une somme théologique importante que vous connaissez tous : l’histoire des trois petits cochons. Ou plutôt l’histoire de l’histoire des trois petits cochons. En effet, nous sommes bien ici dans le même thème : construire avec de bon matériaux. Dans les plus anciennes variantes de cette histoire, les cochons qui construisent avec du bois et de la paille se font manger par le loup. Ce sont les variantes morales : les paresseux sont dévorés, le méchant est ébouillanté, le cochon industrieux est le seul survivant et tout le monde est content et édifié. Dans les nouvelles versions, les deux premiers cochons trouvent refuge cher leur frère plus courageux (dans cette même version, le loup échappe lui aussi à la mort et ne connaît qu’une cuisante humiliation). C’est la version politiquement correcte. Je me demande si on ne pourrait pas la qualifier d’immorale puisque les deux paresseux finissent par profiter du travail de leur frère. La version de Paul pose une différence radicale, ici le loup ne souffle pas sur les maisons pour dévorer leurs habitants mais Dieu passe nos édifices au feu pour qu’il n’en reste que ce qui est bon. Cette importante différence mise à part, je remarque que la comparaison de Paul est bien plus proche de la version moderne des trois petits cochons. En effet ceux qui bâtissent avec de mauvais matériaux ne sont pas perdus, mais « sauvés comme à travers le feu » ils en sont juste quittes pour une belle peur. Leur perte c’est de voir leur construction détruite, c’est de voir que ce n’est pas leurs œuvres qui ont provoqué leur salut. Quant au salaire, c’est de garder ce qui a été construit, de se voir confirmer qu’on était sur le bon chemin. Bref, cette histoire de perte et de salaire, n’enlève rien à l’affirmation du salut gratuit de Dieu mais elle nous rappelle que si ce salut nous amène tous au même endroit, il ne nous trouve pas tous dans le même état, que ce salut pourrait bien être un moins grand bouleversement pour certains que pour d’autres…
Mais je sais bien que certains ne se satisferont pas de ce constat et me demanderont des précisions sur les matériaux à utiliser et sur les plans de constructions à suivre pour bâtir un édifice solide, qui ne s’effondrera pas face à Dieu. Bref qui me rappelleront que mon devoir de pasteur est de leur dire comment ils doivent mener leur vie de chrétiens. Eh bien, la réponse sera facile. Allez donc voir dans la Bible, il y a pas mal de textes qui parlent de l’amour et de la façon dont il se vie. Avec ça , nous avons de bonnes indications.
A ces indications, il faut sans doute rajouter la mise en garde de Paul : « la sagesse de ce monde est folie devant Dieu » et ne pas nous fier à la solidité apparente de notre construction. Il se pourrait bien que ce que nous croyons être des briques ne soit que de la paille, que ce que nous prenons pour de l’or ne soit que du foin. Nous sommes incapable de savoir ce que sera le jugement de Dieu sur notre vie, nous ne pouvons donc qu’espérer et nous fier en son amour. Ce ne sont pas les matériaux de notre maison ni son agencement qui nous garantit sa solidité mais sa pierre de fondation : Jésus le Christ. C’est lui qui nous sauve et non pas ce que nous accomplissons par nous même.

Et c’est sur la promesse que je voudrais conclure. Nous n’appartenons pas à la Réforme, ni à Luther, ni à Calvin, ni à Zwingli. Nous ne sommes pas prisonniers de leurs idées, de leurs visions. Mais Luther, Calvin, Zwingli nous appartiennent. Ils nous sont donnés comme nous sont donné Paul, Apollos ou Céphas, nous pouvons nous appuyer sur eux mais nous sommes libres vis à vis d’eux comme nous sommes libres vis à vis du monde, de la vie ou de la mort, du présent ou de l’avenir. Ceux-là nous appartiennent et nous nous sentons prisonniers d’eux : nous voulons être fidèle à l’esprit des réformateurs, nous avons peur de la mort, peur de l’avenir. Et voilà que Paul nous le dit : « Tout cela est à nous », tout cela est à notre service pour nous permettre de mieux appartenir à Jésus Christ. Étrange non ? nous nous croyons appartenir à ce qui nous appartient et celui auquel nous appartenons, c’est celui qui se donne lui-même à nous. Dès lors, comment pourrions nous nous croire esclave ? Comment pourrions nous conserver le vocabulaire et les réflexes de l’esclave ? Comment pourrions nous appartenir à un autre homme (nous ne sommes pas de Luther ni de Calvin pas plus que les corinthiens n’étaient de Paul ou d’Apollos) ? Comment pourrions nous quêter une récompense ou trembler devant une perte ? Parce que nous appartenons à Jésus Christ, nous sommes pleinement libres.

Amen

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À propos
Eric George

Pasteur de l'Eglise Réformée de France, amateur de jeux de société, de cinéma, de longues discussions
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A
Bonjour Eric,<br /> c'est amusant, je parlais justement de l'histoire des trois petits cochons, récemment, avec des amis, mais sans considérations théologiques: <br /> on construit de plus en plus de maisons en bois, mais aussi en paille!<br /> http://www.lamaisonenpaille.com/
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E
Du coup je me demande quel était le contexte : architectural à propos des maisons de pailles, peut-être ? En tout cas, ça fait plaisir de voir que la famille a des références culturelles sûres ;o)En tout cas ta remarque sur les maisons de pailles m'inspire une piste de développement sur les matériaux de constructions qui peuvent être inattendus, Paul semblant préférer des matériaux de constructions qui n'en sont pas ou des matériaux qui semblent vils sont finalement de bons matériaux, bref autant d'image possibles pour montrer que décidément le jugement n'appartient pas à l'homme...